Du cartable au lit conjugal : la tragédie des mariages forcés

Plus de 700 millions de femmes ont été mariées de force alors qu’elles étaient enfant. En Inde, au Royaume-Uni, en Afrique, des hommes et des femmes luttent contre cette tradition criminelle.

 

Elle se souviendra toujours de cet instant où sa vie a basculé, où ses parents sont soudain devenus ses ennemis et où l’adolescente joyeuse qu’elle était s’est muée, aux yeux de toute la famille, en une rebelle insolente doublée d’une dévoyée. Elle avait tout juste 14 ans, elle rentrait de l’école, le cartable sur le dos, son uniforme de collégienne anglaise un peu froissé, et s’était installée dans le salon de la maison de Derby, au Royaume-Uni, pour faire ses devoirs. C’est alors que sa mère, toujours drapée dans son sari traditionnel, l’a priée de s’asseoir à ses côtés sur le canapé et lui a montré la photo d’un groupe d’hommes, des Indiens, en pointant l’index sur l’un d’eux. « C’est l’homme que tu vas épouser. »

Au fond d’elle, Jasvinder Sanghera se doutait bien que ce moment arriverait un jour. Elle avait observé la même scène, quatre fois auparavant, pour ses sœurs aînées auxquelles la mère avait présenté leur « promis » sur une photo. Et les quatre jeunes filles avaient été mariées dans la foulée. Elles étaient parties un beau matin en Inde, plus exactement dans le Penjab, où devait se dérouler la cérémonie, et en étaient revenues avec un époux. Violent et autocrate. C’est du moins ce que Jasvinder avait deviné en captant, au cours de visites chez ses sœurs, des larmes et des traces de coups ainsi que les remarques courroucées de sa mère : « Cessez vos jérémiades ! Ne me faites pas honte. Les hommes sont comme ça. Le devoir d’une femme est de prendre soin de son mari. »

Jasvinder ne pouvait raisonnablement espérer échapper à ce sort. Dans la communauté indienne de Derby, la coutume ne souffre pas d’exception. Pourtant, l’annonce de sa mère lui fit l’effet d’une gifle. Ah non ! Il n’en était pas question. Elle ne se marierait pas comme ça. Elle était née en Angleterre, en 1965, et entendait choisir librement sa vie comme les Occidentales. Et ce n’est pas parce que sa mère, née dans un village du Penjab, avait elle-même été contrainte de se marier à 15 ans au veuf de sa sœur aînée – un sikh – et de le rejoindre en Angleterre où il travaillait dans une fonderie qu’elle devrait partager ce sort. Elle a jeté un œil sur le cliché, trouvé l’homme « petit », bien plus âgé qu’elle, puis a regardé sa mère qui a éclaté de rire avant de ranger la photo. Cela lui semblait irréel.

« Inutile de lutter »

Mais le projet s’est vite confirmé. Les allusions ont été de plus en plus fréquentes, la photo de l’homme a été posée sur la cheminée du salon si bien que Jasvinder se trouvait tous les jours nez à nez avec cet étranger en rentrant de l’école. Et la mère, excitée, a commencé à remplir le coffre du trousseau destiné à accompagner la jeune fille chez sa belle-famille. Une robe rouge de mariée, étincelante, a même été achetée et Jasvinder, de plus en plus anxieuse, en a perdu le sommeil. Sa mère s’est fâchée. Son père s’en est mêlé : « Inutile de lutter. Nous devons tous en passer par là. » La jeune fille a paniqué. Le compte à rebours avait commencé et elle ne savait vers qui se tourner. Ses professeurs ? Impossible. Ses parents lui avaient toujours imposé d’ériger un mur hermétique entre « l’extérieur » et la famille.

Un jour où plusieurs femmes admiraient le trousseau en préparation, elle s’est écriée : « Pas question de me marier. Je veux aller à l’université. » Sa mère a hurlé avant de saisir ses ciseaux de couture, telle une furie, pour lui donner des coups. Puis elle a couru la faire désenvoûter dans un temple hindou, convaincue qu’une telle rébellion ne pouvait s’expliquer que par un sort mystérieusement jeté. Enfin, apprenant que sa fille fréquentait le frère d’une amie collégienne, elle est devenue hystérique. Elle l’a extraite de l’école, tabassée, séquestrée dans sa chambre, exigé le concours de toute la famille (six sœurs, un frère), liguée contre Jasvinder. Il n’y avait plus pour elle qu’une solution : la fuite.

