Leurs droits et leurs devoirs bien définis… Leur situation assez satisfaisante tout compte fait, si je comparaissais avec les générations précédentes… Bien sur j’entendais parler d’oppression et de mauvais traitements… Mais cela devait être l’exception… Puis un jour tout à fait par hasard une collègue me mit en main l’hebdomadaire « Le Calame » en me recommandant de lire la chronique « Nouvelles d’ailleurs » comme je ne semblais pas très pressée de le faire, elle ajouta en quittant la pièce : Lis, elle écrit au sujet de Penda, tu sais cette femme qui a été victime d’un viol collectif puis assassinée !
Je pris le texte et après quelques phrases, je ne lus plus mais comme l’on dit le dévorais! Avec une grande franchise, un grand courage, elle osait « parler »… Au travers de cette histoire tragique elle montrait du doigt toutes les contraintes, les injustices, les douleurs de la femme mauritanienne en particulier !
Je voulais l’approcher de plus près… Cette femme sensible, déchirée, douloureuse capable d’utiliser sa douleur pour relever la tête en tant que femme et mettre une société « sa » société au banc des accusés… J’étais fascinée… Je me faufilais sans croire qu’elle me laisserait faire, parmi ses « amis » dans Facebook… Je pus constater que son courage et sa détermination étaient sincères… Je la découvrais « polyvalente » à la fois consciente de sa faiblesse, s’associant à la « femme » victime et incroyablement forte pour mener le combat ! Son rayonnement sur son entourage est aussi de cette trempe, elle encaisse régulièrement des attaques violentes pour ne pas dire brutales… Auxquelles elle réagit avec beaucoup de dignité… Ces attaques lui font mal car c’est le signe flagrant de l’incompréhension que certains lui opposent et dans l’appréciation affectueusement élogieuse des autres elle trouve le courage de redresser la tête et de continuer la lutte !
MB : Mariem Mint Derwich, tout d’abord mes sincères remerciements pour cette rencontre… Vous avez récemment publié un livre « Mille et un je »qui m’a profondément bouleversée et je ne suis pas la seule… Et au début de ce livre il y a une petite phrase… Qui donne une image claire et rapide du chemin que vous avez parcouru : Je cite, « Il est temps aujourd’hui, que je sorte de l’anonymat. Je m’appelle Mariem Mint Derwich et j’écris »… Est-ce si difficile dans le monde actuel ou tout le monde se « déshabille » sentimentalement et vestimentairement, de dire à la face du monde : Je suis moi et je l’assume ?
MmD : Parler de soi n'est pas un exercice facile. Je suis issue d'une société où la pudeur est forte; où parler de son intime n'est pas recommandé… Tout le monde parle, sans parler de soi…Trop parler est mal vu.
J'ai eu du mal à passer cette barrière, cette peur du "qu'en dira t'on"…C'est pourquoi j'ai commencé à publier sous un pseudonyme… Puis il m'est apparu, un jour, qu'il me fallait accepter cette exigence de moi, ce besoin viscéral de parler ouvertement…Je parlais en écrivant. Maintenant je parle ET j'écris.
Un ami m'a aidée dans cette démarche de sortie de l'anonymat, Manuel Bengoéchéa…. Il m'a "découverte", il m'a aidée à sortir de cet anonymat de mon blog… Il m'a fait naître en écriture, non pas en tant qu'écrivaine mais en tant que femme écrivain.
Au début de l'aventure blog, il y avait 2 amis qui étaient là, qui m'ont aidée : Raki Ba et Vlane AOSA (le blogueur le plus célèbre de notre pays)… Puis est venu Manuel….
Je parle de mes intimes…. Je pense que cela gêne certains. Mais je sais aussi que cela plaît à d'autres. Mais j'ai besoin de dire, dire, dire encore…
Est ce que je me déshabille? Je ne crois pas…. Qui peut dire, en me lisant, qu'il me connait? Personne…. A travers ma parole que j'ai libéré, tout le monde peut se projeter, se voir… Cela ne signifie pas qu'il me "voit"…
Je suis une "charnelle" : j'aime, je le dis, je déteste, je le dis, je suis heureuse, je le dis, je suis triste, je le dis….. Ce sont tous ces sentiments, toutes ces perceptions qui font mon écriture…
Mais qui suis-je? Vous, le savez vous? Est ce que je suis la chroniqueuse? La poète? La journaliste? La militante? Et si je n'étais, tout simplement, que moi?
