Mauritanie : défiguration et retouche d’image

Ou la solitude d’un chef

Dans son ambition de visibilité diplomatique en Europe et plus généralement dans les vieilles démocraties de l’Occident, le Président mauritanien, secondé par une équipe d’agents d’influence[1], plutôt discrets jusque-là, s’apprêterait à honorer, de sa présence, un colloque à l’Assemblée nationale de France.

 
Ici, et au Sénat, les cabinets des praticiens de l’entremise, tiennent, presque chaque semaine, de ces réunions où l’on dispute de tout et souvent de rien. L’économie de la solennité compassée et du verbe convenu nourrit son petit monde d’experts. Celui-ci se compose, pour l’essentiel, d’avocats d’affaires, de magistrats et diplomates à la retraite, de journalistes de moralité ductile et d’élus en quête d’un peu de beurre dans les épinards secs d’une profession de vent et de bluff. Grouille, ainsi sous les lambris, un microcosme laborieux de « communicateurs » et de « consultants », en mal d’émolument fixe et dont les antennes frémissent puis vibrent, par le réflexe d’une vigilance ultra-sensible à la moindre source de profit. Tous escomptent un revenu non imposable, donc, si possible, un appointement en espèces.
 
Les membres de groupes d’amitié avec les pays de l’hémisphère sud excellent en la profession, vague, de l’entregent, de la recherche d’audience avec tel ou tel ministre de la République. Ils parviennent, parfois, acmé de l’héroïsme, à négocier des encarts publicitaires ou quelque éloge furtif, dans une publication de renom. Quand ils réussissent à égratigner l’honneur et la crédibilité d’opposants en vue, la gratitude des pouvoirs tropicaux les récompense – souvent, pas toujours – au-delà de l’effort. Il arrive aussi que le service ne corresponde à la facture et cette réputation d’un métier surfait ne participe qu’assez de son discrédit. Aujourd’hui, l’offre dépasse la demande de dirigeants en déficit de notoriété mais dont les ressources s’amenuisent, à mesure que baisse le cours des matières premières et s’aiguise la vigilance citoyenne. Il n’est plus aisé de gagner le sesterce de la crédulité africaine. Des agences de publicité locales ou de la diaspora font désormais concurrence au « sorcier blanc » d’où s’impose, de plus en plus, le pragmatisme de leur connivence, à trois.
 
Mohamed Ould Abdel Aziz s’apprête, donc, à se faire célébrer, le 19 octobre à Paris. La réunion vient à point nommé, pour redorer un blason vermoulu par la mite des présomptions de gabegie. Ces dernières semaines, des quotidiens de référence mettent en lumière les indices d’une corruption – minière – dans l’entourage du Général. Des journaux mauritaniens s’empressent d’imputer la polémique à l’activisme de ses deux principaux adversaires. L’affaire Kinross, révélée, le 2 octobre 2015, par le Wall Street journal, ne devrait en rester au stade de la spéculation, d’autant que la justice américaine prétend s’en saisir.
 
Si le Colonel Ely Ould Mohamed Vall, ancien Président de la transition (2005-2007) et ex Directeur général de la sûreté de l’Etat (Dgsn) ne fait mystère de son aversion pour le Président-général Ould Abdel Aziz, l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou agirait dans l’ombre d’un vaste réseau de relations, notamment en Europe. L’action – conjuguée – des deux concourt, par coups de canifs successifs, à écorner, y compris en Mauritanie, le bilan et la réputation du « Président des pauvres ». Ce dernier tente de reconquérir, le temps d’achever son dernier mandat, les miettes d’un prestige bien compromis par des inclinations néo-patrimoniales et une réputation à frayer, désormais seul, par défaut de concurrents, dans le marigot du capital privé national. En marge d’une réception diplomatique à Nouakchott, un officier redevenu civil au terme d’une carrière exempte de bravoure, confiait, non sans amertume, à un petit groupe de plénipotentiaires cois : « Notre Président possède toutes les qualités du commandement, son courage n’est plus à démontrer mais qu’est-ce qui le distingue, aussi nettement, de ses prédécesseurs, de Mokhtar Ould Daddah à nos jours ? C’est lui, le premier Président de Mauritanie qui soit rompu à tous les expédients pour s’enrichir et consacre autant de soin à éviter de finir pauvre » ! Naturellement, l’orateur relatait le fait d’armes sur le ton d’une fierté à peine pudique.
 
Encore une fois, la capitale bruit de l’habituelle rumeur de putsch qu’anticiperait, dans une course constante contre la fatalité, la récente régulation du commandement, suite au départ, à la retraite, d’une fournée d’officiers supérieurs. Pour les sceptiques, il ne s’agirait que d’une valse parmi d’autres, depuis l’accession au pouvoir, de l’ancien seigneur des prétoriens, après l’éviction, en août 2008, de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, un civil élu, dès 2007, avec le concours actif de l’armée.
 
