Au moins deux entreprises françaises présentes sur place, Veolia et la BNP, sont citées. C’est une bombe à retardement pour la présidence d’Ali Bongo.
Pilier de la Françafrique, c’est aussi l’un des régimes les plus corrompus de la planète : le Gabon. Des documents secrets portant sur l’héritage de l’ancien président Omar Bongo, obtenus par Mediapart, lèvent un coin de voile sur un système de captation des richesses de tout un pays d’une rare ampleur. Au moins deux entreprises françaises présentes sur place, Veolia et la BNP, sont citées.
Six ans après la mort du patriarche de la Françafrique, les dessous de la succession Bongo constituent une véritable bombe à retardement politique, morale et financière pour l'actuel président de la République gabonaise, Ali Bongo, fils d’Omar.
Ce petit pays pétrolier de 1,5 million d’habitants, qui s’enferre dans la crise à cause de la chute des cours du baril, vit depuis plusieurs semaines sur un volcan social. Grèves et blocages se suivent et se ressemblent. Les manifestants réclament des hausses de salaire et de meilleures conditions de vie. Le SMIC local ne dépasse pas les 150 euros par mois, malgré les promesses d’augmentation d’Ali Bongo. À côté de cela, la famille au pouvoir, elle, ne connaît pas la crise.
Même si les éléments contenus dans ce PV n’offrent qu’une vision très partielle de la fortune des Bongo, celle-ci est déjà vertigineuse. Pour cause : les sommes ici en jeu s’élèvent au bas mot à 300 milliards de francs CFA (460 millions d’euros). Pour saisir l’ampleur de l’affaire, cela représente plus de 10 % du budget du Gabon pour 2015. Et les calculs, qui sont fondés sur des actifs immobiliers, quelques comptes en banque et des participations dans certaines entreprises, sont loin d’être exhaustifs. Ils ne prennent, par exemple, pas en compte les revenus issus du pétrole (un gisement de cash) ou des actions dans plusieurs multinationales (la rente idéale).
Le sujet de la succession Bongo est très sensible. Il doit à tout prix être protégé du regard extérieur. La notaire en charge du dossier, Me Lydie Relongue, le sait. C’est pourquoi elle a demandé dès l’entame de la réunion du 17 février 2014 la plus grande discrétion aux participants sur ce qui allait être révélé, « compte tenu de la nature particulière de ce dossier et surtout pour éviter une divulgation du patrimoine dans les médias », peut-on lire dans le PV.
Durant la réunion, Ali Bongo (absent mais représenté par un notaire) a commencé par revendiquer avec fracas sa part du gâteau, après avoir pourtant longtemps affirmé qu’il se désintéressait de la succession de son père. Le président gabonais n’a eu de cesse en effet, depuis 2009, de se construire une image publique de fer de lance du « changement », en rupture complète avec les pratiques d’Omar Bongo, dictateur corrompu et corrupteur.
L'actuel président gabonais, seul légataire universel de la succession avec sa sœur Pascaline, a rédigé une lettre à l’attention des héritiers pour faire part de sa « décision de faire représenter ses intérêts dans la succession ». Le chef de l’État n’y va pas de main morte. Il veut que lui « soient communiquées copies exhaustives de l’intégralité des documents relatifs à la succession, permettant d’apprécier la situation active et passive de cette succession, tant au Gabon, en France que dans l’ensemble des autres pays et ce, quelles que soient les structures mises en place préalablement [par Omar Bongo] ».
La lecture de la lettre d’Ali Bongo a jeté un froid, si l’on en croit le procès-verbal de la réunion. Il est désormais soupçonné de vouloir verrouiller la succession avec sa sœur Pascaline. L’un des héritiers, Anicet Bongo, a qualifié la « situation de délicate », évoquant un « problème de sécurité ». « Il y a des Bongo protégés et des Bongo non protégés », a-t-il fait savoir, mystérieux. Il a aussi ajouté qu’il avait reçu un avis d’expulsion de la résidence qu’il occupe à Franceville pour laisser la place à… Ali Bongo.
La fortune est considérable et les appétits voraces. Question gros sous, le procès-verbal dévoile notamment l’inventaire (partiel) des actifs immobiliers de la succession. Les biens sont « essentiellement » répartis sur les quatre provinces les plus développées du Gabon (l’Estuaire, le Haut-Ogoué, l’Ogoué-Maritime et le Woleu-Ntem). Il s’agit de villas, d’hôtels de luxe, d’appartements ou d’immeubles. Un expert de la cour d’appel de Libreville a chiffré jusqu’à 238 milliards de francs CFA (370 millions €) la valeur des biens, peut-on lire dans le document.
Selon les notaires qui gèrent la succession, il faut ajouter à cette première liste tous les biens détenus à Libreville, Franceville et Port-Gentil par le biais de la Socoba, une société dirigée par un gendre d’Omar Bongo et principale bénéficiaire des travaux publics du Gabon. Les actifs immobiliers de la Socoba s’élèvent quant à eux à plus de 24 milliards de francs CFA (40 millions €), d’après le procès-verbal.
Pour le peu d’initiés au Gabon, l’appétit foncier des Bongo révolte. Pascaline Bongo a ainsi rapporté devant les autres héritiers une remarque éloquente de la présidente du tribunal administratif de Libreville, saisie d’un différend autour de 68 hectares de terres revendiquées par le clan Bongo : « Le temps d’Omar Bongo est maintenant fini, vous n’allez pas prendre tous les terrains du pays », aurait vitupéré la magistrate, selon le compte-rendu de la réunion.
