Religion : quand les sœurs prêtaient leur chapelle aux musulmans…

Pour faire face à la pénurie de mosquées en France, Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), a suggéré hier matin sur Europe 1 d'utiliser « des églises vides pour servir le culte musulman ».

 

Une proposition surprenante, qui divise les fidèles des deux communautés, mais qui a déjà été expérimentée dans notre pays. C'était à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). De 1977 à 2010, une chapelle de la congrégation des sœurs de Saint-Jospeh, baptisée refuge du Bon Pasteur, a été mise à la disposition des musulmans de la cité auvergnate. « Ils n'avaient pas de véritable lieu de culte, donc, à la demande de l'évêque, une autorité légitime, nous leur avons prêté gracieusement notre chapelle qui ne servait plus puisque il y avait une église paroissiale toute proche. Lors du vote, notre conseil avait accepté à l'unanimité », se souvient sœur Thérèse, 88 ans, dans les ordres depuis près de sept décennies.

« A l'époque, la seule salle de prière se trouvait dans une petite cave fréquentée par quelques chibanis, elle n'était pas du tout adaptée », explique Karim Djermani, secrétaire général de la grande mosquée de Clermont-Ferrand. C'est lorsque celle-ci est sortie de terre en 2010 que les locataires de la petite église ont quitté les lieux avant d'organiser une cérémonie d'adieu un an plus tard, remettant symboliquement les clés de l'édifice aux religieuses.

«Les vitraux ont été cachés et les statues rangées au sous-sol»

La transformation en mosquée avait nécessité quelques aménagements. « Le sol en granit a été recouvert d'un grand tapis, les vitraux qui représentent des personnages de la Bible ont été cachés et les statues ont été rangées au sous-sol », précise sœur Thérèse. La configuration des lieux ne se prêtait pas idéalement aux spécificités du culte musulman, en particulier pour l'orientation des fidèles vers La Mecque, qui exige un positionnement en oblique. L'espace n'était donc pas exploité au mieux.

Malgré ces désagréments, l'aventure a été enrichissante du côté des musulmans comme des catholiques. « Symboliquement, cela a renforcé le dialogue interreligieux. On se croisait souvent avec les sœurs, elles m'appelaient mon cher ami, on se faisait la bise. Plusieurs fois, on a partagé l'iftar (NDLR : repas pris chaque soir au coucher du soleil pendant le ramadan) », s'enthousiasme Karim Djermani, qui est aussi vice-président du conseil régional du culte musulman (CRCM) en Auvergne. « Cette expérience m'a instruite », résume de son côté sœur Thérèse, tout en reconnaissant que « cela a parfois été difficile ». « Les musulmans avaient des difficultés à se mettre d'accord, leurs sensibilités, leurs origines étaient très différentes. Mais au final, la mise à disposition de notre chapelle a aidé à la construction de la paix entre eux », se félicite-t-elle.

Pour Karim Djermani, cet exemple unique n'est pas pour autant « la solution » au nombre insuffisant de mosquées dans l'Hexagone. « Au cas par cas, de manière temporaire, ça peut être une possibilité. Mais il y a aussi le risque que ce soit perçu par les concitoyens comme une conquête de plus, de manière négative, avec une Eglise catholique qui recule et une Eglise musulmane qui avance », souligne-t-il. Depuis le départ des fidèles de l'Islam, le refuge du Bon Pasteur a été vendu. C'est aujourd'hui une église… orthodoxe !

 

Vincent Mongaillard

 

« On ne peut pas jouer avec des symboles »

La suggestion de Dalil Boubakeur, consistant à transformer les églises vides en mosquées, fait l'objet d'un petit paragraphe dans son livre « Lettre ouverte aux Français » (Editions Kero) qui sortira lundi. Dans ces lignes titrées « Les églises données aux musulmans ? », le recteur de la Grande Mosquée de Paris explique avoir rencontré « un député » qui lui « a montré des églises vides, privées de ses fidèles catholiques ». L'élu lui a alors lancé : « Ces églises ne pourraient-elles être utiles à servir de lieux pour les musulmans ? » « Si on va vers une vision mathématique des choses, on pourrait effectivement mettre les plus à la place des moins… » écrit Dalil Boubakeur. A ses yeux, on manque cruellement de mosquées en France. Il existe aujourd'hui 2 500 lieux de culte musulman pour 40 000 églises. Un chiffre en nette augmentation (on recensait 1 500 salles de prières en 2001) mais qu'il faudrait encore doubler selon lui pour répondre aux besoins des 3 millions de musulmans pratiquants. D'où sa proposition de recourir aux édifices désertés par les catholiques.

Mais pour Mgr Lalanne, évêque de Pontoise (Val-d'Oise), « il n'en est pas question ». « On ne peut pas jouer avec les symboles qui appartiennent à la foi catholique. Nos amis musulmans, que je rencontre régulièrement, peuvent comprendre. Ils n'imaginent pas que leurs mosquées soient transformées en églises », réagit-il. L'ecclésiastique estime que si certaines églises n'ont pas systématiquement d'office dominical, elles restent toujours utilisées « pour les baptêmes, les obsèques, les mariages… » Selon lui, « il y a des bâtiments libres en France où ils pourraient vivre leur foi ».

L'évêque d'Evry (Essonne), Mgr Dubost, n'est, lui, pas contre l'idée de Dalil Boubakeur sur le principe car « les musulmans ont le droit d'avoir des lieux de culte et on a le devoir de les aider ». « Mais, dans beaucoup d'endroits, il est clair que ce serait une manière d'opposer les communautés de fidèles », redoute-t-il.

 

Source : Le Parisien

 

 

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