En Inde, les jaïns réclament le droit de mourir de faim

Les tribunaux du Rajasthan avaient interdit le « santhara », rituel de jeûne jusqu’à la mort suivi par les adeptes du jaïnisme.

Cette décision, qui s’appuie sur l’illégalité du suicide en Inde, vient d’être suspendue par la Cour suprême.

Pour les jaïns, se donner la mort en suivant la pratique du santhara n’est pas un suicide comme les autres. Les fidèles du jaïnisme, très vieille religion d’Inde – 4 millions d’adeptes –, avaient saisi la Cour suprême après que la Haute Cour de justice du Rajasthan leur avait interdit, le 10 août, de se laisser mourir de faim selon ce rituel. Elle vient de leur accorder un sursis, en suspendant la décision.

Plusieurs centaines de jaïns, souvent âgés, décident chaque année de se soustraire aux désirs et aux besoins de la vie, y compris celui de se nourrir, comme un passage choisi vers la mort. Leur décision fait l’objet d’une annonce dans le journal et leur maison est ouverte aux visiteurs et aux religieux qui accompagnent le mourant durant ses derniers jours. Le tribunal avait ordonné l’interdiction de cette pratique, l’assimilant au suicide, qui est proscrit par le code pénal indien, ajoutant qu’il était possible de pratiquer la religion sans suivre ce rituel.

A la recherche du bien-être transcendantal

« Quiconque aide au processus de santhara participe en fait à un meurtre, a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) Nikhil Soni, avocat et militant en faveur des droits de l’homme, à l’origine de cette action en justice. Le santhara est un moyen pour les familles de ne pas avoir à s’occuper de leurs personnes âgées et en plus de gagner un certain prestige religieux. »

Le jaïnisme, qui serait apparu au VIe siècle avant notre ère, prône le chemin vers la délivrance, ou moksha, et la non-violence envers tous les êtres vivants. Les fidèles les plus orthodoxes se déplacent avec un masque blanc, balayant devant leurs pas, par crainte d’écraser le moindre insecte. Le santhara n’est selon eux ni un acte brutal ni une capitulation face à de difficiles circonstances, mais une préparation mûrement choisie pour se délivrer du cycle des réincarnations.

Face à l'interdiction du "santhara", les jaïns (ici, lors d'une manifestation, à Jaïpur, le 24 août 2015) ont défendu devant la Cour suprême le principe de liberté de la religion.

« Alors que le suicide est un acte d’extrême désespoir nourri par l’angoisse, le pratiquant du santhara qui renonce à boire et à manger est parvenu à cette décision après une calme et imperturbable introspection, avec l’intention de se purifier des encombrements karmiques et d’atteindre ainsi l’état le plus élevé de bien-être transcendantal », écrit Shekhar Hattangadi, l’auteur d’un documentaire sur cette pratique, dans une tribune publiée en août dans le quotidien The Hindu.

Un code pénal dépassé

Dans un pays où la religion est omniprésente, un Etat né il y a seulement quelques décennies peut-il imposer sa loi, ici héritée de la colonisation britannique, à de vieilles croyances millénaires ? Si le suicide est interdit en Inde, c’est parce qu’un certain Lord Thomas Macaulay, un fervent chrétien, rédigea, en 1860, un code pénal qui reste encore largement appliqué. Or, la religion chrétienne condamne la pratique du suicide.

Les jaïns ont défendu devant les juges de la Cour suprême le principe de liberté de la religion, garanti par la Constitution indienne, pour faire valoir leur droit à mourir comme ils l’entendent. Le 31 août, la Cour suprême a suspendu la décision de la Haute Cour de justice du Rajasthan interdisant le santhara, en attendant de statuer définitivement sur le sujet. Ce qui pourrait prendre des années.

 

Julien Bouissou

(New Delhi, correspondance)

 

Source : M Le Magazine du Monde

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page