Le puits sans fond du contre-terrorisme en Afrique

Toujours plus de moyens. Des milliards de dollars engagés. Pourtant, le terrorisme prospère en Afrique, à l’ombre de la faillite des Etats, de la prédation des ressources et de la corruption : Al-Qaida, shebabs, Boko Haram, organisation de l’Etat islamique depuis peu.

« Nous avons juste besoin de davantage de ressources », a déclaré le président du Sénégal, Macky Sall, en ouvrant le deuxième Forum international de Dakar sur la sécurité en Afrique le 9 novembre. Le président affirme que le cadre des opérations de maintien de la paix de l’ONU, auxquelles son pays est un des principaux contributeurs, n’est plus adapté. Le terrorisme se sanctuarise sur le continent, dit-il, et les forces onusiennes sont trop peu opérationnelles. « Il faut combattre, non pas maintenir la paix », quand, chaque jour, comme au nord du Mali, des groupes armés attaquent et tuent des casques bleus.

Les moyens manquent. L’un des défis est « l’écart entre ce qui est demandé pour les opérations de maintien de la paix et ce que l’ONU fournit », souligne Mongi Hamdi, le chef de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), la force internationale au Mali.

Inégalité de moyens

Le Tchad, qui a envoyé 2 500 soldats combattre Al-Qaida au nord du Mali, réclame un engagement régional et continental. « Cela coûte très cher », assène Moussa Faki, ministre des affaires étrangères. Sur les 530 millions de dollars promis au fonds fiduciaire de la force onusienne au Mali, son pays n’a été remboursé que de 40 millions, avec un an de retard. L’économie tchadienne souffre, dans un contexte de chute des prix du pétrole. Or, souligne Moussa Faki, le combat est de très longue haleine, car les groupes djihadistes « ont les armes, l’argent de la drogue, et même le paradis », qu’ils prétendent rejoindre en semant la mort. Pour les pays africains, comme leurs partenaires concernés par ce défi sécuritaire, la lutte contre le terrorisme devient un puits sans fond.

Lire aussi : Au Mali, les djihadistes multiplient les attaques

Les Etats-Unis ont annoncé à Dakar qu’ils allaient accroître de 300 millions de dollars (sur un total de 2,5 milliards) leur nouveau « fonds pour les partenariats en matière de contre-terrorisme » pour l’Afrique. Une décision « très significative », selon Elissa Slotkin, assistante à la sécurité internationale du Pentagone. Si, selon elle, le leadership d’Al-Qaida a reçu des coups décisifs depuis 2001, il faut désormais affronter un ennemi plus compliqué, « des groupes plus diffus, moins hiérarchiques, plus autonomes et difficiles à suivre » car insérés dans les populations locales.

Envoi de formateurs et de matériel

Contre Boko Haram, Washington va bientôt installer plusieurs centaines de conseillers militaires au Cameroun, ainsi que des drones. Epuisée par dix années de guerre en Irak et en Afghanistan, l’armée britannique s’apprête à suivre en envoyant, elle aussi, des formateurs auprès de l’armée du Nigeria.

Le Japon, contributeur financier aussi important que discret de la sécurité en Afrique, a adopté un nouveau plan d’assistance après l’attentat sanglant d’In Amenas en Algérie début 2013, au cours duquel 39 expatriés dont 10 Japonais sont morts. Le vice-premier ministre aux affaires européennes, Masakazu Hamachi, a rappelé à Dakar que ce plan a permis de former en Afrique du Nord plusieurs milliers d’hommes dans les forces de sécurité locales et de financer des équipements de contrôle des frontières. Le pays a dépensé 1 milliard de dollars pour la stabilité au Sahel.

Au moment de chercher des moyens pour lutter, il y a souvent des absents, critique Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la défense, dont l’armée est aussi en première ligne au Sahel contre les « groupes armés terroristes », avec un effectif de 3 500 soldats sur un territoire grand comme l’Europe. « Chacun doit être conscient qu’il faut, à un moment donné, renvoyer les ascenseurs aux pays qui s’engagent. »

Mutualiser les capacités sécuritaires

La France souhaite le renforcement des mécanismes de coopération militaire. Il s’agit officiellement de « rendre leur sécurité aux Africains », plus sûrement de partager un fardeau – le budget annuel des opérations au Sahel se monte à 563 millions d’euros. La France encourage les pays du « G5 Sahel » (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina) à mutualiser leurs capacités sécuritaires. Paris a, par ailleurs, proposé récemment de doubler son aide financière à la Tunisie pour lutter contre le groupe Etat islamique.

Les analyses convergent : il convient de répondre à l’urgence posée par la menace, de la Libye jusqu’au Cameroun, de la Mauritanie à la Somalie. Les opérations militaro-sécuritaires s’empilent donc sur le continent – nationales, bilatérales, régionales, européennes, onusiennes. Mais les interventions internationales n’ont pas vidé l’Afghanistan de ses talibans, et il en ira de même des djihadistes du Sahel, comme le souligne Bakary Sambe, de l’Observatoire des radicalismes et des conflits religieux en Afrique. Tous les experts présents à Dakar ont martelé l’évidence : il faut une « approche globale », de la justice, de l’éducation, de l’emploi pour la jeunesse. La radicalisation qui gagne les sociétés africaines relève de bien d’autres enjeux. La « guerre “médiatico-théologique” des groupes djihadistes est celle du temps long », assène Jean-Yves Le Drian.

L’approche globale demeure largement incantatoire. L’ONU vient de rappeler aux pays européens qu’ils ne tiennent pas leurs engagements en matière d’aide au développement. Les 57 milliards d’euros dépensés par l’Union européenne correspondent à la moitié de l’effort fixé. La France dépensera moins en 2016, pour la cinquième année consécutive.

Le temps long de la guerre au terrorisme semble ainsi se définir par l’addition de réactions de court terme. Les attaques de Boko Haram ou les visées de l’EI, très sérieux défis immédiats, absorbent attention et moyens. Et la force, indispensable autant qu’insuffisante, devient chaque jour plus dispendieuse.

 

 

 Nathalie Guibert

 

Source : Le Monde Afrique

 

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