L’impunité d’Omar Al-Bachir, une défaite pour l’ONU et la CPI

A chacun de ses déplacements, le président soudanais doit résoudre une complexe équation. Inculpé de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, Omar Al-Bachir doit vérifier, à chaque invitation, si elle provient ou non d'un pays membre de la Cour pénale internationale (CPI), au risque, sinon, d'être arrêté et livré à La  Haye.

 

Les deux mandats d'arrêt délivrés contre le chef de l'Etat soudanais par la CPI en  2009 et 2010 lui donnent sans doute une vision bien singulière de la géopolitique. Et sans doute est-ce la seule chose qu'il partage avec la procureure de la Cour, Fatou Bensouda. Mais jusqu'ici, et grâce, entre autres, à la passivité du Conseil de sécurité de l'ONU, pourtant à l'origine de la saisine de la Cour sur les crimes du Darfour, le Soudanais, au pouvoir depuis 1989 et sur le point d'être réélu président pour un nouveau mandat de cinq ans, a toujours gardé une longueur d'avance sur la Gambienne.

En mars  2005, l'ONU s'inquiétait des crimes commis au Darfour, en proie depuis 2003 à une guerre civile opposant Khartoum à des groupes rebelles. Le Conseil de sécurité avait alors saisi la CPI. Alliée historique et premier importateur du pétrole soudanais, la Chine s'était abstenue. Au fil des ans, le procureur lançait cinq mandats d'arrêt visant un chef rebelle et quatre responsables du régime de Khartoum, dont le président Omar Al-Bachir.

Depuis, le chef de l'Etat soudanais a pu se rendre au moins 45 fois à l'étranger. Parmi ses destinations favorites figurent l'Ethiopie, où siège l'Union africaine (UA), le Qatar et l'Arabie saoudite, où le président va régulièrement parler business, se soigner et prier. Enfin l'Egypte, qui l'a encore accueilli deux fois en mars. La CPI n'ayant pas de force de police, elle doit compter sur ses 123 pays membres, pas toujours enclins à arrêter les suspects. Les autres, comme l'Egypte qui n'a pas adhéré au Statut de Rome, n'ont pas l'obligation de coopérer.

" Un élément de stabilité "

Les présidents égyptiens Hosni Moubarak, Mohamed Morsi et désormais Abdel Fattah Al-Sissi ont tous, depuis 2009, invité leur voisin soudanais. Mi-mars, lors d'une conférence des donateurs pour l'Egypte à Charm el-Cheikh, où étaient aussi présents le ministre des finances, Michel Sapin ainsi que celui de l'Union européenne, le maréchal Al-Sissi a offert une tribune au chef de Khartoum, qui s'exprima après les dirigeants saoudiens, émiratis et koweitiens, mais loin devant l'Américain John Kerry. " Le président égyptien a besoin du Soudan comme allié, ne serait-ce que pour gérer la capacité de nuisance de Bachir ", explique Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS. Le Soudan a, par le passé, servi de base arrière à des groupes terroristes actifs en Egypte et soutenu des mouvements islamistes comme le Hamas et Aube de la Libye, tous deux considérés comme hostiles par Le  Caire.

Tous les pays qui accueillent Omar Al-Bachir ne soutiennent pas, loin s'en faut, le dictateur soudanais, mais il reste un interlocuteur-clé. Son pays est l'une des portes d'entrée du monde arabe en Afrique et il contrôle une bonne partie du cours du Nil. " Même l'Occident voit Bachir comme un élément de stabilité dans la région ", explique Marc Lavergne. Alors directeur du panel d'experts de l'ONU sur le Darfour, le chercheur se souvient que, en  2006, " dans la liste des dix-huit personnes accusées de crimes divers – au Darfour – , Bachir figurait en tant que chef suprême. L'ONU était embarrassée " mais, " elle ne pensait pas qu'un mandat d'arrêt contre lui serait suivi d'effet, car le Soudan est vu comme un pays qui ne gêne personne. Il y a une part d'aveuglement occidental sur le Soudan, qui est un pôle de soutien aux mouvements djihadistes du Sahel, de la Corne de l'Afrique, du Yémen et d'Al-Qaida ".

Dès juillet  2008, lors d'un sommet organisé en Libye, l'UA demandait aux Etats africains adhérant à la CPI de ne pas coopérer avec elle, et les invitait à choisir entre leurs obligations vis-à-vis de l'UA et celles envers la Cour. Djibouti, le Tchad, le Malawi, le Congo-Kinshasa, le Kenya et la Centrafrique, tous membres de la Cour, ont choisi l'UA et accueilli Omar Al-Bachir. Les huit courriers adressés par les juges au Conseil de sécurité, dénonçant ces cas de non-coopération, n'ont suscité que le silence. Les juges de la CPI ont dénoncé cette inaction de l'ONU, d'autant plus qu'aucune sanction ne pèse sur Omar Al-Bachir, ni interdiction de voyager ni gel des avoirs. " S'il n'y avait pas de suivi de la part du Conseil de sécurité, le renvoi par celui-ci d'une situation à la CPI n'atteindrait pas son but ultime, (…) mettre fin à l'impunité. Un tel renvoi deviendrait alors vain ", écrivent les magistrats début mars. Silence toujours.

Lasse, Fatou Bensouda a annoncé, mi-décembre, la suspension de ses enquêtes devant le Conseil de sécurité. " Nous nous trouvons dans une impasse qui ne peut qu'encourager les auteurs de crimes à poursuivre leurs actes de brutalité ", lançait-elle à New York. L'ONU recense 300 000 morts depuis le début d'un conflit qui a aussi entraîné le déplacement de 2,5  millions de personnes. Ce jour-là, la Chine et la Russie rappelaient leur opposition au mandat d'arrêt. La procureure trouvait ses plus forts soutiens du côté d'Etats peu liés à Khartoum. Ainsi, l'Australie voyait dans cette inaction " un acte d'accusation du Conseil quant à son engagement à mettre fin à l'impunité ".

Omar Al-Bachir peut préparer sans inquiétudes ses bagages pour Djakarta. Le président soudanais a été convié au 60e anniversaire de la Conférence afro-asiatique de Bandung, prévue du 19 au 24  avril. A La  Haye, la procureure a demandé aux juges d'informer l'Indonésie des mandats d'arrêt pesant contre son invité.

Stéphanie Maupas et Hélène Sallon

 

 

Source : Le Monde

 

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