Obama et les Noirs américains

Chaque chef d'Etat ou de gouvernement a ses temps forts, pas seulement médiatiques. Ces moments où, dans un mélange de sincérité et d'émotion, un dirigeant politique dit exactement ce qu'il faut dire.

Au diable le cynisme : même les docteurs en communication ne peuvent créer de toutes pièces ces moments-là.

Pour le premier président noir des Etats-Unis, ce fut samedi 27  juin, à Charleston, en Caroline du Sud, au bord de l'Atlantique. A quelques kilomètres de là, bouclant l'entrée de la baie de Charleston, se dresse Fort Sumter, où, le 12  avril  1861 à l'aube, furent tirés les premiers coups de feu d'une guerre civile qui s'achèvera quatre ans et 620 000 morts plus tard.

Barack Obama prononçait l'éloge funèbre du pasteur afro-américain Clementa Pinckney, assassiné, mercredi 17  juin, avec huit autres Noirs, par un jeune suprémaciste blanc, Dylann Roof. Le président s'adressait à quelque 6 000 personnes réunies dans une salle omnisports de l'université de la ville. Il parlait devant les familles des victimes, dont Jennifer, la veuve du pasteur, et ses deux filles, Eliana (11  ans) et Malana (6  ans). Il s'adressait à tous les membres de leur congrégation – l'Emanuel African Methodist Episcopal Church –, Eglise qui fut en première ligne dans la lutte contre la ségrégation raciale. Il prenait la parole au cœur de ce Sud historique dont une dizaine d'Etats firent sécession puis, constitués en Confédération, entrèrent en guerre contre l'Union américaine, notamment pur continuer à pratiquer l'esclavage. Difficile d'imaginer un lieu aussi lourd de symboles pour honorer la mémoire de femmes et d'hommes tués pour une seule raison : la couleur de leur peau.

Obama ne s'est jamais présenté comme le président des Noirs américains. Il a fait campagne pour être le président des Etats-Unis, pas le représentant d'une communauté. A la Maison Blanche, même pour évoquer un incident raciste, il a évité tout discours à tonalité communautaire. Pour autant, il n'a jamais prétendu incarner une Amérique postraciale. Il prend l'Amérique comme elle est – un pays qui a, deux fois de suite, élu à la présidence le fils d'un Noir du Kenya et d'une Blanche du Kansas, mais un pays qui reste marqué par le racisme.

A Charleston, le président a parlé en Afro-Américain. Il a scandé ses quarante minutes d'intervention dans la grande tradition des Eglises noires – silences, répétitions, envolées. Inattendue dans le discours d'un politique, une interrogation charpente son propos : qu'est ce que la " grâce " ? Il cite le mot trente-cinq fois. " Cette semaine, j'ai beaucoup réfléchi à cette idée de la grâce ", confie-t-il. Il mentionne la grâce divine, bien sûr, mais aussi une manière d'élégance dans l'adversité, dans le combat politique, qui, a-t-il dit, était celle de ces neuf adultes réunis à huit heures du soir pour étudier la Bible après une journée de travail : " une grâce étonnante " (" an amazing grace "). On sait la suite, visionnée des millions de fois sur le Net. Obama répète l'expression – " une grâce étonnante " – avant d'entamer a capella, en solo puis suivi par l'assistance, un chant chrétien très populaire de la fin du XVIIIe  siècle et portant le même nom, " une grâce étonnante " – le récit de la conversion d'un esclavagiste repenti (Le Monde du 29  juin). Violence et repentance, couple-clé de l'histoire des Etats-Unis.

Prison, emploi, logement, école : le président passe en revue les lignes de fracture qui séparent encore la communauté noire américaine de la moyenne du pays. A l'adresse de cette communauté, son bilan est sérieux. Parce qu'ils comptent souvent parmi les pauvres, les Afro-Américains ont les premiers bénéficié de nombre de mesures décidées par l'administration démocrate : augmentation du smic horaire et de la période couverte par les allocations de chômage, notamment.

" Un triomphe politique "

Plus encore, alors que le président parlait à Charleston, la Cour suprême confirmait la constitutionnalité de son plan d'assurance-santé. Les républicains perdaient l'ultime bataille menée contre la grande ambition d'Obama sur le plan intérieur. Après des débuts laborieux, le programme entre dans sa deuxième année, couronné de succès : quinze des quarante millions d'Américains sans assurance médicale en ont maintenant une – parmi eux, une énorme proportion de Noirs.

Qualifié de monstre crypto-communiste par les républicains, la bête devait, selon eux, engendrer les pires catastrophes. Elles ne se sont pas produites. Le pays contrôle mieux ses dépenses de santé, son déficit budgétaire a diminué et l'économie n'a cessé de créer des emplois : " Plus de 240 000 en moyenne mensuelle depuis que l'Obama Care Act a été mis en œuvre, la plus forte progression depuis les années 1990 ", écrit Paul Krugman dans le New York Times. Le Prix Nobel d'économie ajoute : " Mettez tout cela bout à bout, et vous avez ce qu'on appelle un triomphe politique. " Avec l'assurance-santé, Obama a réussi là où tous ses prédécesseurs démocrates s'étaient cassé les dents.

Au moins sur le plan intérieur, le bilan d'Obama sera sans doute plus important qu'on ne le dit souvent. A Charleston, il était venu pour un éloge funèbre. Il a prononcé le discours le plus émouvant de sa présidence sur l'état des relations entre Blancs et Noirs dans l'Amérique d'aujourd'hui. " Aucun d'entre nous ne doit attendre une transformation des relations raciales d'un coup de baguette ", a-t-il observé. " Il n'y a pas de raccourci ", c'est un long chemin. Le 44e président des Etats-Unis en aura fait une bonne partie. Et personne ne lui contestera de l'avoir accomplie avec " une grâce étonnante ".

Alain Frachon

 

Source : Le Monde

 

 

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