Akinwumi Adesina, élu président de la BAD

La Banque africaine de développement est la plus grosse institution financière du continent.

 

Il en veut et cela se voit. Il est pressé et ne s'en cache pas. D'un pas énergique, un sourire aux lèvres que rehaussent son nœud papillon bleu et sa mise élégante, Akinwumi Adesina se dirige vers la scène du palais des congrès de l'hôtel Ivoire d'Abidjan, en Côte-d'Ivoire, jeudi 28  mai.

Ce Nigérian de 55 ans, ministre de l'agriculture depuis 2011 dans le gouvernement sortant de Goodluck Jonathan, est désormais une des figures du monde de la finance internationale. Quelques instants plus tôt, il a été élu président de la Banque africaine de développement (BAD), la plus importante institution financière en Afrique (100  milliards de dollars de capital), dont l'objectif majeur est d'éliminer la pauvreté sur le continent. Cette institution financière panafricaine investit plus de 6  milliards d'euros chaque année dans les domaines de la santé, des infrastructures et des énergies renouvelables.

Campagne à l'américaine

Elu au sixième tour du scrutin avec 58  % des voix, Akinwumi Adesina avait face à lui sept redoutables adversaires, ministres ou anciens ministres des finances de leur pays comme le Tchadien Kordjé Bedoumra (31  % des voix), la Cap-verdienne Cristina Duarte (10  %), le Tunisien Jalloul Ayed, l'Ethiopien Sufian Ahmed, le Sierra-léonais Samura Kamara, ou alors d'anciens hauts responsables de l'institution  : le Zimbabwéen Thomas Zondo et le Malien Birama Boubacar Sidibé (actuel vice-président de la Banque islamique de développement).

"  Ils – devaient – répondre aux mêmes défis  : restructurer la banque et la rapprocher des populations. Il – s'agissait – donc d'abord d'un enjeu politique et d'une bataille de leadership régional  ", a estimé Magatte Wade, un ancien cadre de la Banque africaine de développement, aujourd'hui maire d'une commune rurale au Sénégal.

La différence s'est faite grâce à sa communication personnelle dont Akinwumi Adesina a su abondamment jouer. De longs mois de lobbying intensif auprès des 54 pays africains membres de la BAD et des 26 pays en dehors du continent, parmi lesquels les Etats-Unis, la France, le Japon et la Chine. Le président élu, qui va prendre, en septembre, le relais du Rwandais Donald Kaberuka, qui a passé dix ans à la tête de l'institution, a mené une "  campagne à l'américaine  ".

Il a vanté ses "  bons résultats  " en tant que ministre de l'agriculture au Nigeria où, en trois ans, il a permis de réduire de moitié les importations alimentaires (de 4,6  milliards d'euros à 2,1  milliards d'euros, selon des chiffres officiels) dans ce pays de 177  millions d'habitants, dont l'économie est fortement dépendante de l'exportation du pétrole brut. Akinwumi Adesina n'a pas non plus hésité à dévoiler de nombreuses bribes de son histoire familiale. Une enfance vécue dans la pauvreté dans l'Etat d'Ogun, dans le sud-ouest du pays, avec des parents fermiers dont le revenu journalier au tout début des années 1960 ne dépassait pas 0,10 dollar (0,09 euro). "  Pour moi, la pauvreté n'est pas une affaire de chiffres, elle n'a rien d'abstrait  : c'était la réalité de mon enfance  ", souligne-t-il dans les prospectus distribués tout le long de sa campagne.

Une réalité qu'il veut éradiquer dans un continent où, malgré un taux de croissance à 6  %, l'indice de développement humain tourne autour de 0,5 contre une moyenne de 0,9 pour les pays industrialisés (indications Banque mondiale). Sa solution  ? Soutenir massivement les initiatives privées et développer les infrastructures. Le déficit de financement dans le domaine des infrastructures en Afrique est estimé à 93  milliards de dollars par an. Mais, ajoute Akinwu Adesina, "  il y a beaucoup d'argent sur le continent et la banque doit trouver les instruments pour le mobiliser  ".

Dans sa première déclaration après son élection, il a renouvelé son engagement à "  ne laisser personne sur le bord du chemin et à donner des opportunités à chacun  ". Un discours pugnace et volontariste pour cet anglophone qui maîtrise parfaitement le français. Avant d'être ministre, il a travaillé comme économiste du développement dans une dizaine de pays africains francophones. Est-ce aussi cela qui a fait la différence avec son principal challenger, Kordjé Bedoumra  ? Le ministre tchadien des finances, soutenu par plusieurs pays francophones, a talonné le vainqueur à tous les tours du scrutin.

"  C'est un point important qu'il parle français. De nombreux pays d'intervention sont francophones. Mais il a aussi une capacité de conviction évidente. Il va pouvoir apporter une attention particulière à l'agriculture, au développement climatique et inclusif. Nous serons là pour le soutenir  ", a déclaréArnaud Buissé, sous-directeur à la direction générale du Trésor qui représentait la France aux Assemblées annuelles de la BAD. La France, avec des pouvoirs de vote équivalant à ses parts dans le capital de la banque de 3,75  %, a une influence non négligeable.

Après deux tentatives infructueuses, un Nigérian va diriger la BAD pour la première fois. Mais le mandat de cinq ans d'Akinwu Adesina sera loin d'une sinécure. Il va devoir renforcer la puissance financière de cette institution, développer de nouveaux instruments et améliorer la gouvernance au sein de la banque, qui emploie près de 2  000 personnes. Il devra aussi développer des actions en faveur de la croissante verte et renforcer le soutien de l'institution aux pays les plus fragiles.

Raoul Mbog

 

Source : Le Monde (Supplément Eco & Entreprise)

 

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