Zlatan et les  » bad boys « 

L'attaquant du PSG, qui vient d'être suspendu quatre matchs après ses insultes contre un arbitre, est le digne représentant de la caste des " mauvais garçons " du foot.

 

Zlatan Ibrahimovic ne cesse jamais de faire parler de lui. Qu'il marque trois buts au Parc des Princes, comme lors de la victoire (4-1) du Paris-Saint-Germain contre Saint-Etienne, mercredi 8  avril en demi-finale de la Coupe de France, ou qu'il se fasse beaucoup plus discret, comme ce fut le cas trois jours plus tôt à l'occasion du clasico, gagné (3-2) à Marseille. Alimenter la rumeur en continu : c'est là le privilège des people, comme son ancien coéquipier, la gravure de mode anglaise David Beckham, qui déclencha l'hystérie pendant son CDD de VRP parisien au premier semestre 2013. Mais " Ibra ", dont la vie privée, rangée comme une étagère Ikea dans ses 6 hectomètrescarrés du 16e arrondissement, -désespérerait un lecteur de Public ou de Closer, n'appartient pas vraiment à cette caste. Plus sûrement à une lignée rare et recherchée, car menacée par l'hygiénisation de ce sport : celle des " bad boys ".

Ces derniers temps, le géant tatoué n'a pas ménagé ses efforts pour le rappeler, en s'illustrant davantage par ses écarts de conduite que par ses gestes extraterrestres. Le " mauvais garçon " a d'ailleurs été sanctionné de quatre matchs de suspension, jeudi 9  avril, par la commission de discipline de la Ligue de football professionnel (LFP). Son méfait ? Avoir tenu des propos injurieux sur l'arbitrage (un " fucking asshole ", insulte redondante se passant de traduction, adressé au troisième assesseur), et surtout sur son pays d'accueil, en rejoignant les vestiaires après une défaite (3-2) à -Bordeaux, le 15  mars.

" En quinze ans, je n'ai jamais vu un tel arbitre, dans ce pays de merde, avait-il maugréé dans un anglais de lad (palefrenier). Ce pays ne mérite pas le PSG, nous sommes trop bons pour vous, vous devriez vous estimer heureux de nous voir à la télévision. " Le charretier eut beau s'excuser à deux reprises, probablement sous la contrainte d'un employeur qatari de plus en plus embarrassé par les saillies de sa star, personne ne crut à un dérapage. Il est dans la nature du " bad boy " de s'exprimer ainsi, loin des oiseuses considérations technico-tactiques de ses congénères, qui font bâiller les journalistes.

Depuis son arrivée dans la capitale à l'été 2012, Ibrahimovic s'était contenté pour ses deux premières saisons d'affoler les statistiques en inscrivant la bagatelle de 30 puis de 26 buts. Nettement devancé aujourd'hui au classement des finisseurs de Ligue 1 par le Lyonnais Alexandre Lacazette (17 contre 25), et même d'une unité par le Marseillais -André-Pierre Gignac, il compense en garnissant son dossier disciplinaire. Il ne sera pas de la réception de Barcelone en quart de finale aller de Ligue des champions, mercredi 15  avril, en raison de son exclusion contre Chelsea au tour précédent. Sanctionné dès la première demi-heure, son tacle appuyé sur le Brésilien Oscar a condamné ses dix camarades à l'exploit. Loin de faire profil bas, le fautif continue de commenter une décision qu'il juge " inacceptable ". Il n'y a pourtant pas de fumée sans feu : avec quatre cartons rouges récoltés en Ligue des champions au cours de sa carrière, Ibrahimovic partage avec le " Pitbull " néerlandais Edgar Davids le record de la compétition.

Auteur en  2007 deBad boysdu football (éd. Prolongations), réunissant 38 têtes brûlées du ballon rond, le journaliste de L'Equipe Jean-Philippe Bouchard affirme en conséquence qu'une mise à jour de son ouvrage comporterait prioritairement les trois noms suivants : Ibrahimovic en tête de liste, Mario Balotelli, le fantasque et ingérable attaquant italien de Liverpool, et le prédécesseur de celui-ci à Anfield Road, le vampire uruguayen Luis Suarez, célèbre pour ses coups de crocs dans la couenne de ses adversaires et dont " Ibra " devra se méfier lors du match retour à Barcelone, le 21  avril.