MB : Ecrire pour vous cela signifie quoi ?
MmD : Des millions de choses…Plein de couleurs et de musiques. Comme une respiration profonde, un plongeon, loin, loin là bas dans mes intimes. J'ai toujours écrit. Cette écriture, d'abord enfantine, m'a sauvée la vie. A chaque fracture, à chaque douleur, à chaque questionnement et doutes, je n'ai eu que le stylo et les mots pour dire…. La parole, le mot comme un langage. Seuls les mots ont permis que je sois là. Ecrire ce n'est pas seulement coucher des suites de signes sur un papier. Ecrire c'est transcrire le monde qui nous entoure. C'est donner un sens à nos ressentis. C'est comme une peinture… J'écris comme on s'accroche à une canne. De toutes mes forces. Envers et contre tout. J'écris d'abord pour moi. Ce Je qui est toujours là, aux frontières de mes actions. J'écris comme on respire. Je vis parce que j'écris.
MB : Vous avez dit récemment qu’il était difficile de n’être « qu’une écrivaine » ? Pensez vous que l’écriture n’est pas valorisée comme les autres arts ? Est-ce seulement en Mauritanie et si oui pourquoi ?
MmD : Nos sociétés sont amoureuses du mot… il n'y a qu'à regarder la grande richesse de la poésie… Nous aimons l'écriture, comme des enfants fascinés par le feu… Nous avons eu une histoire particulière, une relation quasi mystique avec le mot, le signe, le verbe, le calame, le papier…. Mais ce temps là est passé…. Ecrire aujourd'hui est un sacerdoce personnel. Et dès qu'il s'agit de publier ou de diffuser ce que l'on écrit c'est le parcours du combattant. Et si, en plus, vous êtes écrivain francophone ou en pulaar, en soninké ou en wolof, cela devient quasiment mission impossible. La culture est devenue otage des orientations politiques de nos gouvernements successifs. Etre écrivain arabisant n'est déjà pas facile….Alors, être écrivain en français est, revient quasiment à être anonyme…
Je cumule donc deux « handicaps » : j'écris en français et je suis femme. Donc censée être dans le registre de la pudeur, de la douceur, « gardienne du temple » et des valeurs présupposées que l'on nous attribue… Parler d'amour ? Oui, mais surtout pas d'érotisme. Parler de la souffrance ? Oui, mais surtout pas casser le masque de la pudeur. Parler de soi ? Oui, mais dans le respect de ce grand silence assourdissant du code de bonne conduite….
Ecrire signifie partir de ses tripes, se colleter avec ce qu'il y a de plus profond en nous, donc de plus vrai… Dire l'intime, sans tabous, est difficile et dangereux…
MB : Vous êtes de père mauritanien et de mère française, vous vivez la majeure partie de l’année en France, mais êtes restée très liée à la Mauritanie, de quel côté se penche le plus votre cœur ?
MmD : J'ai le cœur comme un puzzle, constitué de couches diverses, les unes accrochées aux autres. Pour aller plus loin dans votre question, j'ai le cœur comme un monde. J'ai des racines diverses : mauritaniennes par mon père, françaises par ma mère, catalanes par mon grand père maternel… Toute ma vie n'a été qu'allers retours dans des mémoires différentes, dans des histoires différentes, entre des femmes et des hommes aux caractères bien trempés et eux mêmes porteurs d'histoires parfois douloureuses. J'ai l'habitude de dire que je suis née avec les mémoires des exils de ceux qui sont miens. Que ces exils, ces rencontres, ces voyages, ces amours, ont donné naissance à un être étrange, ni d'ici, ni d'ailleurs. Si je devais établir une échelle de mes amours, je dirais d'abord que mon pays premier, mon pays de cœur, c'est la Mauritanie. Elle est mienne, comme je suis sienne. Elle est le seul pays où je me sens moi. Malgré ce métissage qui est le mien et qui est lourd à porter, je suis d'ici. Vraie nouakchottoise. Je suis mauritanienne. L'autre endroit où je respire aussi, d'une autre manière, c'est le petit village dans ce que j'appelle un de mes Sud, le Sud de la France, pays de ma mère. Une partie de mes racines dort dans un cimetière de l'arrière pays héraultais. Une autre dort à Chinguetti. Je suis devenue gardienne des tombes / mémoires. En elles se trouvent mes vies et mes histoires.
