Attentats de Paris : des Africains de la rue de Charonne témoignent

« Si l’attentat avait eu lieu en journée, beaucoup de Sénégalais seraient morts, car ils fréquentent le café La Belle Equipe. » Les propos d’Abdourahmane Koita font l’unanimité au sein des « 400 à 500 » locataires du foyer des travailleurs africains de la rue de Charonne, en majorité des Sénégalais et des Maliens.

Nous sommes à moins de 100 mètres de l’endroit où 19 personnes ont été tuées vendredi soir 13 novembre, à Paris.

Avec ses allures d’entrée de garage, l’immense plaque métallique qui sert de porte au foyer donne le ton. Trois bacs de poubelles attendent sur le trottoir.

L’allure soignée d’Abdourahmane contraste avec ce décor. Le quadragénaire de près de 1,80 m porte un costume coupé près du corps. Sa barbe bien taillée souligne les traits fins de son visage. Le jeune homme, chercheur en mathématiques et cadre du parti sénégalais Alliance pour la République, fréquente le foyer depuis « des années pour s’enquérir de la situation de [ses] compatriotes ». Pour entrer dans cette citadelle de silence où « on ne s’occupe que de ses affaires », Abdourahmane fait office de guide. Les locataires de la résidence sont ostensiblement méfiants. D’autant plus qu’ils « sont encore marqués par les événements ».

Au détour d’un couloir du troisième étage, un jeune a improvisé un salon de coiffure éphémère et taille les cheveux d’un ami installé sur un tabouret. Un peu plus loin, le bruit strident de la tondeuse ne semble pas perturber trois hommes en prière sur d’étroits tapis.

« Les tirs ont commencé Chez Gladines »

« Ce n’est pas notre islam », tranche tout net Ousmane Sidibé, la soixantaine. Le « sage Sidibé », comme on le surnomme au foyer, reçoit assis sur son lit, les jambes élégamment croisées, dans une grande chambre qui héberge deux autres hommes, un réfrigérateur et une télé branchée sur le discours de François Hollande devant les parlementaires français réunis en Congrès.

Dans cet espace qui tient du capharnaüm, une bonne place est faite, sur une haute étagère, à plusieurs livres de hadiths (traditions) du « prophète Mohamed » et à des exemplaires du Coran. « Notre religion ne nous a jamais autorisés à de telles barbaries, continue Ousmane. Certains d’entre nous vivent tranquillement dans ce quartier depuis plus de cinquante ans », Ousmane Sidibé, lui, est arrivé en France en 1976 et habite « au foyer depuis le 4 août 1984 ».

Ousmane Sidibé, la soixantaine, vit au foyer des travailleurs africains de la rue de Charonne depuis 1984. Il a suivi de sa fenêtre l'attaque du restaurant La Belle Equipe, vendredi 13 novembre 2015.

Après les premières détonations, Ousmane Sidibé s’est penché par la fenêtre qui donne sur la rue Charonne et sur le restaurant Chez Gladines : « Les gens couraient de partout. Une dame à bicyclette, piégée par les tirs, n’a pas trouvé d’autre abri que les bacs de poubelles sur le trottoir. » « Les kamikazes se sont arrêtés en premier devant Chez Gladines, témoigne Lassana, 34 ans, en France depuis 2006. On peut encore y voir des impacts de balles. Comme il n’y avait pas de clients en terrasse, ils ont continué leur macabre randonnée. » Cette version est confirmée par Idrissa et Modibo, deux jeunes Maliens qui préparent à manger dans la cuisine commune, au troisième étage. « Contrairement à ce qui est dit depuis le début, les tirs ont bel et bien commencé Chez Gladines », assure Modibo.

« Comme dans les films de guerre »

Si une bonne partie des locataires étaient devant le match de football France-Allemagne, certains comme Souleymane Yatera, 59 ans, préretraité qui vit au foyer de la rue de Charonne depuis quarante ans, ont été témoins de la suite de la fusillade à La Belle Equipe. En refaisant le chemin depuis le foyer, Souleymane raconte que c’est un café qu’il fréquente depuis des années. « Il s’appelait Le Méditerranée et a été repris par un nouveau propriétaire qui en a changé le nom il y a plus d’un an. » Ce vendredi soir, Souleymane y a justement rendez- vous. « En m’installant, je reçois un appel. Mon rendez-vous est déplacé dans un autre café, non loin de là. » Quinze minutes plus tard, attablé avec ses amis, il entend les premiers tirs, puis « un long moment d’une violence inouïe qui rappelait les films de guerre ». Après le départ des tireurs, Souleymane se précipe sur les lieux avec ses compagnons et constate « un spectacle horrible, du sang partout. Les blessés criaient à l’aide et on cherchait déjà des draps pour couvrir les premiers morts. »

Trois jours après, Souleymane garde un sentiment de « dégoût » : « Les gens étaient venus pour manger, discuter, s’amuser, et ils trouvent la mort. Et ces terroristes osent dire qu’ils l’ont fait au nom de l’islam ! Ce n’est pas celui que je pratique. » Lassana, le trentenaire, certifie qu’il « n’y a pas de verset dans le Coran qui légitime ce que les terroristes ont fait ». Ancien travailleur dans la sécurité, Lassana connaît l’une des victimes du Bataclan : « En 2007, nous avions travaillé ensemble au siège du journal L’Humanité. » Il explique que la menace terroriste est l’une des raisons qui l’ont poussé à changer de métier. « Je me suis inscrit à une formation pour devenir gestionnaire de paie. » Aujourd’hui il s’inquiète de la présence accrue de policiers « alors que certains parmi les habitants du foyer ou ceux qui viennent nous rendre visite n’ont pas de papiers ». Et redoute les amalgames sur les musulmans et l’image négative qui va rejaillir sur le foyer : « On n’était déjà pas bien vus dans le quartier, les choses ne vont pas s’arranger. »

Moussa Diop

 

Source : Le Monde Afrique

 

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