POUR UNE « CESARIENNE TRIBALE » REUSSIE !

[La déclaration d’Abidine Ould Merzoug me recommande de renvoyer cet extrait d’une contribution [La Mauritanie vars 2017 ! Faire coïncider les aspirations] postée le 2 avril 2015 sur les sites mauritaniens.

Bonne relecture]

Tant qu’un langage est encore dans sa clarté, il faut le traiter. Parce que dès qu’on le pousse dans sa propre zone de brouillage ; alors on perd toute faculté d’appréhension du principe organisationnel dont il était porteur.

« Les militants anti-esclavagistes [IRA] ont réussi à cristalliser les débats politiques et sociaux autour de la question non seulement des Haratin, mais aussi de l’ensemble des autres communautés, même les plus « silencieuses ». Cette stratégie de jonction est certainement à l’origine de l’aura et de la sympathie dont jouit Biram Dah Abeid, et cela même en prison !

Jeune militant anti-esclavagiste engagé, mondialement reconnu et qui, de surcroit, a réussi son entrée en politique de manière honorable en atteignant la barre de 10% lors des dernières élections présidentielles… Il s’est frayé un passage et poursuit son apprentissage à la « vraie politique » (politik). Sa fréquentation des prisons du pays participera [?] de la consolidation de ses convictions, de l’affinement de ses tactiques politiques, et des choix dans les alliances qu’il ouvre et des adhésions que sa cause enregistre chaque jour. Ces retraits forcés, douloureux, doivent servir à inhiber la « fougue » [compréhensible du reste !] pour la vider de la violence symbolique qui la caractérise et qui entretient une certaine méfiance de la part de potentiels alliés, voire d’éventuels partenaires.

Les quelques concessions arrachées doivent ouvrir sur de larges boulevards à conquérir pour tous, toujours ensemble dans l’espace d’une diversité maîtrisée et toujours enrichissante. Il faudra donc compter sur son retour, les réalités internes aux communautés, sur son nouveau discours et les propositions d’alliances, aux prochaines élections. Ou, s’attendre à un candidat en embuscade et qui aura conquis le suffrage d’une partie des militants de ce nouveau filon politique en expérimentation (?).

Au-delà de cette vérité, la Mauritanie reste traversée, de manière irréversible, par des courants à orientation de plus en plus « communautaristes », ou pour en atténuer les possibles chocs, admettons : revendications pour une réelle volonté d’approfondissement des principes démocratiques, des libertés individuelles et collectives. Chaque communauté semble vouloir se réaffirmer sur l’échiquier socio-politique et économique avec plus d’intelligence. Elles suivent, en cela, les trajectoires des sociétés du monde telles qu’elles se déclinent et se balancent entre « ouverture » et « clôture ». C’est ainsi que, sans surprise, le mouvement El Hor [Le libre, traduction libre] réclame, de son côté, la reconnaissance des Haratin en tant que communauté totalement à part [?]. Cette option n’est pas nouvelle. Car la Mauritanie a toujours fonctionné selon un système de quotas, et les Haratin ont toujours été les oubliés de la liste des « nominés », car peu instruits, dispersés, voire « dilués » [sans l’être réellement selon les critères sociaux prédominants] dans les structures et complexes arcanes des tribus, et leurs relations complexes avec leurs « cousins » négro-mauritaniens [seul ajout].

L’aspiration de la « communauté » prend une nouvelle tournure révélatrice d’une réelle et irrévocable évolution des mentalités vers ce qu’elles doivent être : libres. Mais la communauté « bidhan » n’entend pas assister, impuissante, face à cette « dérive » [la dislocation définitive de l’un des éléments insoupçonnables qui garantit la solidité et surtout le maintien de la Assabiyat : c’est-à-dire « l’esprit de corps » selon l’acception d’Ibn Khâldun] qui risque de l’affaiblir démographiquement, et du coup de faire basculer le pouvoir un jour ou l’autre entre les mains des Haratin.

Révolution ou dévolution ? Dévolution et révolution ? Il est bien probable que l’ensemble maure soit en pleines négociations « internes et souterraines » avec quelques ténors de l’ensemble haratin pour une douce transition. Possible passage du témoin, non !

Dans une discussion avec Moulaye Ismaël Keïta, sociologue et animateur d’un site panafricain [afrikuma.org] d’informations et d’analyses des situations sociales ouest-africaines, s’est échappé le paradigme de « décrochage tribal » [une pensée à Jean-Loup Amselle]. Il me semble que cette expression reflète la réalité en cours dans la communauté maure de manière confondue.

Nous sommes – comme – face à un profond et douloureux processus de décrochage tribal, pas de détribalisation [la détribalisation reste peu radicale dans son essence et ses significations ?], mais de ce qu’on pourrait appeler de manière plus judicieuse une « assabiyacide ». Véritable parricide ! Parce que, sans exagération, les Haratin réclament non plus leur visibilité en tant qu’individualités ou petits groupes affiliés à…, mais la reconnaissance de la légitimité de leurs aspirations à diriger le pays en tant « qu’organe » autonome du « corps maure », mais toujours solidaire de l’ensemble. Cette nouvelle posture sur l’espace public alimente et oriente toute la démarche des nouveaux dirigeants de la communauté. Cette nécessité organique est devenue évidemment vitale. Car l’avenir et l’issue du combat [voire la stabilité du pays] dépendent de cette mobilisation autour d’une nouvelle façon d’écrire l’Histoire et d’orienter les trajectoires individuelles, comme communautaires. L’État doit, de manière impérative, consolider, en les respectant, les principes organisateurs de la démocratie afin de mieux tirer profit des conflits constructeurs et ainsi éviter l’imprévisible.

Tant qu’un langage est encore dans sa clarté, il faut le traiter. Parce que dès qu’on le pousse dans sa propre zone de brouillage ; alors on perd toute faculté d’appréhension du principe organisationnel dont il était porteur.

Il ne s’agit pas de rejeter du revers de la main cette demande de communautarisation [trop facile, donc fragile !], il s’agit de la penser, de la réfléchir en la problématisant [comme solution possible, parmi d’autres possibles, pour enfin parfaire la « cohabitation »] de manière plus sérieuse afin d’institutionnaliser des principes organisateurs qui peuvent participer à la consolidation de la construction d’un commun devenir. La quiétude des futures générations dépend du courage, et surtout de l’audace des acteurs sur scènes et en coulisses. Personne d’autre ne peut affronter ces réalités à leur place. »

 

Abdarahmane Ngaïdé (Bassel)

Dakar, le 06/12/2015

 

(Reçu à Kassataya le 6 décembre  2015)

 

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