«En Afrique, on n’a pas suffisamment investi dans le pastoralisme !»

Le continent africain subit de plein fouet les conséquences du changement climatique. A quelques jours de la COP 21, entretien avec Ibrahim Thiaw est sous-secrétaire général des Nations unies et directeur adjoint du Programme des Nations unies pour l’environnement.

Le continent africain subit de plein fouet les conséquences du changement climatique. Avec le dérèglement des saisons des pluies, de nombreux pays se retrouvent face à une déstructuration des sociétés traditionnelles, à des conflits, mais aussi à un appauvrissement du secteur agricole. Ibrahim Thiaw est sous-secrétaire général des Nations unies et directeur exécutif adjoint du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Il est aussi l’ancien ministre du développement rural en Mauritanie. Entretien.

Quelles sont les conséquences du changement climatique sur le continent africain ? Dans quelle mesure pouvons-nous dire qu’il est plus vulnérable ?

Un corps sain a plus de capacité à résister aux chocs. En Afrique, nous sommes face à des économies faibles et donc à des corps affaiblis au départ. Les changements climatiques accélèrent des modifications profondes de l’économie et des sociétés. Des populations perdent tous leurs revenus du jour au lendemain, à la suite d’une sécheresse ou d’une inondation. A un niveau national aussi, il y a un rapport évident entre le développement économique d’un pays et sa pluviométrie, surtout pour des économies basées sur le secteur primaire. Le Kenya, par exemple, subit les conséquences des fortes pluies des dernières années, car c’est un pays exportateur de produits agricoles. On ne répétera jamais assez que les pays les plus pauvres sont ceux qui, par définition, émettent le moins de gaz à effets de serre, et qui pourtant subissent les conséquences les plus dramatiques du changement climatique.

Comment les populations peuvent-elles s’adapter à des modifications aussi soudaines ?

Les dates des saisons des pluies ont été perturbées et les lignes isohyètes [ligne imaginaire qui joint tous les points du globe recevant la même quantité de pluies, ndlr] ont bougé. Cela engendre de grandes tensions entre les éleveurs et les agriculteurs. Parfois, c’est l’agriculteur qui migre vers la zone pastorale, ou l’inverse. Et comme le foncier n’est pas défini de manière très claire dans ces pays, les différends peuvent être meurtriers. Très souvent, ces groupes proviennent d’ethnies différentes, et cela crée un cocktail social et politique explosif.

On assiste aussi à une sédentarisation des sociétés traditionnellement pastorales [en Somalie, par exemple, 59% de la population étaient encore nomades en 1975. En 2014, ils n’étaient plus que 26%, ndlr]. Ils n’ont plus le choix. Et comme le foncier est plus en faveur du sédentaire que du nomade…

Une terre a plus de valeur si elle est occupée par un agriculteur sédentaire ?

Dans le système économique mondial, une terre n’a de valeur que lorsqu’on coupe la forêt et qu’on s’en sert pour l’agriculture. Le problème, c’est que l’on n’attribue pas d’espace foncier aux populations nomades, car il n’est pas rentable.

Le continent africain est désormais divisé en Etats, en communes, et sur un mode économique fondé sur le sédentaire. La tradition nomade n’est pas adaptée à un tel mode administratif : pour traverser une commune, ou une propriété privée, il faut payer une taxe. En fait, les nomades se retrouvent sans terres, car ils appartiennent à plusieurs !

Est-ce un problème que l’on trouve uniquement sur le continent africain ?

Un demi-milliard de personnes à travers le monde sont nomades, à travers 75 pays du globe. Mais partout, même en Europe du Nord, ce sont des peuples marginalisés. On considère le pastoralisme comme une activité secondaire pas suffisamment rémunératrice. On n’a pas suffisamment investi dans ce secteur ! Les pouvoirs publics doivent assurer l’accès à des zones de pâturages, à des points d’eau, et leur garantir une sécurité foncière. Les gouvernements, mais aussi la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international doivent investir dans ce secteur. Il représente une ressource économique, moins destructrice de l’environnement que l’activité agricole, qui épuise des sols fragiles, dans des zones climatologiques extrêmes. Quand on demande à la nature de produire ce qu’elle ne peut pas produire, on arrive à des situations d’aberrations environnementales, sociales et économiques.

Sophie Bouillon

 

Source : Liberation (France)

 

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