Les accords de Schengen vacillent sous le poids de la crise des migrants

CRISE DES MIGRANTS – "Si l’on n’arrive pas à une répartition équitable des réfugiés, alors la question de l’avenir de Schengen se posera. " La menace, prononcée par Angela Merkel à la fin du mois d'août, est en passe de se réaliser.

Après avoir ouvert grand ses portes aux réfugiés fuyant la guerre, l'Allemagne a brusquement changé de position en instaurant ce week-end un contrôle strict le long de sa frontière avec l'Autriche. Objectif assumé par Berlin: "contenir" le flux de migrants qui s'est accéléré après la promesse de la chancelière d'accueillir les réfugiés politiques tout en mettant la pression sur l'UE afin d'aboutir à une répartition équitable des migrants sur l'espace communautaire.

Techniquement, ce rétablissement de contrôles aux frontières ne constitue pas une remise en cause des accords de Schengen qui ont rendu possible l'un des principaux acquis européens, à savoir la libre circulation des individus au sein de l'Union européenne. La décision de l'Allemagne s'appuie au contraire sur l'une des dispositions des traités européens qui autorise les Etats-membres à rétablir un contrôle humain limité dans le temps en cas de "situation d'urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers". La France elle-même y a eu recours en 2011 au lendemain des Printemps arabes pour filtrer les entrées sur son territoire à la frontière italienne.

"La situation actuelle en Allemagne semble à première vue couverte par les règles susmentionnées", a validé a posteriori la Commission européenne de Jean-Claude Juncker.

Angela Merkel "ne ferme pas la porte (aux migrants), elle rétablit aux frontières des dispositifs de contrôle de manière à s'assurer que ceux qui viennent sur le territoire allemand ont bien le statut de réfugiés et que les pays en amont ont respecté les règles de Schengen", assurait ce lundi 14 septembre sur RTL le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Autrement dit: l'Allemagne ne remet pas en cause Schengen, elle s'assure au contraire du respect élémentaire de ses règles.

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Des accords déstabilisés par les mauvais élèves

Mais n'en déplaise au ministre de l'Intérieur, la décision de la chancelière allemande, prise à dessein à la veille d'une réunion des ministres de l'Intérieur de l'UE, témoigne surtout de l'incapacité de l'Union européenne à réguler l'arrivée quotidienne de milliers de candidats à l'exil ainsi qu'à définir des règles communes pour répartir équitablement cette pression migratoire. Un constat d'échec pour Schengen et la politique migratoire européenne.

C'est bien "l'inaction européenne dans la crise des réfugiés [qui] a aussi conduit l'Allemagne aux limites de ses capacités", accuse le vice-chancelier allemand, Sigmar Gabriel, dont le gouvernement plaide inlassablement pour des quotas contraignants qui permettraient de soulager Berlin.

Débordée par l'afflux de migrants, l'Allemagne reproche aux Etats-membres aux frontières de l'espace Schengen de ne pas joueur leur rôle de filtre. Les traités prévoient en effet que les demandes d'asile soient déposées dans le premier pays d'entrée de l'UE. Problème, les services de ces pays sont eux-mêmes saturés et/ou ont parfois pris des mesures unilatérales pour empêcher les réfugiés d'accéder à leur territoire, au mépris des règles européennes sur le droit d'asile. "C’est faute du respect [de ces règles] que l’Allemagne a décidé d’établir temporairement des contrôles à ses frontières, sans procéder à leur fermeture", défendait ce dimanche Paris qui milite avec Berlin pour que l'Europe finance des centres d'accueil et de tri des réfugiés aux portes de l'UE.

Une manière de contourner la mauvaise volonté de certains Etats-membres. Non contente de rendre quasiment impossible l’obtention du droit d’asile en érigeant un mur anti-migrants, la Hongrie de l'ultra-nationaliste Viktor Orban est notammée accusée par le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) de transporter directement certains migrants depuis la frontière serbe jusqu'à la frontière autrichienne. Or, sans un contrôle effectif aux frontières extérieures de l'UE et faute d'un système de répartition du grand nombre de réfugiés, le flux de migrants se propage sans contrôle au sein de l'espace communautaire, menaçant de déstabiliser les pays les plus attractifs comme l'Allemagne et, dans une moindre mesure, la France.

Les anti-Schengen montent au front

En attendant, la décision unilatérale d'Angela Merkel, interprétée par beaucoup comme un revirement, fait tâche d'huile au sein d'un espace Schengen déjà fragilisé. "Suite à l'annonce par l'Allemagne de la réintroduction temporaire de contrôles à ses frontières avec l'Autriche, la Slovaquie a introduit des contrôles temporaires sur ses frontières avec l'Autriche et la Hongrie", selon un communiqué du ministère slovaque publié lundi. La veille, la République Tchèque avait fait de même et ce lundi, l'Autriche a à son tour décidé de rétablir des contrôles.

Ce chacun pour soi, aggravé par l'absence de coordination européenne, donne de sérieux arguments aux partisans d'une refonte voire d'une suppression des accords de Schengen. Favorable à une sortie pure et simple de l'espace communautaire, Marine Le Pen a ironisé sur une Allemagne "soudainement rattrapée par la réalité de sa folie migratoire". La présidente du Front national en profite pour réclamer que Paris "rétablisse ses frontières, notamment avec l’Allemagne pour éviter que le trop-plein de clandestins dont elle ne veut plus ne vienne chez nous".

Un scénario jugé "stupide" par le ministre Bernard Cazeneuve, celui-ci pointant le faible nombre de transferts de réfugiés entre l'Allemagne et la France. Quant au rétablissement permanent des frontières intérieures comme l'exige le FN, cela aurait "un coût considérable" et "bloquerait complètement le fonctionnement économique des échanges" au sein de l'UE, rappelle Bernard Cazeneuve.

Mais chez Les Républicains, où Nicolas Sarkozy plaide depuis 2012 pour une remise à plat des accords de Schengen, l'acte de décès des ces accords sous leur forme actuelle est d'ores et déjà dressé. Pour le député Eric Ciotti, partisan d'une ligne ferme vis à vis des réfugiés, la décision allemande met "clairement en cause un Schengen qui ne répond plus aux attentes des populations et au défi que constitue la crise migratoire qui touche l'Europe". "Il va falloir rétablir des contrôles" aux frontières face à "l'appel d'air" créé par la décision de l'Allemagne d'accueillir massivement des réfugiés, a estimé lundi l'ancien ministre français de l'Intérieur, Claude Guéant.

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy estimait quant à lui que "Schengen ne fonctionne plus" et préconisait de suspendre temporairement la libre-circulation des ressortissants non-européens en son sein. Ce qui reviendrait à rétablir des contrôles frontaliers à travers toute l'Europe.

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Geoffroy Clavel

 

Source : Le HuffPost

 

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