L'image incongrue d'une paix conclue en l'absence de l'un des belligérants est désormais dépassée. La Coalition des mouvements de l'Azawad (CMA), qui fédère les groupes rebelles du nord du Mali, a finalement apposé sa signature, samedi 20 juin à Bamako, sur l'" accord de paix et de réconciliation ", négocié depuis près d'un an à Alger.
La seule réception des chefs rebelles touaregs et arabes, qui contrôlent encore de vastes parties du pays, dans une capitale qui leur demeure foncièrement hostile, est en soi un événement. Leur absence, lors d'une précédente cérémonie, le 15 mai, où seuls le gouvernement malien et les milices qui lui sont alliées avaient signé, devant un parterre de chefs d'Etat et diplomates, le document rédigé par la médiation algérienne, avait laissé une forte impression d'inachevé.
Les pressions internationales qui n'ont cessé de s'exercer, les dernières concessions accordées par les autorités maliennes comme la levée des mandats d'arrêt qui planaient encore sur quinze cadres de la CMA, la crainte de se voir marginalisés, la lassitude face à une guerre qui s'enlise, l'épuisement des ressources pour poursuivre le combat, et " peut-être l'esprit du mois de ramadan consacré au pardon ", comme le note un observateur, ont finalement permis d'engager les groupes rebelles de l'Azawad à mettre un terme au conflit déclenché en janvier 2012, mais rémanent depuis cinq décennies.
La solution " la moins mauvaise "
" Les dernières discussions à Alger qui ont permis de prendre en compte certaines de nos revendications politiques, l'engagement de la “Plate-forme” – qui regroupe plusieurs milices progouvernementales fondées sur des bases communautaires – de se retirer de la ville de Ménaka et les promesses formelles de la communauté internationale d'accompagner le processus jusqu'à sa fin nous ont convaincus de signer ", expliquait Ambéiry ag-Rhissa, le président de la commission politico-institutionnelle de la CMA, à quelques heures d'une cérémonie officielle marquée par quelques prudentes, mais réelles scènes de fraternisation.
Pour ce notable touareg qui garde en mémoire les multiples promesses de paix non tenues et redoute " l'attachement obsessionnel de l'Etat malien au mythe de la souveraineté ", " cette dernière solution est la moins mauvaise que l'on ait trouvée en cinquante ans de conflit ". Même si les rêves d'indépendance ou d'autonomie, rejetés par Bamako et les parrains étrangers de l'accord d'Alger, ont dû être remisés au profit d'" un fédéralisme qui ne dit pas son nom ", selon la formule d'un diplomate africain.
Reflétant le sentiment général, un autre diplomate, européen celui-ci, se félicite de l'événement, mais prévient que, " pour le Mali, la difficulté n'est pas de signer une fois de plus des accords de paix mais de les appliquer, tant les acteurs sont fragiles et l'immobilisme ancré dans les pratiques politiques ". Cet " excellent accord ", dont s'est réjoui le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, et dont le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, devait lundi aller appuyer sur place la mise en œuvre, après avoir considéré dimanche sur Europe 1 qu'il était " une bonne nouvelle dans la lutte contre le terrorisme ", laisse cependant d'épineuses questions institutionnelles et sécuritaires en suspens.
Comment et dans quelles proportions sera restructurée l'armée malienne qui doit être redéployée dans le nord du pays ? Quel sera le statut des régions qui composent l'Azawad dans l'ensemble malien ? Le suivi des partenaires extérieurs ne sera pas de trop pour aider à la résolution de nombreux points qui seront soumis à des discussions et à des interprétations entre des parties qui ne s'accordent, jusque-là, aucune confiance.
Des interrogations pèsent également sur la capacité d'entraînement des dirigeants des deux camps. Ibrahim Boubacar Keïta a salué lors de son discours de clôture de la cérémonie " un jour merveilleux " et promis de " faire en sorte que nul ne soit déçu ". Mais près de deux ans après son élection avec plus de 77 % des voix, il est un président de plus en plus ouvertement contesté – sous cape, le représentant d'une institution régionale persifle : " Nous l'appelons l'homme qui n'est pas là ", en raison de ses incessants voyages à l'étranger– et une grande partie des Maliens s'oppose encore à toute forme de concession à des rebelles rendus responsables de l'effondrement du pays. De leur côté, les chefs de la CMA auront le défi de contenir tous ceux qui crient déjà à la trahison et sont tentés de poursuivre la lutte armée pour la " libération de l'Azawad ".
Trafic de cocaïne
Par ailleurs, la création ou la reconstitution de milices renforcent l'antagonisme des relations entre populations du nord, et le conflit ne se limite plus à un face-à-face entre Bamako et les rebelles de l'Azawad. Les mouvements de la Plate-forme agissent en supplétifs d'une armée affaiblie, mais leurs chefs jouent aussi des intérêts communautaires et personnels. L'une de ses principales composantes, le Groupe d'autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia), a provoqué un regain de tension en s'emparant fin avril de Ménaka, une localité plantée à 1 500 km au nord-est de la capitale. Cette nouvelle violation du cessez-le-feu a provoqué la riposte de la CMA et généré une série de crimes, dont des exécutions de civils, pour lesquels les belligérants se rejettent la responsabilité. D'après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, " du fait de l'insécurité ", plus de 60 000 personnes ont fui leur domicile ces dernières semaines.
Sous la pression internationale, le Gatia s'est finalement retiré, vendredi, de Ménaka, pour en laisser le contrôle aux casques bleus et à l'armée malienne. La ville est un symbole fort : elle avait été la première à tomber sous le contrôle des rebelles en janvier 2012. Mais l'enjeu des derniers affrontements n'était pas qu'une affaire d'orgueil. D'après plusieurs sources bien informées, Ménaka est désormais une étape sur la route du transit de la cocaïne à destination de l'Europe et du Proche-Orient, et les acteurs qui rivalisent dans ce trafic se retrouvent au sein des différents groupes armés.
En dépit des opérations des militaires français de " Barkhane ", qui ont éliminé plusieurs de leurs chefs au cours des derniers mois et restreignent leurs capacités d'action, les mouvements djihadistes se tiennent en embuscade pour récupérer les déçus de la paix. Dispersés dans le nord du Mali où ils continuent d'agir, leur menace s'étend désormais à l'ensemble du territoire. Plusieurs attaques meurtrières attribuées à " la Force de libération du Macina ", un groupe islamiste peul, ont visé les régions de Mopti et Ségou, dans le centre du pays. Dans le sud, Bamako a connu son premier attentat le 7 mars, puis Misséni, une petite localité près de la frontière ivoirienne, le 10 juin.
Alors que 36 casques bleus ont été tués et plus de 200 blessés depuis 2013, et que le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) doit être réexaminé ce mois, le commandant de la Force de l'ONU au Mali a déploré, mercredi 17 juin, devant le Conseil de sécurité, " certaines insuffisances majeures qui – les – rendent extrêmement vulnérables (…) pour opérer sous la menace de groupes armés ". Le général danois Michael Lollesgaard parle d'expérience. Le 28 mai, il a lui-même échappé à une attaque qui visait son convoi.
Cyril Bensimon
Source : Le Monde
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