L’image de la justice sénégalaise écornée par les irrégularités du procès de Karim Wade

Pas sûr que la justice sénégalaise sorte grandie de l’affaire Karim Wade, un dossier politiquement sensible, dans lequel les irrégularités s’accumulent.

Jeudi 6 août, les avocats du fils de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, qui purge une peine de six ans de prison à la maison d’arrêt de Rebeuss, à Dakar, ont de nouveau dénoncé un procès « partial et politique ». Ils réagissaient aux manquements relevés, cette fois, dans la procédure de cassation qu’ils intentent devant la Cour suprême, leur ultime instance de recours, dont la décision doit être rendue le 20 août..

Karim Wade a été condamné le 24 mars à six ans de prison ferme et plus de 210 millions d’euros d’amende pour « enrichissement illicite » lié aux postes ministériels de premier plan qu’il occupait durant la présidence de son père de 2000 à 2012. Cette peine a été prononcée par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Sur un continent où nombre d’Etats sont minés par le népotisme, la corruption et la prévarication, la raison d’être de ce tribunal d’exception était louable : « Extirper de la société sénégalaise des pratiques (…) qui créent l’injustice sociale, paralysent le développement du pays et peuvent à la longue saper notre démocratie. »

Mais le statut et les attributions de cette juridiction, créée en 1981 et mise en sommeil jusqu’à sa réactivation après l’élection de Macky Sall (ancien premier ministre d’Abdoulaye Wade) à la présidence en 2012, sont loin d’être irréprochables. Ils ont été critiqués par les organisations de défense des droits de l’homme ainsi que par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Ces réserves visent notamment le pouvoir discrétionnaire du procureur ainsi que la charge de la preuve laissée à l’accusé, qui ne dispose donc pas de la présomption d’innocence. De plus, les condamnations prononcées par la CREI ne peuvent faire l’objet d’aucun appel, seulement un recours en cassation devant la Cour suprême.

C’est dans ce but que les avocats de Karim Wade avaient déposé deux requêtes. La première contestait la compétence de la CREI à juger Karim Wade, qui, selon eux, en tant qu’ancien ministre d’Etat, ne pouvait relever que de la Haute Cour de justice. Cette requête a été rejetée le 6 août.

« Caractère arbitraire »

Le deuxième pourvoi en cassation est fondé « sur une centaine de violations de la loi et des conventions internationales » commises par la CREI depuis l’arrestation en 2013, durant l’instruction et pendant le procès de Karim Wade. Les avocats notent que « la date de son examen [par la Cour suprême] a été fixée dans la précipitation sans que cela soit notifié aux parties dans les règles et alors que l’instruction n’a pas commencé et que les condamnés disposent du délai de deux mois pour présenter leurs observations ». Le 6 août, ils ont refusé d’assister à la fin de l’audience à la Cour suprême qui rendra son délibéré le 20 août. « Tout est écrit d’avance dans ce procès politique », dénonce Seydou Diagne, l’un de ses avocats joint à Dakar par téléphone.

Le groupe de travail sur la détention arbitraire constitué au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies avait considéré, le 20 avril, que Karim Wade avait été « privé de son droit à un procès équitable et que sa détention avait un caractère arbitraire (…), que le mandat de dépôt qui maintient Karim Wade en prison est sans fondement légal ».

Un défenseur des droits de l’homme reconnaît que les défenseurs de Karim Wade « ont toutes les chances, à l’avenir, de faire condamner le Sénégal devant la cour de justice de la Cedeao. » Ce juriste français déplore la façon dont l’affaire a été conduite. « Il y avait de fortes présomptions contre Karim Wade. Il est notamment soupçonné d’avoir détourné de l’argent lors de l’organisation de la XIe session de la conférence au sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) en 2008. Il est peut-être un habile dissimulateur, mais l’instruction, bâclée, n’a rien démontré. »

Karim Wade paie, sans doute, la volonté de son père d’avoir voulu en faire son héritier politique en tordant le cou à la Constitution. « Il paie aussi son arrogance lorsqu’il était aux affaires. Mais cela ne devrait rien avoir à faire avec la justice », ajoute notre interlocuteur sous couvert d’anonymat, preuve que ce dossier n’embarrasse pas que le pouvoir sénégalais. Pour Me Diagne, « depuis trois ans, les droits de Karim [Wade] sont violés quotidiennement et ça continue. Où est l’exemplarité de la justice dont se targue le Sénégal ? ».

Christophe Châtelot

 

Source : Le Monde Afrique

 

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