Football : L’étau se resserre autour de la FIFA

A deux jours de la réélection programmée du président Sepp Blatter, sept hauts responsables de la fédération ont été arrêtés à Zurich et Miami. La journée de mercredi pourrait avoir marqué un tournant dans la gouvernance du ballon rond, et la FIFA fait désormais face à la tout aussi puissante justice américaine.

 

Dans son histoire pourtant mouvementée, jamais la FIFA n’a semblé aussi affaiblie. A l’image de son indéboulonnable président, Sepp Blatter, la fédération est toujours sortie indemne – sa réputation exceptée – des situations les plus complexes. A en faire désespérer les plus tenaces enquêteurs. Mais mercredi 27 mai, l’étau s’est tout à coup resserré sur elle. A la veille d’une élection qui paraissait jouée d’avance, la FIFA fait désormais face à la tout aussi puissante justice américaine.

Les événements de ce mercredi avaient en fait débuté mardi soir déjà. La presse américaine avait été informée par le procureur de Brooklyn : de hauts responsables de la FIFA seront appréhendés, à leur réveil, à l’hôtel Baur au Lac, à Zurich, à deux jours du 65e congrès de la fédération. Mercredi matin, des correspondants du New York Times voient donc, peu après 6h, des agents en civil de la police zurichoise prendre des clés à la réception puis emmener des cadres de la FIFA, dans le calme.

Le concierge est alors bombardé d’appels, les employés sont sous le choc. Dès 7h, les portes du palace sont fermées aux journalistes. Les caméras s’entassent de l’autre côté de la route mais l’arrestation est bel et bien finie. Il se murmure déjà que Sepp Blatter, qui devrait être réélu pour quatre ans vendredi, n’en fait pas partie. Ce que confirme rapidement l’association. Avant de décider d’organiser une conférence de presse à 11h, à son siège de Zurich. Les dizaines de journalistes agglutinés devant l’hôtel prennent la direction des hauteurs boisées du Zürichberg.

10h19, nouvelle surprise. Le Ministère public de la Confédération (MPC) annonce avoir saisi le matin même des données et des documents au siège de la FIFA. Ici, c’est la fédération elle-même qui est la plaignante. En novembre 2014, elle avait déposé plainte contre X pour soupçon de gestion déloyale et de blanchiment d’argent entourant les attributions des Coupes du monde 2018 et 2022. Un geste que beaucoup avaient interprété comme une manœuvre visant à dédouaner l’institution et à charger des individus, aussi proches d’elle soient-ils.

Le MPC précise : les deux procédures sont distinctes mais coordonnées. “Il fallait éviter tout risque de collusion”, résume son porte-parole. En d’autres termes, si les arrestations requises par les Etats-Unis avaient débuté il y a plusieurs jours, les documents que le MPC voulait récupérer à Zurich pouvaient être modifiés, dissimulés ou supprimés.

“Un bon jour pour la FIFA”

Au siège de la FIFA, les portes sont encore closes mais une centaine de journalistes venus des quatre coins du monde pour le congrès trépignent devant l’entrée. Les spéculations vont bon train. Sepp Blatter s’en sortira encore une fois, pronostique-t-on avec dépit.

A 11h, Walter de Gregorio, le chef de la communication, affronte seul la meute médiatique. Sans son président et sans son secrétaire général, Jérôme Valcke. La FIFA “ignorait totalement” ce qui allait se passer. “Si je l’avais su, je serais allé me coucher plus tôt hier soir”, déclare-t-il. “Sepp Blatter et le secrétaire général ne sont pas concernés par cette procédure”, souligne aussi l’ancien journaliste, en fonction à la FIFA depuis 2011.

Le congrès de vendredi n’a aucun lien avec ces procédures, affirme-t-il, même s’il a permis à la justice “de profiter de la présence de toutes les personnes impliquées à Zurich”. Le congrès, justement ? Il aura lieu. L’élection n’est pas non plus reportée. Une affirmation qui demande à être confirmée puisque l’UEFA a demandé en soirée le report du scrutin de plusieurs mois.

