De Cuba à l’Iran, Obama formule sa doctrine

" Nous faisons des ouvertures, mais nous préservons toutes nos capacités", affirme le président des Etats-Unis.

 
Ceux qui cherchaient depuis des années à définir la " doctrine Obama " en politique étrangère et avaient fini par -conclure qu'il n'en existait pas, ont eu la surprise d'entendre, le 5  avril, une réponse de la bouche même du président américain : " Vous m'interrogez sur une doctrine Obama, a-t-il dit au New York Times, à quelques jours du premier tête-à-tête d'un président des Etats-Unis avec un dirigeant cubain en plus d'un demi-siècle. La doctrine est celle-ci : nous faisons des ouvertures, mais nous préservons toutes nos capacités. "

Illustration de cette politique, samedi 11  avril, son face-à-face tant attendu avec son homologue cubain, Raul Castro, a eu lieu, en marge du 7e Sommet des Amériques à Panama. " Après cinquante ans sans changement de la poli-tique américaine à l'égard de Cuba, j'ai pensé qu'il était temps de ten-ter autre chose ", a dit M. Obama.

Bien entendu, il restera des différences entre les deux gouvernements : Washington " continuera à évoquer la démocratie et les droits de l'homme, a-t-il poursuivi. Et le discours passionné du président Raul Castro au Sommet montre qu'il ne manquera pas de faire part de ses préoccupations sur la politique américaine ". Le chef de l'Etat cubain s'est voulu à l'unisson : " Tout peut se discuter, si cela se fait avec beaucoup de respect pour les idées de l'autre. "

Doctrine ? Le mot était tabou il n'y a encore pas si longtemps à la Maison Blanche. Barack Obama récusait les questions sur le sujet et, après l'intervention en Libye, ses conseillers s'en agaçaient franchement. Au point d'affirmer, comme le faisait Denis McDonough, le chef de cabinet du président, que l'administration américaine ne prenait pas ses décisions " sur la base d'un souci de cohérence ou de précédents ".

" Risques calculés "

Mais à moins de deux ans de la fin de son mandat, M.  Obama ne désespère pas de laisser son empreinte sur la politique internationale, le pré carré auquel le confine la cohabitation avec un Congrès à majorité républicaine. En une semaine, il a renoué avec deux des ennemis historiques de l'Amérique : l'Iran et Cuba. Aboutissement spectaculaire d'une politique engagée avant même son élection et formulée sur les marches du Capitole le 21  janvier  2009, quand il promettait, lors de son premier discours d'investiture, de tendre la main à ceux qui seraient " prêts à desserrer le poing ".

La politique " d'engagement " avec les régimes autoritaires, qui était l'un des piliers de la diplo-matie du " néoréaliste " – ou " pragma-tiste idéaliste " – qu'est M. Obama selon les géostratèges, l'autre étant le " pivot " vers l'Asie, a été bousculée par les soubresauts du monde arabe. Jusqu'ici, l'ouverture n'avait porté que de maigres fruits, en Birmanie, où Aung San Suu Kyi a retrouvé la -liberté en  2010. L'accord sur le nucléaire avec l'Iran, conclu le 2  avril, et le dégel avec Cuba donnent au président l'occasion, sinon de pavoiser, comme l'en accusent les -républicains, mais de faire valoir que sa démarche est la bonne.

Dans le long entretien accordé au chroniqueur Tom Friedman et publiée le 5  avril par le New York Times, Barack Obama revendique pour la première fois une " doctrine ", assise sur la conviction que, malgré le terrorisme et les attaques asymétriques, la domination des Etats-Unis reste telle qu'ils n'ont rien à perdre à tendre la main à leurs ennemis. " Avec sa puissance écrasante ", l'Amérique peut se permettre " de prendre certains risques calculés ", explique-t-il. " C'est une chose que les gens n'ont pas l'air de comprendre, ajoute-t-il. Prenez un pays comme Cuba, il n'y a pas grand risque pour nous à tester la possibilité que l'ouverture amène à une amélioration pour le peuple cubain. C'est un pays minuscule, qui ne menace pas nos intérêts fondamentaux. "

Mais qu'en est-il de l'Iran ? " C'est pareil, répond le président. Le budget militaire de l'Iran est de 30  milliards. Le nôtre est plus près de 600  milliards – 566  milliards d'euros – . L'Iran sait qu'il ne peut pas nous combattre. Vous m'interrogez sur la doctrine Obama. La doctrine est celle-ci : nous faisons des ouvertures, mais nous préservons toutes nos capacités. "

Sur Cuba, le processus semble bien enclenché. Mais sur l'Iran, M.  Obama doit gérer deux obstacles, Israël et le Congrès. Sans parler des alliés sunnites traditionnels des Etats-Unis. Dans son entretien avec Tom Friedman, il s'efforce longuement de rassurer les Israéliens. " Si quelqu'un essaie de s'en prendre à Israël, nous serons là ", insiste-t-il. " Je considérerais comme un échec fondamental de ma présidence si, pendant que j'exerce le pouvoir ou comme une conséquence du travail que j'ai fait, Israël devenait plus vulnérable. "

Succès peu éclatants

Le ton du président est moins amène à l'égard de l'Arabie saoudite et des alliés arabes. M.  Obama indique qu'il entend les aider à renforcer leurs capacités militaires de défense. Mais, ajoute-t-il abruptement, " les plus grandes menaces auxquelles ils sont confrontés pourraient ne pas venir d'une invasion de l'Iran. Elles viendront de l'insatisfaction à l'intérieur même de leur pays ". Convenant que " c'est une conversation difficile mais nécessaire ", le président estime que la jeunesse sunnite doit avoir " un autre choix " que l'Etat islamique (EI).

A Washington, les républicains ne vont pas se laisser aisément -convaincre, eux qui n'ont jamais cessé de considérer la politique d'ouverture comme une manifestation de faiblesse et l'accord-cadre avec l'Iran comme l'expression suprême de l'esprit de " capitulation " qui régnerait à la Maison Blanche. La doctrine Obama, c'est " parler doucement et porter un grand bâton sans la moindre intention de l'utiliser ", résume l'éditorialiste du Wall Street Journal, Daniel Henninger.

Le Congrès exige un droit de regard sur le contenu de cet accord. Dans l'entretien, M.  Obama laisse entrevoir une ouverture : " J'espère que nous pouvons aboutir à quelque chose qui permette au Congrès de s'exprimer sans attenter aux prérogatives traditionnelles du président ", indique-t-il. Un vote indicatif, autrement dit. Cette hypothèse a été immédiatement rejetée par Bob Corker, le président de la commission des affaires étrangères du Sénat. " Dans les deux partis, il y a un fort consensus pour un vote contraignant. Le président doit “vendre” cette politique aux Américains et le Congrès doit être partie prenante ", a exigé le sénateur, qui a programmé un vote préliminaire sur le processus mardi 14  avril.

Barack Obama doit convaincre que sa " doctrine " – édictée alors que, du Yémen à la Chine, les succès de sa diplomatie sont peu éclatants – est dissuasive. " L'Iran n'aura pas d'arme nucléaire tant que je serai en fonctions ", promet-il. " Dans ces conversations, ce n'est pas comme si je laissais tous mes fusils à la porte. "

 

Corine Lesnes, Gilles Paris, et Paulo A. Paranagua (à panama)

 

Source : Le Monde

 

 

 

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