Mauritanie : cherche printemps désespérément (Par Abdoulaye DIAGANA, In Ouvrage paru chez Routledge)

Routledge (Taylor & Francis Group) vient de faire paraitre un ouvrage collectif analysant les mouvements communément appelés « Printemps arabes » quatre ans après leur apparition. Codirigé  par Zoubir H. Yahya (Euromed) et Gregory White (Smith college), il s’intitule North African Politics, Change and Continuity, Routledge, 2016, 480p.

L'ouvrage contient un chapitre qui porte sur l'analyse de l'échec du "printemps mauritanien": Mauritania: Where Did the Spring Go? Abdoulaye Diagana (Titre à paraitre en français : Changements politiques en Mauritanie : cherche printemps désespérément).

Comment ce pays, niché entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord parvient-il à passer à travers les soubresauts politiques qui secouent les deux ensembles? Comment le pouvoir actuel a-t-il pu survivre au vent de contestation qui a soufflé sur le monde arabe dans ce qu’il est admis d’appeler « printemps arabe » ? Telles sont quelques unes des interrogations qui sous-tendent l’analyse dans ce chapitre.

L’une de ses hypothèses repose sur les antagonismes que connaissent les sociétés mauritaniennes qui semblent regarder vers des horizons différents, « entre Arabité et Africanité » (Baduel, 1989). Au point que quand les mouvements de contestation avaient fleuri en Mauritanie dans le sillage des événements qui secouaient l’Afrique du Nord, il s’en était trouvé des voix qui invitaient à ne pas suivre ces exemples « parce que la Mauritanie n’était pas seulement arabe ». Au même moment, étaient soulevées d’autres revendications au sujet de l’enrôlement biométrique jugé discriminatoire à l’endroit des populations noires de Mauritanie. Les leaders de ce mouvement de contestation (TPMN : Touche Pas Ma Nationalité) déploraient dans le même temps le peu d’intérêt que les populations arabes de Mauritanie accordaient, selon eux, à leur mobilisation. Quant aux organisations de lutte contre l’esclavage, elles se concentraient principalement sur l’éradication de cette tare (ou ses séquelles selon la terminologie officielle adoptée par le gouvernement mauritanien) et l’émancipation des populations haratines qui en souffrent principalement.    

Par ailleurs, les différentes contestations qui se faisaient jour ici et là n’ont pas réussi à faire jonction. Cette situation avait pour résultat de faire se côtoyer des contestataires qui s’ignoraient et faisaient bande à part. La plupart du temps d’ailleurs, les manifestants qui se regroupaient devant les grilles du palais présidentiel se contentaient de revendiquer la satisfaction de points particularistes ou catégoriels en recourant à l’arbitrage du président, sans aller jusqu’à remettre en cause sa légitimité.

Sur l’échiquier politique, les partis d’opposition n’ont pas su créer les conditions d’une mobilisation et les synergies à même de rendre crédible l’hypothèse d’un changement politique profond et traduire dans les faits leur slogan « arhal » ou « Aziz dégage ».

En face, le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz qui n’avait pas la longévité de ses homologues de Tunisie, d’Egypte ou de Libye (il est au pouvoir depuis août 2008) a probablement bénéficié des retombées de politiques et de discours qui ont l’heur de rencontrer oreilles attentives auprès des couches populaires et chez les plus démunis. Il a également fait grand cas des « grands travaux » (constructions de routes, nouvel aéroport, villes nouvelles, production d’énergie…) même si l’opposition dénonce l’absence de concertation et de transparence dans l’attribution des marchés de même que la pertinence des travaux.

En dernière analyse, North African Politics, Change and Continuity est une contribution essentielle à la compréhension des dynamiques politiques qui occupent l’Afrique du Nord et la Mauritanie. C’est un outil dont chercheurs, étudiants et acteurs politiques tireront un intérêt certain.

Toutes les informations relatives à l'ouvrage (contenu, auteurs, modalités d'acquisition) sont disponibles en cliquant sur ce lien: http://www.tandf.net/books/details/9781138922969/.