« Tu es morte pour nous »

Le récit rocambolesque de sa cavale la glace encore d’épouvante, trente-cinq ans plus tard. « Une fuite éperdue, qui a signifié mon exclusion définitive de la famille – qui m’a officiellement reniée – et de la communauté des Indiens immigrés, qui m’ont bannie. » En refusant un mariage arrangé (depuis ses 8 ans), elle avait commis l’impardonnable. « Tu es morte pour nous », lui a dit sa mère lorsqu’elle s’est décidée à téléphoner à la maison. « J’espère que tu auras un jour une fille qui te ressemble : tu sauras ce que c’est d’élever une prostituée. » Isolée, miséreuse, coupée de toutes ses racines, elle a fait deux tentatives de suicide. Mais, de loin en loin, elle a pu voir les dégâts de ces mariages contraints chez les autres femmes, et notamment chez sa sœur Robina qui, après un premier mari violent, en a choisi un autre, également brutal et sadique, puis a supplié ses parents, en vain, de l’accueillir chez eux avant de s’immoler par le feu.

« Ce fut le tournant de ma vie », raconte aujourd’hui Jasvinder Sanghera, 49 ans, belle, charismatique, devenue depuis plus de trente ans l’inflexible procureur des mariages forcés dans les communautés sikhes et musulmanes de Grande-Bretagne. « Il fallait briser le silence sur ce code d’honneur absurde qui instrumentalise les petites filles, en fait des sous-êtres dénués de libre arbitre, entièrement soumises à leur famille avant d’être livrées – ligotées – à un mari. Le non-respect de ce code suscite des représailles inimaginables. » Coups, séquestration, chantage, bannissement, voire assassinat comme ce fut le cas pour Shafilea Ahmed, 17 ans, de Warrington, dans le Cheshire, étouffée en 2003 par ses parents devant ses frère et sœurs pour avoir refusé un mariage arrangé au Pakistan et rêvé de vivre « à l’occidentale ».

« C’est ce qu’on appelle classiquement un crime d’honneur. Mais moi, je ne vois là que du déshonneur ! s’écrie Jasvinder. La petite rêvait d’être avocate et revendiquait les droits basiques d’une citoyenne britannique. Or, quand elle a cherché de l’aide, toutes les institutions du pays se sont couchées par peur de paraître racistes et par respect d’une autre culture. Quelle démission inacceptable de l’Etat… » Depuis, il y a eu en Grande-Bretagne plus de 140 meurtres d’adolescentes ayant refusé un mariage arrangé dans leur communauté d’origine. Et Jasvinder a obtenu du gouvernement de Londres que le 14 juillet soit dorénavant un jour de commémoration de la mémoire de Shafilea et de toutes ces jeunes filles victimes de crimes familiaux.

Car son organisation – Karma Nirvana –, créée en 1993 pour venir en aide aux jeunes filles issues de l’immigration en plein désarroi ou bannies de leur famille, n’a cessé de prendre de l’importance en sensibilisant le public, les enseignants, les policiers, les politiques au thème de ces mariages forcés. Une ligne de secours téléphonique a recueilli entre 2008 et 2015 plus de 48 000 appels. Des avocats, des psychologues, des travailleurs sociaux sont mis à disposition, de même que des refuges permettant d’accueillir des adolescentes ou des femmes mariées en fuite. « Les congés d’été en Europe sont propices à tous les trafics, dit Jasvinder. Des milliers de filles envoyées soi-disant en vacances en Inde ou au Pakistan ne reviennent pas en septembre. »

Karma Nirvana multiplie les campagnes de prévention et recommande aux filles qui craignent que ce voyage sur la terre natale de leurs parents les conduise à un mariage forcé de glisser dans leurs sous-vêtements une petite cuillère. L’alarme du détecteur de métaux à l’aéroport obligera des policières à entraîner la jeune fille dans une pièce privée et lui donnera l’occasion de confier son histoire puisque les institutions scolaires sont si défaillantes.

La plus grande victoire de Jasvinder – faite par la reine Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique en 2013 – est d’avoir attiré l’attention du premier ministre David Cameron et obtenu, en juin 2014, après un intense travail de lobbying, qu’une loi considère enfin le mariage forcé comme un crime.

