Douces « vérités », « vérités » tardives et troublantes de monsieur Gay El Hadj

(Réponse à Gay El Hadj, ex-gouverneur adjoint)

Première partie

Pourquoi faut-il répondre à monsieur Gay El Hadj ?

 

Des amis, des proches, des connaissances nous ont demandé publiquement ou discrètement de ne pas donner suite aux propos tenus par monsieur Gay El Hadj, ancien gouverneur adjoint du Hodh El Chargui en 1988, et tout nouveau gouverneur adjoint de la wilaya de Nouakchott Nord…, dans un article intitulé «La fin tragique de Teen Yussouf Gueye et les contre-vérités de Boye Alassane Harouna ». Leur souci, légitime, s'entend : éviter d'entretenir une polémique futile. Et louable est leur appréhension de voir le réveil tardif de monsieur Gay El Hadj donner lieu à des glissements sur des échanges portant sur des sujets anachroniques, au moment même où le pays s'expose à l'une de ces crises politiques dont il est coutumier et qu'il semble affectionner ; au moment où injustices sociales et discriminations ethniques s'accentuent.

Il est vrai que la prise de parole de M. Gay El hadj, intervenant 27 ans après le déroulement des faits en question (1988), et 16 ans après la parution de mon livre (1999) dont il pense qu'il contient des contrevérités quant à son rôle et son comportement par rapport aux faits visés, mérite à juste titre d'être souverainement ignorée. Incontestablement ses propos n'ont d'intérêt, et encore, que pour ceux dont monsieur Gay El Hadj est le porte-voix, le porte-plume, l'obligé et le pantin. Ceux qui, tapis dans les sous-sols, ont jugé opportun de l'envoyer croiser le fer. Ceux à qui il doit sa récente promotion qui fait de lui un nouveau gouverneur adjoint. Puisse-t-il dans l'exercice de sa nouvelle fonction s'inspirer de son expérience d'il y a 27 ans à Néma. Et faire montre auprès de ses administrés de plus d'empathie, de proximité et d'humanité…

Mais il faut répondre à Gay El hadj pour plusieurs raisons. En voici quelques-unes.

1. le réveil de M. Gay est à ce point tardif qu'il pose des interrogations légitimes quant à ses motivations réelles.

En effet, si le souci de Gay El Hadj était simplement de rétablir la vérité, en dehors de toute polémique ; si sa volonté était de corriger une injustice par moi commise à son égard, d'après lui, sans tambour ni trompette, sans faire du buzz, n'eût-il pas été plus indiqué de me saisir directement, de me demander de clarifier ou de préciser davantage tel passage du livre pour lever éventuellement tout soupçon … qui pourrait peser sur lui dans cette affaire ? Je lui aurais alors proposé une déclaration publique, si tel était son souhait, déclaration qu'il aurait pu cosigner, dans laquelle j'aurais fait apparaitre que ni lui ni le défunt qu'il convoque à mauvais escient et d'une manière indécente n'étaient visés par mes propos. Et c'est là que se situe le terrible quiproquo, artificiel, sciemment provoqué par monsieur Gay — pour jeter la poudre aux yeux et faire accroire qu'il est affecté. Ce quiproquo nous conduit à la deuxième raison.

2. Monsieur Gay se présente à la fois comme victime, avocat, procureur et juge. Cela ne fait-il pas trop pour qu'il soit cru ? Il verse tout entier dans la victimisation et dans la minauderie à telle enseigne que son intervention suscite par son étrangeté des questionnements incontournables sur sa crédibilité, sa bonne foi.

3. L'article de Gay El Hadj se décompose en trois parties, que nous aborderons en le suivant pas à pas. Notons dès maintenant que chacune de ces parties fait apparaître des incohérences, des contradictions, des interrogations et des hors-sujet (la convocation du MND, par exemple) introduits pour divertir, noyer le poisson.

Toutes ces considérations appellent une réponse. Elle vise à apporter des précisions et des clarifications.

