Moi, Jammeh, mon Dieu et ma mère

Décidément, il n’y a pas que les sanguinaires djihadistes pour mettre Dieu et l’islam à toutes les sauces. Les dictateurs africains usent et abusent du recours divin pour justifier l’injustifiable et, parfois, s’appliquent à les égaler, en une sorte de tournoi d’infamies.

Plus prosaïquement, ces autocrates récompensent ou punissent leurs proches sur un regard, sur un soupir ou sur une intuition qui soudain les traverse. Versatiles sont leurs engouements, volatils leurs choix. Le temps est une donnée qui effraie tout despote parce qu’elle échappe à leur désir de toute-puissance, leur vaine démesure. Très tôt, ils ont mis sous l’éteignoir toute voix discordante. Docile, leur entourage est réduit au rôle d’ampli.

Bouffis d’orgueil, ils soliloquent dans leur tour d’ivoire et ont, pour leur propre image, une faim d’idolâtres. Nul n’est surpris de les converser avec des êtres invisibles sortis de leur imaginaire ou susurrer des secrets à leur double. Récemment, le dictateur gambien Yahya Jammeh – qui ne fait plus rire grand monde – a dévoilé une nouvelle facette de son esprit tortueux. Dans un entretien donné au magazine panafricain New African, basé à Londres, l’ex-putschiste arrivé au pouvoir en juillet 1994 a tenté de lever un coin du voile sur son projet d’avenir.

A la question : « Combien de temps peut-on rester au pouvoir ? », il a répondu sans barguigner « il n’y a que Dieu qui peut déterminer combien de temps vous pouvez rester au pouvoir. » Puisque le timonier se présente comme le confident attitré de Dieu, il est le seul à détenir les clefs de l’avenir. CQFD. Des esprits magnanimes ajouteraient que ce Dieu ne lui a sans doute pas encore demandé de se montrer clément envers les opposants torturés régulièrement dans les geôles et obligés de faire leur autocritique à la télévision nationale.

Pas plus que ce Dieu ne lui a enjoint de témoigner des sentiments fraternels pour les homosexuels et les lesbiennes qui ne sont après tout que les fils et les filles d’Adam, autrement dit des êtres humains comme vous, lui et moi ! D’autres plus perspicaces postuleraient que ce Dieu ne doit pas être très tendre avec la communauté LGTB, autrement son meilleur serviteur, le satrape Jammeh, n’aurait pas publiquement menacé d’égorger tout homme qui voudrait en épouser un autre.

C’était en 2012 et la communauté internationale avait poussé des cris d’horreur ça et là sans inquiéter outre mesure les jours de celui qui se présente comme le glaive de Dieu. A force de tutoyer leur propre image qu’ils leur arrivent d’affubler du nom divin, les tyrans africains tombent dans l’infantilisme avant de sombrer dans la folie, à moins que ça ne soit l’inverse

Un exemple ? Ecoutons Jammeh, l’homme qui brandit le Coran plus vite que son ombre, raconter comment il est arrivé au pouvoir : « Non ce n’était pas de mon fait. C’est le peuple qui m’a demandé de prendre les rênes et bien sûr de les garder aussi longtemps que nécessaire. » Certes l’ancien lieutenant a pris du grade et du gras mais sur ce point comme sur le reste, tout le crédit en revient à sa mère. Comment ? C’est elle qui a prié, après la visite insistante d’un délégué, son fils de servir le peuple de Gambie et Dieu.

Comme le brave garçon aime beaucoup sa mère, il n’a pas voulu l’offenser. C’est donc pour l’amour d’une mère que Jammeh reste à la barre. C’est encore pour l’amour de sa génitrice qu’il veut faire de son pays un paradis : « Ce sont les Occidentaux qui balaieront nos rues », fanfaronne-t-il. Dans ce contexte, le nouvel Idi Amin Dada n’a rien à craindre du tribunal de l’histoire. Bien au contraire : « Je veux que dans 1 000 ans les gens se rappellent de mon nom pour tout le bien que nous avons fait, toutes les choses que nous avons accomplies. »

Réitérons l’argument principal du calife de Banjul : c’est pour l’amour d’une mère et avec la bénédiction de son Dieu que lui, El Hadj Yahya Jammeh, humilie et opprime depuis vingt ans les Gambiens. Et leur martyr n’est pas prêt de cesser. A moins que….

 

Abdourahman A. Waberi

 

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les Etats-Unis où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George Washington University. Auteur entre autres de « Aux États-Unis d’Afrique » (JC Lattès, 2006), il vient de publier « La Divine Chanson » (Zulma, 2015).
 

 

Source : Le Monde Afrique

 

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