Bad boys établit une typologie à partir de trois catégories poreuses, révélant l'ambivalence de ces personnages qui peuvent être des créateurs d'inspiration divine comme des destructeurs, commis aux basses œuvres, mais qui, tous, " donnent du piment au jeu "." Les génies incontrôlables " rassemblent George Best, Paul Breitner, Eric Cantona, Paul Gascoigne, Diego Maradona ou… Zinédine Zidane, un choix " touchy ", reconnaît Jean-Philippe Bouchard : " Mais il a récolté 14 cartons rouges en jouant numéro  10 ! Et son “suicide” lors de la finale de la Coupe du monde 2006 est typique du “bad boy”. " Suivent les " rois de la provoc' " : Nicolas Anelka, Gennaro Gattuso ou Wayne Rooney. Enfin, les plus redoutables et redoutés, les " vrais méchants " : Raymond Domenech, Claudio Gentile, Harald Schumacher ou MarcoMaterazzi.

Contre Saint-Etienne, à Geoffroy-Guichard le 26  janvier, Ibrahimovic a joué sur les trois tableaux. Auteur, sur penalty, de l'unique but, il s'est, en fin de rencontre, " essuyé les crampons sur Romain -Hamouma, un geste de pure méchanceté gratuite – sanctionné d'un carton jaune – ", relève Jean-Philippe Bouchard, avant de tenter d'humilier Paul Baysse, venu à sa rencontre, en regardant ostensiblement le nom du défenseur au dos de son maillot. Baysse a réagi comme il fallait, en faisant de même avec Sa Majesté Zlatan. D'abord soufflée, celle-ci a ri de l'impudence.

" Avec Zlatan, il peut se passer quelque chose à tout moment pendant un match, constate Jean-Philippe Bouchard. Il peut marquer un but tout seul en dribblant trois défenseurs ou faire n'importe quoi –  comme contre Caen, le 14  février, lorsqu'il a retiré son maillot pour exhiber ses tatouages, et encore pris un carton jaune. " L'attaquant, qui avait prêté son buste à une opération de communication du Programme alimentaire mondial, devait se dénuder à la mi-temps. Mais il a profité de son but dès la deuxième minute pour anticiper. " C'était spontané, je n'ai pas pensé à un éventuel avertissement ou à une suspension, a réagi l'homme-sandwich. Cela signifie que ce que je fais n'a pas de prix. C'est la première fois que je fais quelque chose publiquement dans l'humanitaire. Je ne veux pas qu'on dise que je suis un bon mec ou que je fais ça pour avoir l'air sympa. J'ai une image de mauvais -garçon et j'y tiens. "

Cette gratuité du geste, cette incapacité à en calculer les conséquences sont précisément le propre du " bad boy ", un punk parfaitement imprévisible, insensible à toute pression, capable de provoquer une hallucination du réel, de produire un acte situationniste au cœur même du spectacle. " J'aime les mecs qui crament les feux rouges "¸ confesse Ibrahimovic, usager à son endroit de la troisième personne du singulier, dans sa mégalomaniaque autobiographie, Moi, Zlatan Ibrahimovic (JC Lattès, 2013).

Ses facéties et sa propension au burlesque lui valent des comparaisons récurrentes avec un autre illustre " bad boy ", Eric Cantona. " Ma plus grande fierté dans la vie est de n'avoir jamais pensé à ce que je ferais une minute après ", déclarait -celui-ci au Monde en  2009. Les deux sont venus, ont vu et ont conquis, l'un à Paris, l'autre en Angleterre. Les deux sont pratiquants d'arts martiaux, mais Ibrahimovic, ceinture noire de taekwondo, n'a pas franchi les limites du tatami, comme son aîné qui, sous le maillot de Manchester United, administra il y a vingt ans en plein match un mawashi-geri (" coup de pied circulaire ") à un spectateur qui l'insultait. Et tous deux ont débuté leurs romances respectives par une phrase restée culte : " Je ne connais pas la Ligue 1 mais la Ligue 1 me connaît " pour le -Suédois, " I love you, I don't know why, but I love you " (avec l'accent méridional) pour le futur " King Eric ", devant les supporteurs de Leeds en  1992.

C'est que la puissance du verbe est un attribut essentiel du " bad boy " depuis celui dont Cantona fut considéré comme l'héritier à Old Trafford : le Nord-Irlandais George Best (1946-2005), rock star surnommée " le Cinquième Beatles " dans les années 1960. Best a ruiné sa carrière dans l'alcoolisme et laissé des aphorismes qui font de lui l'Oscar Wilde du football. Morceaux choisis :" J'ai connu Miss Canada, puis Miss Royaume-Uni, puis Miss Monde. Ma vie, finalement, est assez monotone ", ou : " J'avais une maison au bord de la mer, mais pour aller à la plage il fallait passer devant un bar. Je n'ai jamais vu la mer. " " Canto " opta plutôt pour une énigmatique métaphore baudelairienne, le seul commentaire qu'il fit en conférence de presse après sa suspension des terrains pour neuf mois (à la suite du coup de pied susmentionné) : " Quand les mouettes suivent un chalutier, c'est parce qu'elles pensent qu'on va leur jeter des sardines. "