Le fils du «parrain des parrains» cité dans la succession
Mais il n’y a pas que l’immobilier. La succession a également hérité des actions plus ou moins cachées d’Omar Bongo au sein de deux grandes sociétés françaises, très actives au Gabon. La première est la Société d’eau et d’électricité du Gabon (SEEG), filiale du géant tricolore Veolia, qui détient depuis 1997 grâce à Omar Bongo le monopole de la distribution de l’eau et de l’électricité dans tout le pays. Le vieux despote avait donc su trouver un intérêt tout personnel dans la privatisation en entrant au capital de la société. À la clé : 800 000 euros de dividendes.
Contacté, Veolia a confirmé la présence des Bongo au sein de la SEEG mais n’a pas souhaité s’exprimer sur l’éventuel pacte de corruption qui a pu présider au deal.
Le même schéma a été mis en place avec une filiale de la BNP, la Banque internationale pour l’industrie et le commerce du Gabon (BICIG). Le partenariat passe cette fois par l’entremise d’une holding familiale baptisée Delta Synergie, actionnaire de très nombreuses autres multinationales en activité au Gabon – le détail n’est pas donné dans le PV de février 2014. Pour les Bongo, les retombées de l’étreinte avec la BNP sont coquettes : 230 000 euros de dividendes, révèle le procès-verbal de février 2014. La BNP n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Hasard du calendrier, sûrement : lors d’un déplacement officiel d’Ali Bongo à Paris, le 6 février, le chef de l’État gabonais a pris le temps de recevoir en audience les dirigeants de deux sociétés françaises. Il s’agit d’Antoine Frérot, de Veolia, et de Jean Lemierre, de la BNP, comme en témoignent des photographies prises ce jour-là. Les patrons français avaient donc affaire non seulement à un chef d’État étranger, mais aussi à l’un de leurs actionnaires… Commode.
De manière générale, la France figure en bonne place dans le procès-verbal de la succession Bongo, même si l’inventaire précis des biens qui y sont détenus n’est pas décrit. On apprend toutefois que les seuls droits de succession liés à l’héritage d’Omar Bongo se sont élevés, en France, à plus de 13 milliards de francs CFA, soit 20 millions d’euros. Cela laisse facilement entrevoir l’importance du patrimoine hexagonal dont il est question.
Plusieurs comptes en banque, qui ne sont qu’une toute petite partie du patrimoine bancaire d’Omar Bongo, sont également répertoriés. Il est question de plusieurs comptes au Gabon, dont un à la BGFI, créditeur de plus de 2 milliards de francs CFA (3 millions €).
Plus intéressant encore, la succession Bongo a intégré deux comptes offshore ouverts à la banque Martin Maurel de Monaco, sur lesquels dormaient près de 20 milliards de francs CFA (30 millions €). Ces comptes, dont l’existence avait été révélée par Mediapart, sont aujourd’hui dans le viseur de deux juges anticorruption français en charge de l’enquête sur les “Biens mal acquis”. Les magistrats soupçonnent en effet un possible « blanchiment de détournements de fonds publics » derrière ces comptes.
À l’occasion de la parution de notre article sur les deux comptes de Monaco, la présidence du Gabon avait fait savoir qu’Ali Bongo « n’en a jamais été informé ». Le procès-verbal de février 2014 prouve le contraire.
Or, il se trouve que ce bateau avait été immatriculé pour le compte de l’ancien dictateur par un certain Jean-Baptiste Tomi, fils de Michel Tomi. Ce dernier, figure du Milieu corse qui a fait fortune dans les jeux en Afrique, est surnommé le « parrain des parrains ». Il est aujourd’hui dans les filets de la justice française, qui le soupçonne de malversations diverses. Son fils, Jean-Baptiste, n’a quant à lui « jamais voulu donner suite aux courriers et autres sommations faites par huissier de justice » concernant le bateau d’Omar Bongo, s’émeut la notaire.
Mais au-delà des questions d’argent, la succession Bongo contient également un possible poison politique pour l’actuel chef de l’État gabonais. Depuis plusieurs années, Ali Bongo est en effet attaqué par l’opposition sur ses origines. L’homme, né officiellement le 9 février 1959 à Brazzaville, alors sous gouvernorat français, serait en réalité né au Biafra avant d’avoir été adopté à la fin des années 1960 par Omar Bongo. C’est notamment la thèse martelée dans un livre récent, Nouvelles Affaires africaines (Fayard), par le journaliste Pierre Péan.
Cette polémique, non tranchée à ce jour, soulève au Gabon des relents xénophobes très gênants mais aussi de vraies interrogations politiques, susceptibles de remettre en cause l’élection présidentielle de 2009 et de compliquer celle de 2016. La Constitution du pays stipule en effet que « toute personne ayant acquis la nationalité gabonaise ne peut se présenter comme candidat à la présidence de la République ».
Pour se défendre de sa “gabonité”, Ali Bongo a brandi un acte de naissance de la mairie de Brazzaville, sur lequel pèsent aujourd’hui de très sérieux soupçons. Et c’est là que la succession n’est pas de nature, pour l’heure, à rassurer ceux qui doutent de la version officielle. D’après un autre document obtenu par Mediapart – il s’agit de l’acte de “notoriété” du 25 juin 2010 établissant la liste des héritiers –, Ali Bongo est le seul des enfants reconnus par Omar Bongo incapable de fournir un acte de naissance en bonne et due forme.
On y apprend qu’il est marié en revanche depuis février 2000 « sous le régime légal de la séparation de biens, option polygamie », mais rien de probant sur sa naissance. Mieux : il est précisé dans la “notoriété” que le décret et le jugement qui ont permis le changement de nom d’Alain-Bernard en Ali Bongo, quand son père a décidé d’islamiser la famille, « seront présentés ultérieurement au notaire ».
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