Aminetou Ely, une vie de femme rebelle

Mariée à 13 ans, mère à 14 ans, cette enfant d’une grande famille traditionnelle mauritanienne s’est transformée en activiste féministe et anti-esclavagiste

Pourquoi elle ? Pourquoi Aminetou Ely fut-elle la seule rebelle parmi les huit enfants de sa grande famille conservatrice mauritanienne ? Aujourd’hui, à 58 ans, elle ne se l’explique pas vraiment. « Je suis née rebelle  ! »

Et le fossé ne s’est jamais refermé. « Ils me disent que je ne peux pas changer le monde », s’attriste-t-elle. Selon sa famille, ses combats pour l’émancipation des femmes et contre l’esclavagisme persistant en Mauritanie sont au mieux « une perte de temps ». Beaucoup veulent la faire taire.

Le chef des « Amis du prophète », un courant salafiste violent, a même édicté une fatwa de mort à son encontre en juin 2014, l’obligeant depuis à se déplacer en voiture et avec garde du corps dans Nouakchott, grâce au soutien financier d’ONG des droits de l’homme telles qu’Amnesty International.

Comment, moi, femme, puis-je parler  ?

Son crime  ? Avoir réclamé un procès équitable pour un jeune homme qui croupit pour apostasie en prison. « Comment moi, une femme, ai-je pu parler alors que pas un homme ne s’est publiquement exprimé  ? ironise-t-elle. Tout le monde a peur en Mauritanie à cause du salafisme extrémiste qui prospère sous la bienveillance des autorités. »

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Depuis un an, sa plainte n’a pas été traitée. Et elle a dû envoyer aux États-Unis son fils de 18 ans, qui prenait publiquement sa défense, pour lui sauver la vie.

Celle que des ONG de plusieurs continents ont hissée au rang de candidate au prix Nobel de la paix garde sa révolte intacte depuis, qu’adolescente, elle s’échappait du domicile parental pour rejoindre les rangs des manifestants de l’opposition dans les rues. Son père alors la blâme et la frappe, et la police n’hésite pas à la jeter plusieurs fois en prison pour trouble à l’ordre public.

« La lutte est un sacrifice »

À 13 ans, lorsqu’elle est mariée à un vieil ami de son père, elle voit dans ce départ du giron familial « une sorte de libération ». À 14 ans, Aminetou est mère d’une petite fille. Elle aura trois autres enfants de deux autres mariages qui ne durèrent pas non plus.

En 1991, lors des massacres contre les minorités noires, aux premières loges des manifestations, elle est de nouveau arrêtée et torturée. Trop harcelée par la police, elle achète un faux passeport et prend le nom d’Aminetou Mint el Moctar. « J’ai voyagé partout avec ce faux passeport  ! » sourit-elle, fière de son stratagème. Mais elle ajoute  : « la lutte est un sacrifice ».

Sa cause largement reconnue lui a valu le prix français des droits de l’homme en 2006, la médaille de chevalier de la Légion d’honneur et un prix du Héros américain pour son activisme contre l’esclavage en 2010. En 2009, elle fut classée parmi les 500 personnalités musulmanes les plus influentes par le centre royal jordanien d’études stratégiques.

« Notre société encourage l’impunité »

C’est sous sa fausse identité qu’elle crée, en 1999, l’association des femmes chefs de famille (AFCF), qui dispose depuis de six centres, deux dédiés aux enfants, quatre aux femmes, dont l’un spécifiquement pour les victimes de l’esclavage.

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Cette année-là, elle assiste à un procès intenté par une jeune mère pour obtenir une reconnaissance de paternité pour ses deux enfants. La jeune femme était morte terrassée à l’annonce du verdict de refus.

« Nous vivons dans une société de totale impunité. Les femmes n’ont pas accès à la justice. Quand une fille est violée, c’est la faute de ses parents qui n’ont pas assumé leur parenté. Le mariage précoce est, lui, censé protéger la famille et son honneur. L’arsenal de lois adoptées contre l’esclavagisme est uniquement une vitrine pour l’international. Les militants anti-esclavagistes sont arrêtés et il y a encore des enfants qui naissent esclaves en Mauritanie.».

D’autres femmes à ses côtés

À force de dénoncer la traite sexuelle des fillettes et des jeunes filles envoyées en Arabie Saoudite, elle perd en 2009 un emploi de directrice d’un projet de développement qui était financé par le Qatar. Mais elle a obtenu que quatorze filles, dont la plus âgée avait 14 ans, soient rapatriées.

D’après elle, environ 300 jeunes femmes descendantes d’esclaves seraient encore détenues abusivement en Arabie Saoudite.

Sa dernière victoire est l’annulation pour maltraitance à enfants de deux mariages de fillettes de 9 et 10 ans. Des femmes l’ont rejointe dans son combat. Elle les compte une par une en Mauritanie  : elles sont 12 782.

 

Source : La Croix (France)

 

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