Mais avant, qu'il nous soit permis de faire mention de l'observation suivante. Elle est capitale. 27 ans après les faits en question, je n'ai jamais su que c'était monsieur Gay El Hadj, dont je ne garde aucun souvenir, qui était le gouverneur adjoint basé à Néma. Ni que c'était feu Sarr Demba qui y était préfet. C'est Gay El Hadj qui me l'apprend par la publication de son article. Cette considération à elle seule pulvérise le fantasme ou la paranoïa feinte de monsieur Gay : celle qui l'amène à affirmer, larmes de crocodile aux yeux, que je l'incrimine. Ce qui m'importait quand j'ai évoqué la vacance « de/du » pouvoir sur laquelle je reviendrai, c'était plus les fonctions administratives que les personnes qui les incarnaient. Croire donc qu'il y avait acharnement sur votre personne, monsieur Gay, en convoquant pour valider vos affirmations des faits anthropologiques (titres et fonctions, alliances et relations entre détenteurs de titre, entre clans au sein d'une caste, dans notre société traditionnelle), cela relève de la fantasmagorie ou de la paranoïa. Mais aujourd'hui que Gay El Hadj sort de son hibernation de 27 ans ; et retrouve ses esprits après une somnolence et un silence assourdissant de 27 ans pour se présenter devant nous, et nous présenter, en victime, sa version des faits, le cœur plein de larmes artificielles, qu'il souffre que je lui dise ce que je pense de ses propos.

L'article de Gay El Hadj, avions-nous indiqué, se décline essentiellement en trois parties : I. Son « film des évènements ». II. Mes « contre-vérités ». III. Sa vision de l'« avenir pour la Mauritanie ». Suivons-le dans son développement de ces trois chapitres.

I. A propos du « Film des évènements » présenté par monsieur Gay El Hadj

Il ressort des circonstances de l'évacuation médicale de Ten Youssouf Gueye, telles que relatées par monsieur Gay El Hadj, le constat suivant.

a) Si nous relevons au vu de ce qu'expose monsieur Gay une certaine diligence dans l'échange de « messages codés » entre lui et son ministère, force est de constater l'absence d'une réaction prompte à la mesure de la gravité de la maladie de Ten Youssouf Gueye aussi bien au niveau de monsieur Gay lui-même qu'au niveau de sa hiérarchie.

Que fait monsieur Gay quand le lieutenant Oumar ould Boubacar lui fit le « compte rendu de sa visite au Fort de Oualata » non pas le 30 septembre 1988, comme il l'écrit par erreur, mais le 30 août 1988, en insistant « sur le cas de  Teen Yousouf Guèye » et en lui demandant d'agir rapidement ? Monsieur Gay se lie les mains par une procédure administrative : il demande au lieutenant Oumar Ould Beibacar  « un rapport écrit sur la situation des détenus du fort de Oualata ». Ainsi perd-il une heure précieuse (puisque selon lui le rapport lui a été remis une heure après qu'il l'a demandé) devant une situation alarmante, qui exigeait une décision rapide.

Monsieur Gay nous apprend qu'il était à peu près 10 heures quand le lieutenant Oumar lui a remis le rapport écrit qu'il lui avait demandé une heure plus tôt, c'est-à-dire à 9 heures. Que déduire de cela ? A 9 heures du matin le mardi 30 août 1988, après que le lieutenant Oumar lui a exposé oralement la situation alarmante de Ten Youssouf Gueye, 6 heures s'écoulèrent avant que la décision d'évacuation médicale ne soit prise au niveau du ministère de l'intérieur. En effet, monsieur Gay nous informe que c'est au terme d'un interminable échange de « messages codés » entre lui et le ministère de l'intérieur que « La mission d'évacuation quitte Néma vers 15 heures ». 6 heures perdues, avant que la « mission » d'évacuation sanitaire quitte Néma pour aller chercher TEN à Oualata.

Des procédures et des pratiques encadrent et régissent le fonctionnement de toute institution. Mais elles ne doivent jamais entraver ou retarder la prise de décisions dont l'exécution est rendue urgente et impérieuse par une situation donnée. Ces procédures et pratiques doivent se compléter en cas d'urgence absolue par d'autres, moins bureaucratiques, plus expéditives. Celles-là perdent temporairement leur primauté et cèdent la place à celles-ci. En d'autres termes, en l'occurrence, monsieur Gay aurait dû, dans un premier temps, et devant l'urgence et la gravité de la situation, prendre en compte le compte rendu verbal du lieutenant Oumar, et informer immédiatement et verbalement sa hiérarchie. L'application des procédures administratives habituelles (compte rendu écrit, « messages codés », etc.) vient après que l'urgence aura été gérée par des échanges verbaux. Avantage : gain de temps considérable, rapidité dans le traitement de la situation ciblée. Dans notre cas d'espèce, vous aviez affaire à un malade, M. Gay. Plus vite il est présenté au médecin, mieux c'est. Cela est connu de tous. De même qu'il n'échappe à personne qu'en pareille circonstance, dans une course pour préserver une vie humaine, chaque seconde est décisive.