« Un milliard de rêves à réaliser »

A quelque 6 000 kilomètres de l’Angleterre, dans le Rajasthan, la jeune Usha Choudary a vécu un drame presque similaire. Aînée d’une famille de quatre enfants, elle savait qu’il n’est pas rare, dans les villages indiens, de marier les filles dès l’âge de 9 ou 10 ans. Sa propre mère avait été mariée à 14 ans, sa tante à 13, ses cousines à 12. Elle avait conscience que sa mère, fréquemment battue par son mari alcoolique, vivait dans l’obsession du mariage de ses filles, sachant que plus la mariée est jeune, plus la dot à verser est faible. Mais elle était malgré tout convaincue qu’elle passerait entre les mailles du filet. Elle adorait l’école, avait « un milliard de rêves à réaliser », et se rassurait en se disant que les mœurs de la ville étaient différentes de celles de la campagne, qu’un père travaillant pour le gouvernement se devait d’être moderne…

Vint pourtant le jour où toute la famille partit en vacances dans le village des grands-parents, bientôt rejointe par de nombreux invités vêtus d’habits de fête. Usha, 14 ans, joue dans la cour avec d’autres enfants et ne se doute de rien. Mais on vient la chercher, on lui demande de se changer, de se draper dans un sari d’apparat, de porter ornements, bagues et bracelets. « Contre toute évidence, raconte-t-elle aujourd’hui avec le recul de ses 38 ans, je ne saisissais toujours pas ce qui se tramait. » Mais voilà qu’on lui applique sur le front le sindur, ce point de poudre rouge qui signale les femmes mariées, et que les invités applaudissent, avant de disparaître rapidement. Alors seulement la jeune fille comprend la situation et éclate en sanglots. « Ma mère m’avait trahie ! Ma propre mère qui n’avait connu elle-même qu’humiliations et violences ! Je ne pouvais pas me calmer. Je ne voulais même pas savoir qui était mon prétendu mari. Je n’en avais rien à faire. Je ne voulais pas me marier. Point final. »

La vraie cérémonie du mariage doit avoir lieu deux mois plus tard. Usha décide donc de ruser. Elle annonce vouloir retourner en ville dire adieu à ses amies avant de revenir et, une fois sur place, décrète que rien ni personne ne la forceront à se marier. Elle préférerait le suicide. Elle est battue, insultée, privée de nourriture. Mais elle va à l’école. C’est son défi quotidien. Elle étudie, devient institutrice, écrivain public, enchaîne plusieurs boulots pour ne rentrer à la maison que tard dans la nuit tant l’ambiance y est infernale. Et le dimanche elle donne des cours à des petites filles que leurs mamans gardent à la maison. « Je les convainc qu’elles peuvent avoir des rêves et que cela passe par l’éducation. Et je montre aux mères qu’une fille éduquée casse le cycle de la pauvreté, contribue aux ressources du foyer et même dynamise le pays. »

Tous ses frères et sœurs ont échappé au mariage précoce. C’est sa fierté, comme l’est aussi l’organisation Vikalp qu’elle a créée dans le Rajasthan et qui a déjà sauvé de ces mariages des centaines de filles et aidé des milliers d’autres à rester à l’école. Elle est régulièrement menacée, mais elle tient bon, organise des camps où les filles reçoivent des cours d’anglais, d’informatique et… de self-défense. Elle enrôle les garçons afin qu’ils deviennent les principaux soutiens de leurs sœurs et incite les filles à n’avoir jamais peur d’exprimer leurs choix. « Levez-vous ! Réclamez vos droits. Et si vos parents n’entendent pas, alors nous interviendrons, nous irons les voir, à deux, à dix, à vingt s’il le faut et, je vous le promets, nous empêcherons le mariage ! »

« Du jour au lendemain, des gamines doivent se dénuder devant un inconnu beaucoup plus âgé qu’elles et vont être violées, violées et encore violées »

Partout dans le monde, ce sont ainsi des milliers de femmes – souvent anciennes victimes ou rescapées – qui partent en croisade contre les mariages précoces, l’Inde fournissant le plus grand nombre de mariages de mineures dans le monde. Et ce qui fut longtemps un sujet tabou s’impose depuis peu dans l’agenda international. Au cours des derniers mois, le mariage des enfants a fait l’objet d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, d’une campagne de l’Union africaine – qui doit adopter une position commune sur ce thème à la fin de son 25e sommet en Afrique du Sud le 15 juin – d’un plan d’action régional des gouvernements d’Asie du Sud, du premier « sommet mondial de la fille », coorganisé par le gouvernement britannique et l’Unicef en 2014. Fin mai, l’organisation Girls Not Brides (« filles, pas épouses »), qui avait réuni à Casablanca plus de 250 activistes en provenance de 63 pays, appelait la communauté internationale à intensifier ses efforts pour éliminer cette pratique qui affecte chaque année 15 millions de filles.