Le porte-parole de la FIFA, lui, martèle que la fédération “a lancé elle-même ce processus”. “This is a good day for FIFA” [“C’est une bonne journée pour la FIFA”]. “Nous coopérons totalement avec le Ministère public. Il est dans notre intérêt que toute la lumière soit faite.” Pas question non plus de remettre en doute l’attribution des Coupes du monde à la Russie et au Qatar, malgré l’enquête ouverte par la justice helvétique. “Que voulez-vous m’entendre dire ? Nous ne faisons pas de spéculation. Aujourd’hui, nous l’affirmons: ces décisions ne seront pas revotées”, répond encore Walter de Gregorio. Il rappelle aussi à qui veut l’entendre que, dans le dossier suisse, la FIFA est la victime.

Banques américaines

La conférence sera brève, à peine trente minutes. L’essentiel des questions cible Sepp Blatter. Comment le président peut-il encore rester à la tête de la FIFA ? Le chef de la communication ne déroge pas de la ligne officielle : “Il reste détendu car il sait qu’il n’est pas impliqué.” “S’il est élu, il honorera son nouveau mandat de quatre ans”, complète-t-il. “Il est détendu ?!” lance un journaliste. “Il ne danse pas dans son bureau, rectifie Walter de Gregorio. Mais il a confiance.”

Sa seule réponse concernant l’autre enquête, celle lancée par la justice new-yorkaise – “les responsables appréhendés ne sont pas suspendus et pourraient voter s’ils étaient libérés” – a finalement été démentie en soirée. La FIFA a annoncé la suspension provisoire des 11 personnes impliquées dans le dossier américain.

En début d’après-midi à Berne, le Conseil fédéral consacre lui aussi un bref aparté à cette affaire: “Simonetta Sommaruga a informé ce matin ses collègues de la demande d’entraide judiciaire des Etats-Unis”. Celle-ci repose sur le traité d’extradition signé par les deux pays, est-il aussi précisé.

La démarche du parquet du district Est de New York est légitimée par le fait que des organismes américains sont visés par ces soupçons de corruption. Parmi les inculpés figurent plusieurs responsables de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf). La demande d’arrestation est par ailleurs motivée par le fait que “l’entente relative à ces actes (de corruption) aurait été conclue aux Etats-Unis”, selon l’Office fédéral de la justice (OFJ). Qui ajoute que “des paiements auraient transité par des banques américaines”. L’OFJ a donc été prié de donner l’ordre au Ministère public zurichois de placer ces personnes en détention provisoire. Elles ont été entendues mercredi et six d’entre elles s’opposent à leur extradition. L’OFJ va donc demander aux Etats-Unis de lui faire parvenir des demandes formelles dans un délai de quarante jours. Pour l’OFJ, l’enjeu est de déterminer si les critères d’extradition vers les Etats-Unis sont remplis. C’est-à-dire, notamment, si les délits en question sont aussi reconnus par le droit helvétique.

Blatter menacé ?

En Suisse, les actes de corruption dans le secteur privé ne sont pas encore poursuivis d’office. Berne prépare justement une loi pour que les dessous-de-table lors d’attributions d’événements sportifs ne restent plus impunis. Le projet doit être traité la semaine prochaine au Conseil des Etats. Mais cette spécificité locale, de plus en plus critiquée parce qu’elle offre une sorte d’immunité aux grands dirigeants sportifs, ne devrait pas être un obstacle à l’extradition, estime un juriste. Qui précise aussi que les autorités helvétiques n’ont et n’auront pas à se prononcer sur le fond du dossier – les inculpés auraient reçu des versements en échange de droits TV et de sponsoring aux Etats-Unis et en Amérique du Sud.

A l’issue de cette journée, qui s’est conclue par la promesse (écrite) de Sepp Blatter de travailler avec les autorités pour “regagner votre confiance”, une question reste ouverte : son siège peut-il être menacé ? Même ceux qui ont enquêté et milité des années pour une réforme n’y croient qu’à moitié. “On espère que oui mais c’est difficile à dire”, glisse Sam Borden, du NY Times. “Le camp d’Ali (le seul candidat opposé à Blatter, ndlr) n’a jamais eu une aussi bonne opportunité, ajoute son homologue de la BBC. S’il n’en profite pas, c’est qu’il ne pourra jamais gagner”. Et Blatter ne jamais perdre.

 

Scandale à la FIFA : Sepp Blatter, pas coupable mais responsable

 

Source : Le Temps (Suisse) via Courrier international

 

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