Mohamed Hanefi, professeur de français au Koweït : «Un vrai musulman ne peut être raciste»

Né à Podor d'une mère peule, et d'un père maure, Mohamed Hanefi est un pur produit de l'école normale supérieure de Nouakchott. Il a successivement enseigné au lycée national, au lycée technique, et au centre supérieur technique,

avant d'être détaché par la Mauritanie à l'Emirat du Koweït où il est actuellement chef du département de français à l'institut de Qortuba. Il y développe sa connaissance sur les compagnons et compagnes du Prophète, qu'il vulgarise dans différents petits ouvrages, à l'attention d'un institut qui compte à peu près toutes les nationalités musulmanes du monde entier. Une expérience de l'ailleurs, et d'Autrui, qui donne à sa compréhension de l'Islam une teinte compassionnelle, et très spirituelle, résolument tournée vers la Facilitation des choses. Un regard analytique, posé et apaisant, posé sur les droits humains en Mauritanie, à travers cet entretien.

"La justice viendra de Dieu, avec ou sans votre coopération. La Mauritanie change… La Mauritanie changera. Notre pays est profondément meurtri. Il a violement souffert. Certes il a besoin d’une intervention chirurgicale. Mais avec un bistouri entre de bonnes mains, pas avec les haches ou les coupe-coupes" concluiez-vous dans votre dernière tribune, "les tamboureurs de la guerre". Quelle est l'étendue des dégâts de ce constat que vous faites?

Je vois, comme tout le monde, que ce pays s'est transformé en un vaste champ de batailles ou chaque "leader" s'ingénie à découper son morceau dans le tas. En réalité le problème se trouve ailleurs que dans le peuple lui-même. Le peuple est "consommé", appauvri et malmené, il est vrai. Mais il garde encore un certain attachement à certains principes de bonnes valeurs. Ces principes là et dont les plus importants, la foi, la fraternité et l'hospitalité commencent malheureusement à se désagréger dans le carcan de ces combats.

L'état est avant tout une réalisation de l'homme, mais demeure et demeurera sous la supervision de Dieu. Le peuple de Saba, était prospère. Leur pitance descendait directement du Seigneur des mondes. Ils avaient tout ce que l'envie d'un humain pouvait souhaiter. Dieu ne leur demanda qu'une chose, une seule chose : remercier les grâces qu'Il leur prodiguait sans effort de leur part. Ils se détournèrent, s'enflèrent d'orgueil, de vanité et suivirent leur tentations. Alors en une journée, une seule journée, la colère du Seigneur vint détruire cette cité prospère, engloutie par un déluge, en un clin d'œil. Elle devint ainsi une histoire qu'on raconte à ceux qui se détournent de Dieu et de ses lois cosmiques.

Mon constat et mes évaluations des dégâts sont immenses et effrayantes. Si moi, professeur, détaché depuis vingt deux ans hors du pays, je perds le sommeil d'inquiétude, pour le sort de cette terre, je vous laisse à imaginer l'état d'âme de ceux qui baignent dans cette dégringolade accélérée vers les ténèbres.

J'ai l'impression que les communautés ne se connaissent plus, ne se parlent plus, ne se rencontrent plus. Comment recréer un lien unificateur? Comment recréer ce citoyen mauritanien, qui a été embryonnaire aux début de notre indépendance?

Si les communautés ne se parlent plus, ne se côtoient que de façon théâtrale et cosmétique, c'est d'abord de leur propre faute. Nous avions cette fâcheuse habitude de considérer l'autre comme source de peur et de méfiance. Ceci est aussi le résultat direct du manque de la foi. Allah, loué soit-Il dit dans le livre "La plus ignoble chose pour Dieu est de dire ce que vous ne pratiquez pas." Nous nous disons frères. Plus que cela nous psalmodions quotidiennement les paroles de l'envoyé (psl), comme par exemple "Aucun de vous ne sera croyant avant d'aimer pour son frère (en islam) ce qu'il aime pour lui-même".

