Les monarchies du Golfe déçues par Washington

Faute de garanties de sécurité suffisantes face à l'Iran, le roi d'Arabie saoudite a annulé sa visite à Camp David.

Hillary Clinton avait résumé par le passé l'une des principales difficultés de la relation sino-américaine en s'interrogeant sur la capacité d'un Etat endetté comme le sien à pouvoir " parler durement " à son banquier. A la veille d'une réunion à Washington, mercredi 13  mai, prolongée le lendemain dans le cadre à la fois historique et intime de Camp David, la résidence d'été des présidents américains, les Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont confrontés à une question similaire : comment " parler durement " à leur protecteur ? Le roi d'Arabie saoudite a choisi de l'esquiver, en annulant son déplacement aux Etats-Unis.

Si le président américain, Barack Obama, a jugé nécessaire d'inviter les six monarchies du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Oman) quelques instants seulement après l'annonce d'un accord-cadre entre les grandes puissances mondiales et l'Iran, le 2  avril, c'est parce qu'il sait bien que ce processus diplomatique les inquiète au plus au point. Rompant avec des décennies d'endiguement, sa stratégie d'engagement avec Téhéran coïncide avec un renforcement de la présence iranienne dans l'arc des Etats affaiblis ou faillis, qui court du Liban à l'Irak en passant par la Syrie. Une influence iranienne que le CCG voit aujourd'hui au Yémen, ce qui a incité l'Arabie saoudite à ouvrir les hostilités contre la milice houthiste au pouvoir à Sanaa.

Méfiance

Cette méfiance vis-à-vis du président américain, voire la crainte d'un renversement d'alliances, a été alimentée par une série de décisions qui ont souvent pris de court les Etats du Golfe. Lâchage du président Hosni Moubarak dès le début du " printemps égyptien ", en  2011. Renoncement à intervenir en Syrie deux ans plus tard, contrairement aux engagements pris sur la " ligne rouge " que constituait le recours aux armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. Renoncement également, dès 2013, à toute implication de la Maison Blanche dans le dossier palestinien. S'ajoute, enfin, depuis août  2014, à la grande frustration du CCG, un engagement militaire exclusivement tourné contre l'Etat islamique qui, pour l'instant, laisse dans un angle mort le sort qui doit être réservé au régime de Bachar Al-Assad.

Certains propos du président américain, tenus à l'occasion d'un entretien avec le chroniqueur du New York Times Thomas Friedman et publié le 5  avril, n'ont pu qu'entretenir cette défiance. M.  Obama y estimait que les plus grandes menaces pour ses alliés arabes pourraient bien ne pas venir de l'Iran, mais " de l'insatisfaction au sein de leur propre pays ", sous-entendu vis-à-vis de gouvernances contestables, ajoutant que la coopération antiterroriste entre les Etats-Unis et ces pays " ne devait pas valider  automatiquement toute forme de répression ".

La décision brusque du nouveau souverain saoudien, Salman Ben Abdel Aziz Al-Saoud, de ne pas se rendre à Washington, alors qu'il devait être reçu en tête à tête par le président des Etats-Unis, a été aussitôt lue comme un signe de cet inconfort et comme un geste de mauvaise humeur, en dépit des dénégations américaines et saoudiennes. Elle a été d'autant moins comprise que le roi avait reçu à Riyad le secrétaire d'Etat, John Kerry, trois jours auparavant.

Survenant après l'accueil de choix réservé par le CCG au président français, François Hollande, jugé plus déterminé sur les dossiers iranien et syrien, cette absence royale s'ajoute à celle prévue pour cause de maladie du sultan Qabous d'Oman et de l'émir d'Abou Dhabi, qui préside la fédération des Emirats arabes unis, ainsi qu'à celle du roi de Bahreïn, l'obligé de Riyad.

Lundi, la Maison Blanche a écarté les hypothèses avancées pour justifier la décision du roi Salman, notamment celle selon laquelle le souverain saoudien aurait jugé insuffisantes les garanties de sécurité supplémentaires que pourraient proposer les Etats-Unis à leurs alliés. Washington rechignerait à s'engager dans toute forme de solidarité automatique inspirée du traité qui lie les pays membres de l'Alliance atlantique.

L'administration américaine s'est également efforcée de dissiper l'idée d'un mécontentement lié au fait que Washington réserve certaines de ses armes les plus performantes, comme les avions F-35, à ses alliés israélien et turc. Le conseiller du président, Ben Rhodes, a ainsi fait valoir au cours d'un entretien avec la presse, lundi 11  mai, que le soutien américain à ses alliés du Golfe s'élargissait bien au-delà de l'armement conventionnel. Il a rappelé l'existence d'autres formes de menaces, citant la cyberattaque dont le géant pétrolier saoudien Aramco a été la cible en  2012.

Les Etats-Unis ont beau jeu de mettre en avant l'importance des forces déployées (35 000 hommes) et celle des systèmes de défense antimissiles installés dans la région. Dans son entretien du 5  avril, M.  Obama avait d'ailleurs voulu rassurer ses alliés en affirmant que les Etats-Unis " seront là en cas d'agression extérieure ".

Même privée de quatre souverains, la délégation du CCG n'en comprend pas moins des hommes qui comptent dans la région : l'émir du Qatar, et surtout les princes héritiers d'Abou Dhabi, Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane, et d'Arabie saoudite, Mohammed Ben Nayef.

La délégation saoudienne est également renforcée par la présence de l'autre nouvel homme fort du royaume, Mohammed Ben Salman, fils du roi et l'un des rares princes de sa génération à ne pas avoir été formés en Occident.

M.  Rhodes a assuré, lundi, que la rencontre de Camp David permettrait " de faire converger " les intérêts des uns et des autres. Faute d'alternative à la puissance militaire américaine (le Royaume-Uni, encore à la manœuvre dans le dossier yéménite en  2010, a ainsi totalement disparu depuis), les pays du CCG n'ont en fait guère le choix et risquent de devoir se contenter des propositions de l'administration Obama.

Gilles Paris

 

Source : Le Monde

 

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