L'échec de Cantona en France, où il ne fut jamais compris, rappelle que le " bad boy " est une figure typiquement britannique, liée à l'imaginaire dickensien des bas-fonds et à la culture des gangs. " Il a été inventé en Grande-Bretagne avec le football ", tranche Jean-Philippe Bouchard, en glissant que, pour la version anglaise de son livre, il a dû, à la demande de l'éditeur, prendre le pseudonyme de John Phillips " pour que ça fasse crédible ". La liste locale est en effet interminable et toujours en cours d'élaboration : Stuart Pearce, Dennis Wise, Tony Adams, Roy Keane, Alan Smith, John Terry, Wayne Rooney, sans oublier le plus effroyable de tous, l'équarisseur gallois Vinnie Jones, auteur de Confessions of a bad boy ?(Headline, 1999), son autobiographie, et reconverti dans les rôles de brute au cinéma. Le triste sire se rendit célèbre en martyrisant en  1988 un autre " bad boy ", Paul Gascoigne, dont il empoigna les testicules. Sa victime rapporta ainsi l'incident : " Il s'est approché de moi pour me dire : “Je m'appelle Vinnie Jones, je suis un Gitan, je gagne beaucoup de fric et je vais t'arracher l'oreille avec les dents puis tout recracher dans l'herbe. Tu es seul, mon gros, tout seul avec moi !” Tout le temps, j'ai senti son souffle derrière moi, comme un dragon. Je ne me suis jamais plaint d'être taclé, mais là il s'agissait à chaque fois de pures agressions ! A un moment, il m'a craché au visage en me -disant :Je vais juste tirer le corner mais ne t'inquiète pas, mon gros, je reviens !” "

La tentative d'importation d'un pur produit d'Albion en la personne de Jœy -Barton, débarqué avec fracas à l'Olympique de Marseille à l'été 2012 avec dix matchs de suspension à purger, s'est soldée par un fiasco. D'autant que la recrue, précédée d'une réputation de hooligan (77 jours de prison en  2008 pour avoir massacré un adolescent), voulait se racheter, jurant qu'elle n'était pas " un mauvais garçon ". Médiocre footballeur, Barton a fait parler de lui par l'abondance de ses tweets (dont un traitant le capitaine du PSG, Thiago Silva, de " transexuel ") ou en se moquant du nez proéminent d'Ibrahimovic. Plus " bad guy " (sale type) que " bad boy ", en définitive, il est retourné après une saison à Queens Park Rangers, et affiche sur son site personnel des " pensées " qui relèvent davantage du propos de pub que celui de Pascal.

Ibrahimovic n'a pas eu l'heur d'évoluer au royaume des " bad boys ". " Mais si j'avais joué en Angleterre, j'aurais tout détruit, comme je l'ai fait partout où je suis passé ", reste-t-il convaincu. A 19 ans, il bouda une convocation d'Arsenal et d'Arsène Wenger pour faire un essai, comme un vulgaire jeune premier : " J'ai répondu : “Pas question. Zlatan ne passe pas de test.” " Ce caractère impétueux cadre mal avec le projet qatari du PSG, lisse et respectable. Il est pourtant le premier responsable de sa réussite.

Et les dirigeants parisiens ont dû être ravis que leur vedette – dont le contrat expire en  2016 – figure au sommaire du dernier numéro de la très chic revue –Egoïste, à la périodicité capricieuse. Sous un titre emprunté à Bernanos, " Sous le soleil de Zlatan ", l'écrivain et éditeur Jean-Paul -Enthoven décrit le phénomène comme une divinité moderne, le -surhomme -Zlatan s'étant déjà lui-même comparé à Dieu : " D'emblée, le zlatanisme eut donc droit à son haut rang parmi les monothéismes. Son prophète avait, et a toujours, des mauvaises manières, des muscles fiables, un don spécial pour la voltige, ainsi qu'une psyché dont la robustesse concurrence fièrement ces mobiliers en kit qui ont fait la fortune scandinave. " Il " méprise tous ceux qui ne sont pas lui " et " ignore, par principe, les dix satellites en sueur qui s'agitent dans son sillage ".

Voilà une description conforme au " bad boy ", mais Jean-Paul Enthoven, qui a trouvé savoureux " d'écrire sur Ibrahimovic dans ce magazine ultrasnob ", rejette toute fascination pour cette confrérie, préférant les " gentlemen comme Bobby Charlton ou David Beckham, -métrosexuel à la mèche décolorée ". Il n'aurait, de toute façon, pas été inspiré par Messi ou Cristiano Ronaldo – " parce qu'ils sont trop parfaits ".

Bruno Lesprit

 

Source : Le Monde (Supplément Sport & Forme)

 

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