« Quinze millions ! insiste la juriste et ambassadrice de bonne volonté auprès de l’Union africaine Nyaradzayi Gumbonzvanda. Quel échec pour nos gouvernements incapables de protéger les filles ! Car ce que la pratique camoufle, ce sont des enlèvements, des séquestrations, des viols, de l’esclavage. Toute une série de violations des droits humains auxquelles on confère respectabilité et bénédiction en utilisant le joli nom de mariage ! Quelle tartufferie ! » Cessons de fermer les yeux en évoquant la culture, les traditions ou encore la religion, continue l’ambassadrice, née au Zimbabwe en 1967, quatorzième enfant d’une fratrie dont la maman a été mariée de force à 15 ans et qui dirige actuellement l’organisation World YWCA. « Du jour au lendemain, des gamines doivent se dénuder devant un inconnu beaucoup plus âgé qu’elles et vont être violées, violées et encore violées. Voilà la vérité sur ces mariages d’enfants ! Ce ne sont ni plus ni moins que des crimes organisés. Et c’est un grand sujet politique. Un thème sur lequel tout candidat à une élection, y compris à l’ONU, devrait être obligé de prendre position. »

Un problème sanitaire également, expliquent les militants de Girls Not Brides. Les adolescentes sont beaucoup plus vulnérables aux complications (fistule obstétricale par exemple) et aux décès liés à la grossesse et à l’accouchement. Les filles qui accouchent avant 15 ans sont cinq fois plus susceptibles de mourir en couches que les femmes de 20 à 24 ans. Quant à leurs bébés, leurs risques de naître prématurément, de mourir dans les semaines suivant la naissance ou d’avoir plus tard de graves séquelles sont considérablement plus élevés.

Camps d’initiation sexuelle

Les récits en provenance de nombreux pays ne s’écoutent pas sans effroi. Au Mozambique et en Zambie, des petites filles âgées de 8 à 13 ans sont envoyées dans des camps d’initiation sexuelle dès l’arrivée de leurs premières règles afin d’apprendre à « satisfaire un homme » et tenir un foyer. Inquiets – ou vexés – si les règles tardent, certains parents mandatent un homme pour avoir avec leur petite fille un premier rapport sexuel dans l’espoir de provoquer les menstruations. Il arrive que des chefs de communauté fassent de ces stages une véritable obligation et verbalisent les parents réfractaires. D’ailleurs, la plupart des hommes refusent d’épouser une fille « non initiée ». A la sortie du camp, les petites sont immédiatement mariées et tombent rapidement enceintes… en dépit de la loi qui fixe l’âge du mariage à 18 ans. Mais rares sont celles qui ont un certificat de naissance. « Une fille de 16 ans peut très bien avoir déjà six enfants », déplore le prêtre anglican Jackson Jones Katete. « A nous, religieux, d’être pédagogues et de convaincre les parents que c’est l’école qui garantit à leurs filles un meilleur avenir. » Mais elles sont rares, éloignées des villages, regrette-t-il. Il faudrait en construire. Et recruter des professeurs femmes pour montrer aux petites filles que l’école n’est pas qu’une affaire de garçons.

A l’extrême nord du Cameroun, Djenabou était en CM2 quand la rumeur de son prochain mariage a circulé dans son quartier. Personne dans sa famille ne lui en a touché mot, mais un jour, en rentrant de l’école, un homme l’attendait à la maison, 40 ans, déjà deux femmes et six enfants. Elle a dû le suivre dans un autre village, affronter le dédain des premières épouses, les premiers coups pour sanctionner son manque d’expérience en cuisine, les premiers viols. Lorsqu’elle est tombée malade pendant sa grossesse, son mari s’est affolé à l’idée qu’elle puisse mourir chez lui et l’a renvoyée chez son père, lequel a refusé de lui ouvrir la porte : « Quand on envoie une fille en mariage, c’est pour toujours. » Il a fallu sa menace de suicide et l’intercession des voisins pour qu’il l’accueille, avec fureur. Elle a accouché d’un petit garçon, n’a plus jamais revu son mari mais a bénéficié de l’aide d’une association qui, en lui parlant de ses droits et en lui apprenant la couture, l’a rendue indépendante financièrement… et militante.