MB : Vous n’avez pas seulement l’influence de ces deux cultures car si je me souviens bien vous avez aussi des origines catalanes… Votre âme les ressent elle?
MmD : Oh oui ! Non seulement parce qu'il y a un aspect romantique dans cette histoire catalane, mais parce qu'aussi il est question d'une identité forte. Mon arrière grand père, cet exilé catalan mort loin de chez lui, en France, s'était enfui après avoir fait son service militaire et quand il fut rappelé pour aller servir au Sahara Espagnol, nanti de quelques pièces et de l'amour des siens, d'un baluchon et de sa force de travail, ce paysan catalan a franchi les Pyrénées et a atterri dans le Sud de la France. Il y fut mineur de fonds… Il ne reverra jamais les siens car considéré comme étant déserteur. Il ne perdra jamais l'accent rocailleux de ses montagnes catalanes ni la nostalgie terrible de sa ferme natale. Il a transmis une douceur, un courage, une abnégation, une langue à ses enfants et à ses descendants. Il reste, cet homme que je n'ai pas connu, une figure centrale dans ma mémoire.
J'ai eu deux grands pères formidables : le grand père catalan et le grand père maure. Ils sont le résumé de mon histoire. Ils m'ont façonnée. Entre l'arpenteur des « nuages » et le mineur de fonds, c'est toute l'histoire du monde non ? Une belle histoire….
Un autre homme m'a façonnée. C'est Mohamed CAMARA, mon beau père, celui qui m'a élevée. Il m'a donnée, lui le métis bambara maure, le goût de l'aventure, de goût du questionnement, le goût de la justice, le goût de la lecture, du travail, de ne jamais accepter les choses parce que c'est ainsi.
Et je n'oublie pas ma mémoire première, ma mère, femme lumineuse, femme d'amour, femme immense….ma Grande Royale à moi, mon tout. Elle est partie maintenant, mais elle est derrière chaque mot…Elle m'a léguée l'amour des autres….
MB : Mon petit doigt m’a dévoilé que vous aviez fait un parcours scolaire excellent et des études brillantes… Pouvez vous révélez à ceux qui nous font l’amitié de nous lire votre parcours ?
MmD : Parcours classique… bac en 1982 à Nouakchott (Je fais partie de cette génération du Lycée National, du temps où notre système éducatif avait encore un sens et une valeur). Puis direction la France. J'ai fait des études d'histoire avec une spécialisation en Histoire de l'Afrique à Paris I.
Entre temps j'ai rencontré un homme magnifique, immense, Habib ould Mahfoudh. Et j'ai rejoint l'aventure du Calame dès 1995 / 1996… Depuis j'y suis chroniqueuse. C'est ma maison.
J'ai été enseignante en français et en histoire géographie, en France et en Nouvelle Calédonie. Puis, un jour, j'ai décidé de m'occuper de mes deux garçons…
Aujourd'hui je suis aussi journaliste (bénévole) à Kassataya.
MB : L’union Mariem Mint Derwich et l’écriture a débuté quand ? Et pourquoi ?
MmD : Du plus loin que je me souvienne, j'écris. J'écris, j'écris encore.
Mon histoire familiale est assez… Chaotique. A la petite fille qui ne comprenait pas il fallait trouver un moyen de se réfugier loin des adultes. L'écriture a été ce moyen. Certains y voient une résilience. Je ne sais pas. La seule chose que je sais c'est que quand je regarde derrière moi je vois une petite fille terrifiée, mal dans sa peau, en besoin d'amour, en recherche d'un père et d'une identité. Je vois cette petite fille introvertie et douloureuse. Je vois cette petite fille qui prend un crayon et qui se met à écrire de la poésie.
Cette petite fille n'a jamais complètement disparu. Elle est là, à la frontière des choses. Elle me regarde et je la regarde. Elle écrit, j'écris. Cette petite fille devenue femme a aimé, a perdu, a gagné, a souffert. Elle n'a que ses mots pour dire l'indicible. Car il y eut l'indicible. Ce que l'on ne dit pas. La terreur. La peur. L'incompréhension.
MB : L’indicible… La terreur ? La peur ? L’incompréhension ? N’arrive t’il pas un moment ou il faut en parler ? Pour soi et pour les autres ?
MmD : Je fus une enfant violée. Ce secret que j'ai gardé est resté là, toute ma vie, à décidé de mes blessures et de mes choix. Pourquoi dire cela aujourd'hui ? Parce que ne pas dire c'est comme nier. On ne refait pas le passé mais on apprend à le dompter. On fait avec. J'ai fait avec. Ce viol est. Il permettra, d'une certaine façon, une écriture.