Le système de communication dans nombre d'institutions du pays, dans la période qui nous intéresse ici, était basé sur le message — codé ou non. Mais cela, y compris dans l'armée, n'a jamais empêché les différents responsables de quelque échelon qu'ils fussent de communiquer par voie radiotéléphonique. Rapports et messages suivent après.

b) Ten Youssouf Gueye : de la prison de Oualata à la prison de Néma

Monsieur Gay El Hadj nous révèle que les « directives précises » qui lui ont été envoyées par message lui indiquaient que Ten Youssouf Gueye devait être évacué et placé « à la prison civile de Néma en attendant l'arrivée de l'avion….».

Quitter une prison pour bénéficier d'un traitement approprié et se retrouver non pas dans « une chambre », comme le dit Gay El Hadj, mais dans une cellule d'une autre prison, qu'une telle contre-indication ne soit pas perçue par la hiérarchie de monsieur Gay, c'est l'évidence même. Que monsieur Gay ne soit pas parvenu à convaincre sa hiérarchie que l'état de santé du malade, inoffensif et incapable de s'évader, qui plus est, était tout ce qu'il y avait d'incompatible avec une « mise en cellule », en position d'attente, dans la prison civile de Néma, concédons-le-lui. Mais que monsieur Gay, qui a lui-même accueilli le malade à son arrivée (selon lui), a lui-même constaté l'extrême gravité de son état, n'ait pas pensé ou osé prendre la responsabilité de l'installer ailleurs que dans une « cellule » de prison, cela fait incontestablement de lui un exécutant béni-oui-oui, mais pas un administrateur capable, confronté au tragique d'une situation, de faire montre d'humanité dans l'accompagnement d'un prisonnier malade sur le point de rendre son dernier soupir — quitte à passer outre aux « directives précises » de sa hiérarchie lointaine.

Et quand vous avouez vous-même que des « directives précises » venant de votre hiérarchie vous intimaient l'ordre de placer TEN « à la prison civile de Néma en attendant l'arrivée de l'avion… », vous admettez explicitement ici ma thèse que vous contestez ailleurs : « Conséquence tragique d'une telle vacance de pouvoir et du refus des responsables administratifs sur place d'engager leur responsabilité : Ten Youssouf Gueye agonisant, évacué d'un fort-mouroir pour être hospitalisé, se retrouva, malgré son état, dans la prison des détenus de droit commun de Nema » (P.132). C'est cette thèse qui vous indigne, suscite votre courroux et vous fait dire que je vous accuse injustement.

Or vos propos font apparaître que l'ordre reçu vous dédouane. Il fait de vous, et de vous seul, un empêché. De cela provient la justification de mon expression : « refus des responsables administratifs sur place d'engager leur responsabilité ». Pourquoi alors venir se présenter en victime et crier au scandale ? Parce qu'il y a problème, M. Gay El Hadj. Problème dont vous êtes conscient mais que vous tentez vainement d'occulter, monsieur l'ex-gouverneur adjoint et nouveau gouverneur adjoint. Et ce problème vous culpabilise, de facto. En effet, sur le terrain, face à ses administrés, à l'urgence, un responsable digne de ce nom doit savoir et pouvoir contourner des « directives précises » mais incongrues, saugrenues, absurdes voire mortelles pour les citoyens, qu'ils soient détenus ou non. Ce que vous n'avez pas su ou osé faire. Face à une situation concrète, grave et urgente, vous vous êtes comporté en administrateur béni-oui-oui en vous contentant des « directives précises » venues des bureaux de votre hiérarchie de Nouakchott.

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Boye Alassane Harouna

 

(Reçu à Kassataya le 7 octobre 2015)

 

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