L’Afrique ou la dé-valeur

C'était la première fois que je quittais la maison, pour si loin. J'avais le cœur serré et une boule asphyxiante m'obstruait la gorge. Je ne savais exactement si c'était de joie, d'inquiétude ou de peur.

Ma mère depuis la veille mystérieusement silencieuse, me surveillait du coin de l'œil, comme si elle voulait fixer quelque chose de moi, dont elle ne voulait pas se séparer.

Le matin du départ, restée, un peu à l'arrière, elle marmonnait quelque chose que je ne pouvais deviner. Peut-être des versets de coran, ou quelques secrets du fond de ses origines que je ne pouvais comprendre, ni ne pouvait entendre.

Je marchais comme dans un rêve. Mes pas esquissaient un mouvement à l'avant et mes yeux restaient attachés à la porte du logis.

Enfin mon père me poussa délicatement, mais fermement vers le seuil de l'avenir.

En un éclair, je vis ma mère se pencher et de l'une de mes empreintes prendre une poignée de terre.

Ce cordon ombilical, tissé par ce geste et qui me liera à cette terre de mon enfance, aura une influence indélébile sur le restant de ma vie.

Ce lien-éclair que ma mère avait attaché furtivement à l'abri des regards et de la cérémonie des adieux, me fera office toute ma vie durant, de jauge efficace pour mesurer l'allégeance que mes compatriotes mauritaniens ou africains prêtent à leurs origines et aux valeurs ancestrales, sans lesquelles ils ne sont et ne seront, absolument rien du tout.

Quand plus tard j'ai observé les yeux rivés au sol de mes compatriotes africains quand ils parlaient à un blanc, les deux mains tendues humblement pour en serrer une seule, j'ai compris que nos frères avaient mal assimilé le transfert des ancêtres.

Notre pauvreté, n'est pas effectivement matérielle, mais profondément génétique.

Nous avons les quarante neuvième chromosomes de la pauvreté mentale. La misère de la confiance en soi. L'auto-dévalorisation de ce que nous avons de plus cher et de plus sacré. Un complexe d'infériorité mortel qui freine en nous toute émancipation.

Je sais que beaucoup de citoyens de ce continent qui est l'origine du monde, n'ont comme capital que la peau et les os. Mais ce sont ceux là et seulement ceux là qui ont gardé le pacte.

Ils sont détestés par les cupides et méprisés par les arrogants, mais leurs convictions intrinsèques et leur sobriété vaccinée contre tout égoïsme, font d'eux les derniers vestiges de ce qui fut propre sur ce continent.

Si, même les Djinns, ont poussés des protestations contre le tort fait à l'Afrique et aux africains, par les affres de la colonisation, la part de responsabilité de la jeunesse et des classes politiques de cette partie du monde, reste autant de crimes qui blanchissent les têtes de nouveau-nés et font frissonner les squelettes au fond des tombes.

Quand un continent si riche, offre ces images de pauvreté si extrême et de misère gangréneuse, c'est que le défaut provient du cavalier et non de la monture.

Ces images honteuses de responsables bedonnants, dont les boutons de vestes sautent comme des projectiles, sous la poussée d'un ventre gonflé à l'éclatement par les portions volées de pauvres.

Ces statistiques, ces chiffres, ces études, ces tables rondes, ces évaluations, tous ces manèges dressés pour justifier des semblants de bonheurs, battis sur les drames humains.

Ces vieillards qui se permettent de multiples épouses, qu'ils n'ont même plus la force d'entretenir, alors que des jeunes dans la force de l'âge désespérés de se faire une vie sociale se jettent dans la drogue et les profondeurs de la déchéance.

Ces tableaux de frêles embarcations, bondées de misérables et confiées aux caprices des vagues vers un devenir à visage d'incertitude et d'horreur. Des jeunes dépouillés de tout, même de leur dignité, qui se jette dans les bras d'un monde qui déploie le maximum de son énergie, pour les repousser vers les cavernes de leurs supplices. Un monde à qui, tels des spectres, ils font peur.

Des intellectuels qui arrivés aux rives amères de la déception et des limites du désespoir, errent dans les vapeurs de souhaits qu'ils savent impossibles d'avance.

Des jeunes filles, laissées aux heurts violents des soubresauts du temps, qui vont battre les macadams du monde, pour nourrir les maisons closes et  servir de viande fraichement sans défense, et gratuitement livrée pour qui en veut. Des offrandes aux sadismes du monde. De la matière première, façonnée dans de profondes racines de valeurs humaines, qu'on offre gracieusement aux proxénètes de la déchéance, si ce n'est, aux gueules affamées des requins, par les nuits sombres des océans.

Des populations qui meurent de faim sur des terres fertiles, qui feraient pousser assez de récoltes, pour nourrir l'humanité toute entière.

Une civilisation noble et humaine, dévaluée dans un monde de perfidie et de dépravation.

Pour qu'une classe de vieillards gâteux ou de tyrans malades prospèrent.

Comment une conscience seine peut-elle bâtir son bonheur sur de tels drames?

Afrique! Comme tu a souffert! Et comme tes responsables ne te méritent pas.

Le plus grand hold-up de tous les temps! Le vol de tout un continent.

Un continent berceau de l'humanité! Le parchemin du secret de la vie, un continent, source principale de toutes les matières premières du monde, sacrifié pour remplir quelques bedaines rembourrées de graisse jaune, qui finira par fondre dans quelques tombes et empester l'atmosphère.

Mon appel à tous les jeunes d'Afrique. Ne vous jetez plus dans la mer. Vous n'êtes pas des bouteilles. Dieu a choisi de vous créer et de vous faire vivre ici et non là bas. Là bas appartient à une autre jeunesse. Chez eux est insuffisant pour eux, même si parfois ils viennent puiser chez nous.

Nous n'avons pas coutume de prendre ce qui ne nous appartient pas, ni montrer notre faiblesse aux autres. Beaucoup de nos grands pères, frugalement nourris de haricots ou d'ignames, ont opté pour mourir debout, plutôt que de tendre la main aux autres.

 Ici ce sont nos racines, les you-yous stridents de nos mères et de nos sœurs enivrées de nous voir le soir rentrant des champs, le front luisant de fierté d'indépendance et de noblesse.

Ici nous devons être. Vivre ou mourir.

Ici nos ancêtres ont accompli les miracles et dompté les difficultés. Ici nos pères et nos grands pères ont dressé les fauves et domestiqué les forêts. C'est ici que nous devons vivre forts et mourir dignement.

Retroussez les manches les jeunes. La difficulté n'a jamais effrayé un africain.

Vous verrez souvent la terre sourire, quand une mère attache les pas de son fils en gardant un peu de la poussière de sous ses empreintes.

Quand la terre écarte les lèvres et sourit, c'est toujours pour réchauffer l'un de ses fils dans la chaleur de sa poitrine généreuse, ou pour comprimer, à lui briser les cotes, le squelette d'un tyran.

Mohamed Hanefi

Koweït.  

 

(Reçu à Kassataya le 14mai 2015)

 

    

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