MB : Une certaine compréhension aussi pour les autres ayant vécu la même chose… Cela crée t’il un lien ?
MmD : Bien sur…. Comment en pourrait-il être autrement ? Mais ce lien de sang va plus loin. Il est dans cette perception insupportable de l'enfant que l'on excise, il est dans le ressenti de cette enfant de 14 ans qui est violée par un mari beaucoup plus vieux lors de sa nuit de noce, il est dans cette nausée et ces femmes, dans ces enfants (filles ou garçons) qui sont violés…. On reconstruit un corps mais on fait avec une mémoire explosée…
MB : Lorsque vous pensez à votre enfance, que vous dit elle ?
MmD : Je fus une enfant, avec mes frères, de la guerre du Sahara. Les choix familiaux ont fait que ce fut terrible pour nous. Ces 3 années furent dures pour des enfants. Mais d'autres ont beaucoup plus souffert que nous, ont même perdu la vie. Cela n'empêche pas la souffrance mais la relativise.
J'ai passé ma vie à courir après une identité, à me colleter avec ce pays, la Mauritanie, qui est moi, à dire « regardez moi, je suis une de vos filles ! »…
L'écriture m'a donnée cette identité. Je suis femme en exil, d'elle même et géographique. Je suis femme des ruptures, des frontières. Je suis femme des ailleurs. Ni de là, ni d'ici… C'est ma richesse. C'est ma force. C'est ma faiblesse. Mais je ne changerai pour rien au monde.
Je m'appelle Mariem mint DERWICH et j'écris : c'est ce que je dis au monde… Je m'appelle Mariem mint DERWICH et j'écris…
MB : Vous avez parlé de deux fils… Je me souviens d’un texte merveilleux ou vous exprimiez votre bonheur et le lien tout à fait exceptionnel que vous partagiez avec l’enfant que vous portiez… Votre fils premier né. Quel genre de mère étiez-vous et êtes vous encore ?
MmD : je ne sais pas. Il faudra leur poser la question. Mais je pense avoir été une mère imparfaite. Non complète, j'ai transmis à mes enfants mes propres fractures.
Ces deux enfants, mes deux garçons, sont la plus belle chose qui me soit arrivé. J'ai eu une relation fusionnelle avec ces deux enfants devenus hommes aujourd'hui. Ils sont ma joie, la preuve que, malgré tout, malgré les rejets, j'ai eu cette chance de l'enfantement. Mais je crois que je fus une mère imparfaite…. Mais mon amour d'eux, mon amour pour eux est immense, immense…
MB : On peut facilement s’imaginer, une Mariem mint Derwich qui dans les décennies à venir continue à écrire, à interpeller, même à déranger… Comment voyez-vous votre avenir ? Des « hier » douloureux qui engendrent des « demains » qui chantent ? Pouvez- vous essayer d’anticiper ?
MmD : je commence juste à 'apprivoiser cette petite célébrité. Juste…Tout cela me paraît fort étrange, comme un dédoublement.
Un second recueil, plus mâture, plus mur, est en préparation, ainsi qu'un roman.
Entre mon premier recueil et le second en préparation, j'ai vécu une année douloureuse, difficile sur le plan personnel. Une année qui m'a proprement laminée, griffée. J'ai grandi. C'est étrange non ? Il m'a fallu attendre l'année de mes 50 ans pour enfin grandir….
Je grandis…Comme si je déployais enfin mes ailes, ces ailes rognées par toute une éducation… Pendant des décennies j'ai cherché le regard des autres. A un moment j'ai cru trouver un regard particulier, un regard qui me rendait à moi même en écriture. Ce fut une erreur monumentale. De cette erreur est sortie la nouvelle femme que je suis.
Aujourd'hui je suis là, j'écris. J'apprends à m'entendre, j'apprends à m'aimer. Oui, à m'aimer… Et j'écris !
MB : Donc il nous reste à attendre avec impatience vos prochaines parutions ! Le livre « Mille et un je » ayant confirmé l’estime qu’éprouvent pour vous vos lecteurs !
Merci Mariem mint Derwich pour cette rencontre et la sincérité de vos réponses.
Maryam Brodowski-Bà
Le Quotidien de Nouakchott
(Reçu à Kassataya le 14 juillet 2015)
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