Chez les esclaves de la famille du président sénégalais Macky Sall

Fin février, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade a perdu ses nerfs. Les audiences du procès de son fils Karim se terminaient, le verdict était annoncé pour le 23 mars. Devant les journalistes, dans sa villa du quartier Point E à Dakar, le « vieux » Wade a insulté le président Macky Sall, son successeur, comme jamais auparavant. Voici ses mots :

 

« [Macky Sall] c’est un descendant d’esclaves. (…) Ses parents étaient anthropophages (…) Ils mangeaient des bébés et on les a chassés du village. (…) Ceux qui sont propriétaires de la famille de Macky Sall sont toujours là, vivants. Il sait [qu’il est] leur esclave. Je le dis et je l’assume parce qu’on ne peut pas toujours cacher les vérités. (…) Jamais mon fils Karim n’acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui. Dans d’autres situations, je l’aurai vendu en tant qu’esclave (…) ».

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La violence de ces propos a provoqué la stupeur au Sénégal. Mais curieusement, toutes les réactions n’ont pas été défavorables à Abdoulaye Wade, 88 ans. Car l’ancien président a touché un point sensible. La société sénégalaise, sous un vernis de modernité, garde les stigmates d’une société organisée selon une hiérarchie implacable, héritée de l’ère précoloniale et dont les « maccubé » (esclaves) constituaient la caste la plus basse, en particulier dans le Fouta (nord du pays), région d’où est originaire Macky Sall. Descend-il vraiment d’esclaves ? Le Monde Afrique a voulu en avoir le cœur net et a envoyé son journaliste Mamadou Ndiaye dans le village du président. Où la surprise est de taille : la famille de Macky Sall n’était pas esclave, mais « ceedo » (guerrière), et avait des esclaves. Nuance. Voici son récit.

Ils sont gonflés à bloc ! Au village de Ndouloumadji Founaybé, près de Matam, dans la région sénégalaise du Fouta à la frontière de la Mauritanie (600 km de Dakar), les accusations de l’ex-président Abdoulaye Wade ont sonné comme une insulte. Il faut dire que c’est le village d’origine de Macky Sall, le président actuel, traité fin février par son prédécesseur de « descendant d’esclave ».

Une dizaine d’hommes ont été conviés sur une parcelle sableuse appartenant au chef du village. Ils ne décolèrent pas. C’est Djiby Sall, cousin du président, qui donne le ton : « Wade a tout faux sur notre famille. Nous sommes de grands propriétaires terriens. Nous avons des esclaves partout dans le Fouta ». Le septuagénaire est nerveux, visiblement secoué par des propos qui visent, selon lui, à « jeter le discrédit et la honte » sur toute sa lignée.

Ses yeux scintillent de rage et sa voix tremble. « Pour des questions d’humilité, je ne pourrai pas en dire plus. Ici, au Fouta, tout le monde se connaît. Allez demander si nous sommes des “maccubés” (membres de la caste des esclaves) ».

Le chef du village, Ibrahima Ly, tout de bleu vêtu et confortablement assis sur une chaise de plastique, secoue la tête avant de prendre la parole : « Ces propos ont bouleversé tout le village. La famille de l’actuel président de la République fait partie des nobles de Ndouloumadji Founaybé. D’ailleurs, ce sont les familles Sall et Ly qui ont fondé ce village », assène-t-il. Et le chef du village de poursuivre d’un air supérieur, des gestes amples venant appuyer ses propos : « Je ne veux même pas avancer dans ces détails car ici tout le monde le sait. Jamais un “maccudo” (esclave) ne pourra se présenter pour diriger quoi que ce soit. Parce que ce n’est pas son rôle. »

Une main timide se lève. Son propriétaire voudrait prendre la parole mais Ibrahima Ly, le chef du village, autoritaire, exige de ne pas être interrompu. « Abdoulaye Wade n’a qu’un souci, c’est de faire libérer son fils. C’est un vieillard et, dans nos traditions, nous respectons les vieilles personnes. »

Les esclaves de la famille Sall portent le combat

Au terme du silence religieux qui suit ces propos, le chef du village se décide à donner la parole à Lamine Dia, la main timide qui se prolonge par un corps costaud et la tête d’un homme d’une soixantaine d’années, à la barbe poivre et sel. Lamine Dia, donc, pose cette question troublante : « Comment un esclave peut-il avoir un esclave ? »

Lamine Dia, qui s’exprime en wolof avec un fort accent peul, se présente comme esclave de la famille du président sénégalais. Lamine et ses paupières qui peinent à s’ouvrir, sa voix grave et son visage triste, se dit meurtri par les accusations portées contre son « maître ». Le “maccudo” (esclave) déclare : « Je ne m’en cache pas ni aucun membre de ma famille d’ailleurs. Mon père a été l’esclave du père de Macky Sall. Le grand-père de Macky nous a donné en son temps des terres que nous cultivons pour vivre. »

Ulcéré par ce qu’il appelle un « manque de respect » envers son « maître », Lamine réitère son appartenance à la classe des esclaves de la famille Sall. Il se dit prêt à mourir pour laver l’honneur des Sall. « Je donnerai ma vie pour mon maître », dit-il.

Amadou Abdoul Sall, le père de Macky, un Peul originaire du Fouta, a rejoint avant l’indépendance la ville de Fatick, à 155 km de Dakar. Là, il a été pris sous la protection du maire de l’époque, Macky Gassama, qui lui a trouvé un travail au service des eaux et des forêts ainsi, dit-on, qu’une femme peule, vendeuse d’arachides. Macky Sall naît de cette union à Fatick en 1961, s’engagera en politique aux côtés du Pardi démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade, sera ministre, premier ministre, avant de devenir deviendra à son tour maire de Fatick puis d’accéder à la présidence en 2012.

A Nguidjilone, village d’où est issue Coumba Thimbo, la mère de Macky Sall, c’est le même son de cloche. « La mère du président Macky est issue de la famille des Seebés, la classe guerrière du Fouta, qui est une composante de la noblesse même si elle n’en est pas la crème. À l’image des autres couches issues de la noblesse, les Seebés refusent de se marier avec les Maccubés », affirment les cousins du président Sall trouvés sur place.

Habitant de Ndouloumadji et responsable politique de l’Alliance pour la République, parti présidentielle dans la communauté rurale de Rao, Amadou Tidiane Sognane a préféré répondre par le mépris. « Le président Sall nous a suppliés de ne pas répondre aux propos blessants d’Abdoulaye Wade. À mon avis, il faut absolument éviter à ce pays un débat sur l’ethnie ou la classe sociale, qui pourrait être une source de conflit. »

À la fin février, au lendemain des propos incendiaires du « vieux » Wade, les populations des localités de Ndouloumadji Founaybé, Sinthiou Garba et Sebbe Koliyaabe, ont fait une marche de protestation dans leur village. Les correspondants régionaux se sont demandé s’il fallait couvrir cet événement. Finalement, ils ne l’ont pas fait et rien n’a filtré de l’événement dans la presse nationale. Raison invoquée : cette marche de protestation a prononcé des insultes trop virulentes contre Abdoulaye Wade.

 

 

 

Source : Le Monde Afrique

 

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