POST-SCRIPTUM

Alors que l’ouvrage était déjà chez l’éditeur, des éléments nouveaux sont venus éclairer l’analyse d’un jour nouveau. La longue grève qui a secoué la SNIM a donné l’occasion à l’opposition et aux analystes de renouveler leurs réserves sur les interventions de la première entreprise du pays notamment dans le sauvetage de la compagnie aérienne nationale ou pour la construction du nouvel aéroport de Nouakchott alors dans une passe difficile.

De même, le départ de Tullow Oil du projet Banda est un coup dur pour la politique énergétique du pouvoir qui vient de modifier le statut de la SPEG (Société de Production d’Electricité à partir du Gaz) devenue une cellule au sein du ministère du pétrole, de l’énergie et des mines.

Par ailleurs, deux procès ont tenu le pays en haleine. Le premier concerne les militants abolitionnistes qui avaient organisé une manifestation pour dénoncer la gestion traditionnelle du foncier sur fond de discrimination. Biram Dah Ould Abeid, prix des droits de l’homme de l’ONU et deuxième à la dernière élection présidentielle, Brahim Ould Bilal, vice-président de IRA et Djiby Sow, président de l’association Kawtal purgent chacun une peine de deux ans d’emprisonnement à Aleg. Le second procès concerne Mohamed Cheikh Ould Mkheitir, un jeune forgeron accusé d’apostasie et condamné à mort malgré sa lettre de clarification dans laquelle il exprimait son attachement à l’Islam et à son prophète. La motion votée par le parlement européen et l’écho que la presse étrangère a réservé à ces procès ont ruiné tous les efforts consentis par le pouvoir ces dernières années pour polir son image.

Sur le plan de la liberté d’expression, si l’on peut dire qu’avec Ould Abdel Aziz la Mauritanie est passée de « ferme ta gueule » (censure et répression sous Ould Taya par exemple) à « cause toujours » (liberté de dire à peu près tout mais sans incidence sur le cours des choses) l’incident survenu en direct à la télévision (le président demandant au journaliste Ould Wedia de fermer sa bouche et intimant l’ordre à la régie d’interrompre le direct) lors de la conférence de presse du 26 mars 2015 est troublant.

Enfin, un nouveau dialogue politique est souhaité par le président Ould Abdel Aziz mais l’opposition ne semble pas l’accueillir avec grand enthousiasme. Sans doute craint-t-elle une modification constitutionnelle qui permettrait à l’actuel président de rempiler à la fin de son mandat (prévue pour 2019).  A Ouagadougou en novembre 2014 après la fuite de Blaise Compaoré qui venait d’échouer dans sa tentative de tripatouiller la constitution dans le but de se perpétuer au pouvoir, Ould Abdel Aziz alors président en exercice de l’Union Africaine exhortait les Burkinabé « à consentir davantage d’efforts pour traduire dans les faits, les engagements pris, loin de toute tentation susceptible de remettre en cause ce processus salutaire ou de constituer une quelconque entrave à son accomplissement, pour le bien de tous » et […] « d’œuvrer pour la construction et la pérennité du Burkina Faso, dans le but d’assurer le bonheur de ses enfants, loin des incertitudes, des égarements et des voies sans issue». Va-t-il s’appliquer cette sagesse ? La question occupe les discussions entre les Mauritaniens. Orphelins d’un printemps avorté (sans regrets disent certains eu égard à la situation de l’Egypte, de la Libye, de la Syrie, du Yémen et, dans une moindre mesure, de la Tunisie après « le printemps arabe »), les Mauritaniens vont devoir attendre la fin du mandat en cours pour savoir de laquelle des expériences cap-verdienne (un président, Pedro Pires, en fin de mandat qui ne se représente pas et qui devient lauréat du prix Moh Ibrahim 2011) et burkinabé (révolte citoyenne pour préserver la constitution et chasser Blaise Compaoré du pouvoir pour un exil ivoirien) ils vont pouvoir s’inspirer.

Dr Abdoulaye DIAGANA

Chercheur en Géostratégie/Géographie politique

Project Cross-Border Co-operation

in West Africa : Mapping Policy Networks

OECD/OCDE

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