Mais combien de fois pour effrayer le petit maure, ses parents lui disent "Jaak el kori", (le kori arrive). Ou de l'autre coté, puisque nous sommes divisés en "cotés", "Tiapatou arri", (attention au maure). Ceci matérialise le sommet de l'hypocrisie. C'est une façon apparemment bénigne d'amuser la galerie, mais c'est aussi la pire méthode d'élever nos enfants. Dès leur plus jeune âge nous leur inculquons les fondements même du racisme. Nous insufflons le mal à nos enfants. Dieu nous donne des anges, nous les élevons en satans.

Ceci rentre certainement dans ce dont Allah a dit: "Ceux qui rompent leur pacte avec Allah, après l'avoir scellé, qui coupent les liens établis sur Son ordre, et qui sèment le désordre sur terre; ceux là sont les vrais perdants." Al-Baqara-27.

Vous citez Samba Thiam, Boubacar Messaoud comme cavaliers de la paix. En quel sens, leurs comportements, leurs actes vous inspirent-ils?

Personnellement, je suis resté pendant une vingtaine d'années au milieu de ce qu'on appelle les "Adwabas". Ma mère peule, "beydanisée" habitait dans ces lieux de pauvreté extrême. Dès ma première visite à la Chamama, et ayant vu que mes parents vivaient des conditions difficiles, j'entrepris de me consacrer au combat contre cette injustice manifeste. Bien sûr que j'ai terriblement souffert. Je craignais pour ma vie, car je touchais quelque chose de sacré. Je disais tout haut aux paysans que Seul Allah méritait l'adoration. Pas les hommes. Je menaçais par mon intrusion la subsistance même de beaucoup de gens, habitués depuis des siècles à vivre sur le dos d'autres hommes.

Mon épouse, complètement mauresque, qui faisait office d'infirmière, d'institutrice et de gérante de cantine, a été au début isolée par les femmes des villages, qui voyait en elle "une femme blanche", venue, étaler ses biens par arrogance. Nous avons fait face à des difficultés, qui auraient découragé les plus tenaces. Nous avons tenu. J'ai entendu parler de Biram ould Dah, par mon frère du coté maternel. Je l'ai rencontré et j'ai été frappé, voir émerveillé par sa détermination. Plus tard je fus consterné par sa manière d'insulter tous les maures. Je pensais souvent que la mère de mes enfants qui pratiquement avait lutté pour la libération des esclaves plus que Biram et plus que moi s'entendait insulter avec le "tas" des maures que l'IRA de Mauritanie avait décidé de traiter ensemble par le même insecticide, ou "mauritanicide" si vous voulez.

Un ami américain, directeur des petits projets, était venu me rendre visite sur ces lieux et contribua à ma nomination comme coordinateur de Trickle-Up de New-York et beaucoup de choses furent réalisées parmi lesquels 44 "small projects" qui continuent aujourd'hui à nourrir certaines familles. Plus tard quand je fus détaché pour le Koweït, en 1994, je pus lancer un autre projet "Tekaful", pendant que j'étais adjoint au directeur à Africa muslim dans cet Emirat. Les choses avançaient donc lentement, mais sûrement dans la région. Surtout dans le sens de notre cohésion sociale.

Quand les abolitionnistes avaient "accéléré" leur mouvement, j'eus peur. Vraiment peur, car les revendications, certes légitimes prenaient l'allure d'exhortation directe à la haine et aux confrontations. Je savais par mon expérience, ici dans le Golfe arabique que les conflits sont faciles à déclencher, mais leur extinction est une autre paire de manches. La Mauritanie est faible. Elle ne survivrait pas aux guerres civiles et aux "Fitnas". La "Fitna" ou dissension, a dit le prophète (psl), est endormie et Dieu maudit celui qui la réveille."

J'ai vécu aussi les événements de 89. Je sais que c'était horrible. Mais armé de ma foi, je savais que ces épreuves arrivent, c'est écrit et que ce qui est écrit, arrivera inévitablement. Leur meilleur remède, c'est le traitement paisible. Nous avons perdu assez de vies et pendant un mois sacré. J'espère que vous comprenez ce que cela veut dire. L'envoyé (pl.) a dit: "Quand deux musulmans se rencontrent par le glaive, la victime et l'assassin sont tous les deux en Enfer." Il est vrai que des gens paisibles ont été tués. Mais pensez-vous que le Gouverneur de l'Univers n'a pas pris les dispositions pour cette justice-là ?

