L’Afrique donne le coup d’envoi à un marché commun « du Cap au Caire »

Cecil Rhodes, fondateur de la Rhodésie (aujourd’hui le Zimbabwe) en rêvait : construire un continuum économique et politique en Afrique « du Cap au Caire ».

Un siècle et quelques années plus tard, à Charm el-Cheikh (en Egypte), vingt-six dirigeants de pays d’Afrique ont, mercredi 10 juin, posé les bases d’un vaste marché unique courant de l’Afrique du Sud au Caire. Ce n’est plus, là, le mythe impérial d’un colonialiste anglais qui voulait relier, à la fin du XIXème siècle, toutes les colonies de son pays, mais un projet porté par les Africains eux-mêmes, auxquels il reste nombre d’obstacles à surmonter avant d’accomplir ce rêve.

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Sur le papier, ce projet, né après cinq ans de négociations, est séduisant. Par la fusion de trois organisations régionales – le Marché commun des états d’Afrique australe et de l’est (Comesa), la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) – la nouvelle Zone tripartite de libre-échange (TFTA) réunit 625 millions d’habitants, répartis dans 26 des 54 pays africains, cumulant un PIB de 1 000 milliards de dollars (884 milliards d’euros).

Cette « Tripartite » pourra compter sur la puissance des trois locomotives économiques d’Afrique de l’Est et du Nord : l’Egypte, le Kenya et l’Afrique du Sud. Les promoteurs de ce projet – notamment l’Egypte, le Kenya et Maurice, les plus actifs lors des négociations – visent un triple objectif : libérer les échanges, développer les infrastructures et conduire des politiques industrielles communes.

Nouveaux marchés

« La volonté des dirigeants africains d’accélérer le processus d’intégration régionale par le biais du commerce signifie qu’ils ne veulent pas rater la période de changement que le continent connaît ces dernières années », explique Henri-Bernard Solignac-Lecomte, chef de l’Unité Europe, Moyen-Orient et Afrique au Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

La croissance économique moyenne de l’Afrique – qui dépasse les 5 % par an depuis quinze ans, très supérieure aux taux des années 1980 – et la forte vitalité démographique génèrent en effet de nouveaux marchés de consommation.

Les pays africains entendent profiter de ce gâteau, ne pas le laisser exclusivement à l’appétit des exportateurs ou investisseurs originaires des économies développées ou émergentes de plus en plus présentes sur le continent.

« Le lancement de la Tripartite est un message fort montrant que l’Afrique travaille à son intégration économique et à créer un environnement favorable au commerce et à l’investissement », s’était félicité le gouvernement sud-africain, quelques jours avant la signature de Charm el-Cheikh.

Les statistiques économiques montrent en effet le retard de l’Afrique, peu compétitive, dont la part dans les échanges mondiaux s’élève seulement à 2 % et portent essentiellement sur des matières premières brutes. Ce que les économistes appellent « la faible participation de l’Afrique aux chaînes de valeur mondiales ».

Ce phénomène apparaît également au regard de l’activité intérieure africaine. En effet, seuls 12 % des échanges commerciaux ont lieu entre pays de ce continent, contre 55 % en Asie et 70 % en Europe.

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Obstacles non tarifaires

Il y a plusieurs raisons à cela. D’une part, les économies africaines – où 80 % de la main-d’œuvre travaille dans l’agriculture et le secteur informel – pâtissent d’une faible complémentarité entre elles. Elles sont ainsi contraintes d’importer les produits introuvables sur le continent.

D’autre part, l’Afrique est handicapée par « l’épaisseur de ses frontières intérieures qui alourdissent les coûts commerciaux », rappelle Henri-Bernard Solignac-Lecomte. « Cette épaisseur » se mesure notamment par le nombre de documents qu’il faut produire pour l’importation et l’exportation – sept à huit papiers de douane en moyenne en Afrique, contre quatre ou cinq en Europe –, les délais et les coûts de franchissement des frontières.

Dans un premier temps, la « Tripartite » devra donc identifier les obstacles non tarifaires au commerce et les éliminer. Il faudra ensuite faire preuve d’une volonté politique forte pour mettre en œuvre ces mesures destinées à faciliter la circulation des marchandises entre les pays avec un niveau de taxe inférieur à celui appliqué aux produits hors zone tripartite.

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« Ce qui veut dire, concrètement lutter contre les problèmes de corruption dans les douanes, ce qui ne sera pas facile », s’inquiète un opérateur local. Le calendrier de démantèlement des barrières douanières n’a d’ailleurs pas encore été fixé.

 

Christophe Châtelot

 

Source : Le Monde

 

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