Quelle naïveté ! Comment Barack Obama a-t-il pu se laisser berner à ce point par Poutine en Syrie ? Pourquoi ses services de renseignement, pourtant si richement dotés, ont-ils été si aveugles des intentions et des capacités réelles des Russes dans la région ? La débâcle américaine en Syrie laisse pantois.
La Maison Blanche a laissé la main
Incapable de gagner militairement ou diplomatiquement, la Maison Blanche a abdiqué au début de l’été. En juin, elle a laissé la main aux Russes. Poutine a fait venir toutes les parties au Kremlin, même le roi Salmane et le patron de la force Al Qods, le général iranien Soleimani, pourtant sous sanctions internationales. L’envoyé spécial de Moscou pour le Moyen Orient, Mikhaïl Bogdanov, a fait la tournée des capitales de la région pour tenter de bâtir un compromis. Il était prêt à céder sur beaucoup de choses, sauf sur le maintien de Bachar al-Assad au pouvoir. Riyad a dit non. Et les Occidentaux ont suivi des Saoud (pour d’excellentes raisons morales, faut-il le préciser.)
Les rumeurs de l'été
L’administration américaine a cru que, face au mur saoudo-occidental et étant donnée la déroute de son économie, Poutine ferait marche arrière. Courant août, la Maison Blanche s’est mise à parler de sortie "négociée" de la crise syrienne.
C’est sûr, Moscou est prêt à lâcher Bachar", affirmait-elle en off.
"Peut-être pas tout de suite, précisait-elle, mais, disons, dans six mois". Et le Kremlin jouait le jeu. "Nous ne sommes pas mariés avec Bachar", chuchotaient les officiels russes. Mais ce n’était que pour gagner du temps.
Les confidences d'un conseiller élyséen
Au même moment, les avions et les armes russes arrivaient en masse dans le réduit alaouite. Simple gesticulation, assurait-on côté occidental. Un conseiller de François Hollande nous disait encore début septembre, sûr de son fait, que l’activité militaire russe en Syrie n’avait "aucune importance". Selon lui, ce n’était là qu’une préparation à la grande négociation qui allait commencer. Bref, à Paris comme à Washington, on ne voyait rien venir.
Bachar contre le Donbass
Mi-septembre, on attendait encore Poutine sur le terrain diplomatique. Qu’allait-il dire à l’ONU ? Et à Obama lors de leur premier tête à tête depuis deux ans ? Evidemment, le président russe allait mettre de l’eau dans sa vodka. Accepter d’échanger Bachar contre le Donbass et la levée des sanctions. Pourtant, pendant ce temps, le matériel et les conseillers militaires russes continuaient de s’accumuler près de Lattaquié. Gesticulations, continuait-on de dire, côté occidental. Jamais Poutine ne s’engagera sur le terrain. Il prépare le retrait en douceur de Bachar voire l’exfiltration des Russes de Syrie.
Le génie tactique de Poutine
C’était gravement méconnaître la duplicité et le génie tactique de Poutine. Le président russe a vu le désarroi des Européens face à la crise des réfugiés et il connait la paralysie de la diplomatie américaine engendrée par une campagne présidentielle qui commence. Il a abattu ses cartes au tout dernier moment. A la surprise générale (et après avoir averti Washington une heure avant seulement), les Russes ont commencé à bombarder en Syrie. Pas Daech mais les alliés syriens des Occidentaux, et plus précisément les rebelles qui avancent péniblement vers Damas et menacent de renverser le régime de Bachar.
Et ce n’est pas fini. Quand l’aviation aura préparé le terrain, l’infanterie de marine et les troupes spéciales russes vont, semble-t-il, entrer en scène. A leur côté, il y aura bientôt des troupes iraniennes, qui selon différentes dépêches, se préparent, elles aussi, à avancer. Jusqu’où ? Personne ne le sait.
La lutte à mort
Obama n’a pas compris la vraie nature du régime Poutine. Son clan est prêt à tout pour garder le pouvoir et les richesses qu’il a indûment accumulées. Il a été effrayé par les manifestations de décembre 2011, à Moscou, exigeant son départ. Il y a vu un complot des Américains contre lui. Il luttera donc jusqu’au bout pour défendre ses amis menacés par Washington, et avant tout les Assad. Pour faire comprendre, une fois pour toutes, aux Occidentaux et à son peuple, que, lui, Poutine, ne se laissera jamais renverser.
Vincent Jauvert
Source : Nouvel Obs
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