C'est pourquoi j'ai beaucoup aimé le calme, déterminé, et sage de monsieur Samba Thiam. Je sais que l'homme est blessé, qu'il souffre d'événements atroces, qu'il n'a d'autres choix que de courir derrière ses droits; Mais je sais aussi et comme disent les maures que "Mon doigt a crevé mon œil."

Quand Abel fut menacé par son frère Caïn de le tuer, il répondit: "Si tu étends vers moi ta main pour me tuer, moi je n'étendrai pas vers toi ma main pour te tuer : Car je crains Allah le Seigneur de l'Univers. Je veux que tu partes avec le péché de m'avoir tué et avec ton propre péché: Alors tu seras du nombre des gens du feu. Telle est la récompense des injustes. Son âme l'incita à tuer son frère. Il le tua donc et devint ainsi du nombre des perdants." Al-Maa-idah-28-29. Boubacar Messoud, aussi me semble-t-il, lutte avec fermeté, mais sans verser dans cette nouvelle menace, qu'il est convenu d'appeler de nos jours "jeter l'huile sur le feu". Quand l'huile est jetée sur le feu, il n'y aura de déjeuner pour personne. Dieu nous garde.

Sur le 28 novembre : devrait-on nier la mémoire et la justice des victimes des "évènements" de 89-91, et ne parler que du 28 novembre 1960? Ne peut-on commémorer les deux faits historiques ensemble ?

Le 28 novembre est un jour d'Allah, comme tous Ses jours. Il est vrai que pour nous, c'est un symbole national. Le jour de notre indépendance. Il y-a beaucoup d'autres jours de l'année ou des mauritaniens ont été fusillés ou torturés. Si nous nous interdisons toutes réjouissances parce que quelque chose de mal s'est produit en tel jour, je crois que nous porterons éternellement les deuils.

Par contre ce 28 novembre doit être une occasion pour nous autres mauritaniens de nous repentir de décorer nos victimes, des les remettre à leur véritable place dans la société. J'ai toujours dit que le rétablissement de nos frères sinistrés par les événements de 89, doit venir d'abord du peuple. Les gouvernements s'en vont. C'est la Mauritanie qui reste. Les gouvernements suivent une politique qui n'est pas forcement dans l'intérêt de notre cohésion nationale. Mais nous, nous devons rapprocher notre peuple et œuvrer pour sa soudure.

Vous allez constater que je parle beaucoup de ma propre expérience, mais elle constitue ma conviction la plus solide. En quelques années et avec des moyens très modestes, je liais les villages de Diawlé jusqu'à Bezoul 1 et Oulads Imigen. Il me suffisait de trois ou quatre bœufs pour des cérémonies de circoncision pendant mes vacances d'été pour rassembler les peuls, les maures, les harratins, les wolofs sous les mêmes tentes pour une quinzaine de jours. Je découvris dans le village de feu Demba Docar, quatre mamans qui m'avaient allaité. Dans le village de Mbegnik, ou le chef du village Biram Niass était l'époux de ma tante maternelle Dado, je ne compte plus que les parents. Quand ils furent entièrement chassés au Sénégal en 89, avec mon grand-père Oumarou (déporté lui, aussi), j'étais prêt à les suivre. Pourtant j'ai grandi dans un milieu totalement maure, pour découvrir à la fin que le sang mauritanien est le sang mauritanien quelle que soit la couleur de la peau. Ceux qui nous poussent vers la ségrégation raciale sont des fous, des criminels. Est-il sage, ou saint de suivre un fou ou un criminel?

Un vrai musulman ne peut être raciste. Car le prophète a prohibé le racisme, disant : "Fuyez-le, il est nauséabond." Celui qui ne suit pas les ordres de l'envoyé (psl), n'est pas musulman. Il fait semblant de l'être. Pour revenir à la question, le 28 novembre doit être une occasion de montrer à nos frères, victimes de ce grave accident, que l'âme de la Mauritanie a été gravement affectée, mais qu'elle continue à vivre. Le messager a dit : "faites suivre le mal par le bien, il l'effacera."

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Mamoudou Lamine Kane

 

Source :  Mozaïkrim (Le 17 décembre 2015)

 

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