Cousinage à plaisanterie, une diplomatie sociale

Extraits de Transfert de normes et logiques d'acteurs en pays soninké : quand la décentralisation redistribue les équilibres politiques à l'échelle locale : Mauritanie, Mali, Sénégal par Abdoulaye Diagana, Université de Rouen, 2011.

 
Encadré 2 Cousinage à plaisanterie, une diplomatie sociale
 
De la diplomatie sociale ou quand le joŋu adoucit les mœurs (rapports de force et mécanismes de régulation)
 
Le besoin de gérer les affaires publiques au plus près et mieux à l’échelon local, oblige l’Etat moderne à composer avec la nature des sociétés traditionnelles qui ont développé en leur sein des mécanismes d’autorégulation longuement éprouvés. Les populations de cette région ont réussi à sauvegarder des traditions multiséculaires qui ne sont pas obsolètes. Celles-ci opèrent pour apaiser les mœurs en faisant régner un climat de paix et d’entente indispensable au vivre ensemble harmonieux. De même, elles sont mises à contribution pour rendre propice l’éclosion d’une gestion juste et équitable qui permette une bonne allocation de la ressource disponible et une juste répartition des responsabilités pour prévenir toute frustration pouvant naître du sentiment d’exclusion. Elles servent enfin à créer les conditions du libre exercice du commerce en garantissant les droits de tous les acteurs. Elles trouvent leur place même dans le cadre d’un État moderne marqué par la prééminence de la judiciarisation parfois mécanique, froide, implacable et intransigeante. La prévention et la gestion des conflits –quand on n’a pu les éviter- s’en trouvent renforcées. Il nous semble intéressant à ce stade de nous pencher sur la place du kalungoraaxu et du juŋu, « joking relationship » ou parenté à plaisanterie (Mauss).
 
Kallungoraaxu et joŋu ?
 
Le kallungoraaxu est une forme de relation qu’entretiennent des individus et qui leur donne le droit –les oblige parfois- à s’en prendre l’un à l’autre, à s’insulter parfois de façon vulgaire sans provoquer ni frustration, ni haine. Son but est de détendre l’atmosphère afin de faire passer, en cas de besoin, les pilules les plus amères (médiation en cas de conflits, sollicitations…). La relation peut naître de plusieurs manières :
 
-Par les liens du sang : entre cousins issus de germain (fils de la sœur et ceux du frère),
-Par les liens claniques : entre certains patronymes (au Guidimakha entre Diarra et Traoré, -Soumaré et Camara, Kebe et Gansoy, Fofana et Sylla à Boully surtout pour ce dernier cas)
-Par les relations entre ethnies : Kagoro et Diogorame…
-Entre pays ou villages : Diahunu et Sorodiamanu, Diahunu et Guidimé
 
A la différence du kallungoraxu le joŋu repose sur un pacte généralement scellé autour d’un repas et dont la violation attire la malédiction sur le contrevenant. Meillassoux (1993 consulté le 15 avril 2010) nous en rapporte un exemple :
 
« Lors de l’installation de Gumbu du Sahel, dans la mosquée de Tumakunda, quartier de la famille dominante, un serment fut prêté par la famille Dukure et par celle des Kamara qui l’accompagnait : "Que celui qui dit "que Gumbu soit comblé" que Dieu le comble. Que celui qui dit "que Gumbu soit brisé", qu’il soit brisé" »
 
Les pactisés se doivent mutuelle assistance que ce soit pour prendre les armes contre l’agresseur extérieur, payer dettes, impôts et prix du sang , intercéder en cas de litiges au sein du couple, entre membres de la famille…
 
Bien que présentant un aspect parfois superficiel et formel ou servant de prétexte à des messages subtilement glissés et sous lesquels se cachent des observations aigre-douce, cette pratique peut être inscrite dans une très ancienne tradition de camouflage et d’habillage du discours. Celle-ci a permis, de l’empire du Wagadu à la commune actuelle en passant par les empires du Songhaï et du Mali, de jouer le rôle de vigie permettant d’adoucir l’autorité du chef et de munir les faibles d’un recours presque imparable. Elle demeure surtout un mécanisme particulièrement intéressant dans le cadre de la prévention et de la gestion de multiples conflits en vue de s’assurer le contrôle des territoires et des ressources. Il n’est pas inintéressant de faire la redécouverte des ressorts traditionnels des sociétés de cette partie du continent dont l’esprit législateur semble établi au moins depuis le XIII siècle quand, sous l’impulsion de Sundjata Keita, les peuples du Mandé se réunirent à Kurakan Fuga (1236) pour se doter d’une Charte révolutionnaire qui donne une idée de la pensée politique de l’époque. Ce texte holistique fondateur présentait une véritable vision du monde, des méthodes de gestion de l’environnement naturel et bâti de même qu’une codification juridique des rapports entre les différents segments de la population : rapports de clan, de genre, de génération et familiaux (Annexe I page 403 de cette thèse).
 
Pour citer cet article, Abdoulaye Diagana, 2011, Transfert de normes et logiques d'acteurs en pays soninké : quand la décentralisation redistribue les équilibres politiques à l'échelle locale : Mauritanie, Mali, Sénégal. Thèse de doctorat, Université de Rouen. 2011, p107.

 

(Photo : Jury de thèse de Abdoulaye Diagana. De gauche à droite: Pr D. RETAILLE (directeur), Pr A.W. Cheikh (rapporteur), Pr O. LOUISET (présidente), Pr P. GONIN (rapporteur). Manque sur la photo Pr A. MBEMBE.)

 

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