Dans un contexte trouble où se dessine l’audace sulfureuse d’une intervention de soldats mauritaniens pour le compte de la coalition arabe au Yémen, Ould Abdel Aziz renoue avec le risque et s’expose, plus que jamais, à l’instar du Sénégal dont la participation militaire atteindrait 2000 hommes. En contrepartie d’une contribution de l’Arabie Saoudite au bouclage de fins de mois précaires, le Général irait jusqu’à rompre ses relations avec l’Iran, comme le suggèrent des commentateurs avisés.
 
Le 19 octobre, à Paris, il faudra bien davantage que l’universel ex-juge Jean Louis Bruguière ou le commutable député socialiste François Loncle, pour extirper Ould Abdel Aziz du cycle du déclin. Les circonvolutions attendues sur l’efficacité de la riposte mauritanienne au terrorisme saharo-sahélien ne suffiraient à prolonger le sursis, ni l’adoucir. Le colloque de l’Assemblée nationale survient un peu tard, comme à contretemps d’une usure depuis longtemps à l’œuvre.
 
Quelques malins, instruits par l’actualité insurrectionnelle sur le Continent, se proposent de « vendre » un produit de dernière minute, en l’occurrence renouveler la promesse – à ce stade timide – d’empêcher toute révision de la Constitution, qui rallongerait l’exercice de l’Etat au-delà de deux quinquennats consécutifs. Ainsi, le Général apparaîtrait en contrepoint recommandable, à ses homologues, presque tous usés par l’effort de leur maintien au pouvoir ; grimé avec de si nobles atours, il se prévaudrait, à juste titre d’ailleurs, de quelque succès dans la lutte contre les mouvements armés du Nord Mali.
 
Evidemment, à y observer de près, une telle fortune se paye au prix, vénéneux, d’une « salafisation » en douce de la société, conséquence de l’entière liberté de manœuvre dont dispose la mouvance islamo-conservatrice, sur les média privés, le magistère religieux, l’enseignement traditionnel, le commerce et l’appareil de justice. Par de fréquents appels au meurtre et la diffusion d’une culture de la haine qu’aucune loi ne sanctionne en Mauritanie, l’influence wahhabite érode, jour après jour, le socle de la pratique locale et prépare les esprits à vulgariser, banaliser, démocratiser, l’usage de la violence, au nom du sacré. A maintes reprises, lorsque des hommes de religion ont excité la foule au vandalisme et à l’homicide, le Président Ould Abdel Aziz, s’est placé en position de surenchérir, sur un crédo identique, confortant ainsi la légitimité d’une obédience qui produit du terrorisme. Certes, l’on pourrait souligner, à sa décharge, d’autres noms de Chefs d’Etat arabes et musulmans, toujours en train de se débattre dans cette contradiction, d’y tourner en rond, sans espoir de réchapper.
 
A l’occasion de la rencontre de Paris, quelque argent circulera, des plumitifs de la complaisance écriront de quoi alimenter, l’espace d’un ennui, un filet de jactance mousseuse autour d’un thé ; ensuite, l’amère réalité reprendra le dessus, jusqu’au moment – traître – de la chute.
 
Des intervenants pressentis se plaignent, déjà, de la modicité du pécule perçu à titre d’avance sur prestation, tandis que d’autres supplétifs de l’évènement tremblent à la perspective d’une rétribution frugale. Le Président Ould Abdel Aziz ne serait porté sur la dépense, se moque-t-on, en Mauritanie où la libéralité coiffe toutes les vertus. Non, objectent ses partisans, icelui se garde de dilapider le bien public et veille aux comptes parce qu’il s’est frotté, dans une autre vie, à l’urticante expérience de l’embarras !
 
Or, en communication politique, comme à l’épicerie, qui débourse moins repart insatisfait. De surcroît, il est des abords tant ravagés que Photoshop n’y peut embellir. Franchi un stade de déconfiture, le ravalement et le vernis ne suppléent la perte de substance.
 
Mohamed Ould Abdel Aziz, emmuré dans son Palais qu’encerclent des légions d’ennemis insaisissables, semble à court de souffle, son pain blanc, depuis épuisé.
 
Alors, comment tiendrai-je, jusqu’en 2019, se demande, plus solitaire que jamais, le Président hardi ?
 
Les vers fameux d’Alfred de Vigny sonnent, ici, comme une oraison :
 
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus, dans le sable enfoncées
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris.
 
 
Etudes mauritaniennes, Octobre 2015
 
 
[1] Aujourd’hui, l’on préfère un vilain mot, « lobbyiste » qui évoque la vidange auriculaire.
 
Mise à jour: éviction de Sidi Ould Cheikh Abdallahi en 2008 et non en 2009.

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