« La majorité de mes copines ont vécu la même expérience, raconte-t-elle, élégante dans un boubou qu’elle a confectionné. Alors moi aussi j’ai créé une association avec d’autres femmes et nous allons dans les villages parler aux chefs traditionnels et aux parents, raconter le gâchis de nos vies et la responsabilité de nos pères. Certains craignent qu’on porte plainte contre eux. Et pourquoi pas ? » Elle dresse la tête sous le regard de sa marraine, Billé Siké, marquée par ses études à Paris dans les années 1980 et infatigable défenseur de ces jeunes filles qu’elle écoute, encadre, alphabétise, galvanise. « On raconte que les maladies psychosomatiques n’existent pas en Afrique… Mais nos villages sont pleins de ces millions de petites traumatisées auxquelles on a confisqué leur avenir en toute impunité ! »

Fille contre nourriture

Qu’un désastre se produise, une guerre, un raz de marée, une épidémie, le réflexe des familles, en 2015, est encore de marier plus rapidement leurs filles. Pour les protéger d’agressions sexuelles, éviter la honte d’une petite enceinte sans époux ou se débarrasser d’une bouche à nourrir. En Sierra Leone par exemple, l’irruption de l’épidémie d’Ebola a profondément affecté l’organisation de la société, fermé les écoles durant neuf mois, créé de très nombreux orphelins et rendu les filles isolées particulièrement vulnérables. Plus d’un millier de grossesses d’adolescentes ont officiellement été dénombrées au printemps, suscitant la réaction scandalisée d’un ministre de l’éducation qui leur a interdit les portes de l’école. Une façon de les exclure encore davantage du système.

Au Népal – qui a l’un des taux les plus élevés de mariages d’enfants – le tremblement de terre du 25 avril, qui a provoqué plus de 8 000 morts, 16 000 blessés et la destruction de plus de 200 000 logements, a mis les filles dans une situation particulièrement périlleuse. « Chaque jour, rapporte Anand Tamang, le directeur de la coordination de Girls Not Brides Népal, des fillettes de tous les âges sont violées dans les tentes où se presse la population, notamment à Katmandou. Dans les villages détruits, des trafiquants manipulent les orphelines et les plus pauvres en leur faisant miroiter un bon travail alors qu’ils les expédient comme esclaves et prostituées en Inde ou dans le Golfe. » C’est donc dans le but de les protéger que les parents marient leurs filles au plus vite. La destruction des écoles ne devrait que précipiter ce mouvement.

Au Nigeria enfin, la terreur entretenue par Boko Haram a eu pour effet de ruiner la confiance qu’avaient les parents dans les pensionnats pour filles. Des écoles ont été saccagées, mais nombre de familles ont de toute façon fait rentrer leurs enfants à la maison, le mariage restant alors la seule option. C’est ce que pensent aussi les familles réfugiées ou déplacées qui, hébergées dans des campements ou chez l’habitant, acceptent facilement de donner leur très jeune fille en mariage à leur hôte ou contre de la nourriture…

« Plus de 700 millions de femmes actuellement en vie ont été mariées avant l’âge de 18 ans, elles seront 1,2 milliard d’ici à 2050 si nous n’enrayons pas le phénomène, s’énerve Nyaradzayi Gumbonzvanda, qui a travaillé dans de nombreux pays d’Afrique. Des forces se mobilisent un peu partout, les femmes elles-mêmes se rebellent, des hommes comme Desmond Tutu [archevêque anglican sud-africain, Prix Nobel de la paix] hurlent à l’injustice. Mais il faudrait d’autres leaders religieux pour hausser la voix et dénoncer l’hypocrisie des hommes derrière ces mariages honteux. » L’Afrique, et pas seulement ce continent, aurait tant à gagner en misant sur l’éducation des filles, poursuit-elle.

Des campagnes dénonçant les mariages d’enfants sont désormais organisées un peu partout, y compris au Népal. Selon l’ambassadrice Gumbonzvanda, obsédée par le souvenir de sa mère, Rosaria, qui s’est battue pour que sa fille ne connaisse pas son sort, le phénomène pourrait être stoppé en une génération. « Avec une ferme volonté politique. » Jasvinder Saghera, qui est aujourd’hui grand-mère en Angleterre et dont la ligne d’entraide reçoit encore 500 appels par mois, veut croire que c’est possible.

Annick Cojean
Journaliste au Monde

 

Source : Le Monde

 

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