Au Mali, les djihadistes multiplient les attaques

La recrudescence des violences islamistes dans le pays fragilise le processus de paix.

Le commando qui a attaqué La Terrasse, samedi soir 7  mars, à Bamako, était réduit à sa plus simple expression : un chauffeur dans une Mercedes et un homme masqué, qui a affronté la sécurité, gravi les marches menant à ce bar-restaurant installé sur le toit d'une boîte de nuit, avant d'ouvrir le feu et de jeter des grenades en direction de la foule, en criant " mort aux Blancs " selon un témoignage recueilli par l'AFP.

Pas de ceinture explosive, pas de dispositif sophistiqué, et une forme de maladresse dans l'exécution : certaines grenades n'ont pas explosé. En tirant à bout portant, l'attaquant est parvenu à tuer un Français, un Belge et trois Maliens. Le ressortissant belge, le lieutenant-colonel Ronny Piens, était justement responsable de la sécurité auprès de la délégation de l'Union européenne. Trois Suisses, des militaires, comptent parmi les huit blessés.

Preuve de faiblesse

C'est la première fois que Bamako est touchée par une attaque de cette nature, visant le lieu " international " de la nuit le plus emblématique dans la capitale, fréquenté par des Maliens, des organisations diverses et des membres de l'ONU. " Ça va forcément serrer les vis du côté des internationaux ", grince une source onusienne.

Personne, ni du côté du gouvernement malien, de ses services de renseignement, ni parmi les organisations internationales ou les ambassades, notamment française, n'avait anticipé le risque d'une attaque. Preuve de sa préparation, celle-ci a été revendiquée très vite par le chef d'Al-Mourabitoune, le groupe du dissident d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Mokhtar Belmokhtar.

Il arrive qu'une attaque constitue aussi une preuve de faiblesse. Selon Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel à l'université de East Anglia, " Mokhtar Belmokhtar avait besoin de faire un coup d'éclat pour montrer qu'il continue à exister, alors que l'attention est accaparée par les groupes de la galaxie de l'Etat islamique ou d'autres tendances ". Alors que " le borgne " (surnom du chef djihadiste, qui a perdu un œil en Afghanistan) se cache sans doute en Libye, dans l'une des villes de la bande côtière, ses hommes ont été décimés au Mali au cours de l'année passée par la force Barkhane, le dispositif militaire français dans la région.

En janvier  2013, les hommes de Mokhtar Belmokhtar (encore émir d'AQMI) avaient attaqué In Amenas, le site gazier algérien : 38 civils et 29 djihadistes tués, puis d'autres cibles au Niger. Depuis, les Al-Mourabitoune sont traqués, spécialement ceux du commando d'In Amenas. La perte récente la plus lourde enregistrée par la formation djihadiste a été celle d'Abderrahmane Ould Amer, dit Ahmed Al-Tilemsi, cofondateur de Al-Mourabitoune avec Belmokhtar, et ancien responsable militaire du Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) à Gao, tué en décembre  2014 près d'Anéfis, au Nord-Mali. Dans sa revendication, le groupe affirme que l'attaque de La Terrasse a été menée " pour venger notre prophète de l'Occident mécréant qui l'a insulté et moqué, et notre frère Ahmed Tilemsi ".

Un hommage à leur chef mort, une allusion directe à Charlie Hebdo et aux forces françaises qui opèrent contre la formation de Belmokhtar. Mais aucune mention, en revanche, de l'état de suspension dans lequel se trouve le Mali, dans l'attente de la décision de la coalition des groupes armés du Nord-Mali de signer, ou pas, un accord de paix. Pourtant, ce doit être une source de préoccupation pour Al-Mourabitoune et les autres formations djihadistes, dont les actions se sont multipliées au cours des derniers mois.

Le texte de cet accord a déjà été " paraphé " à Alger, le dimanche précédent, par le gouvernement malien et ses alliés. La signature solennelle et finale devrait avoir lieu à Bamako, le 30  mars, à condition que les membres de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), réunis à Kidal, leur bastion du Nord-Mali, acceptent de s'y associer. La question est cruciale : si le groupe composé d'ex-rebelles avec une forte dominante touareg refuse de signer, le plan de paix s'écroule. Les opposants à la signature au sein de la CMA, qui pourrait rendre son avis mardi, tentent de faire valoir qu'ils ne trouvent pas dans le texte de réponses satisfaisantes à leurs revendications d'autonomie.

Une ligne contre le djihadisme

Le document, en l'état, a été négocié sous pression pour en finir avec les atermoiements des différentes parties. Le temps presse : les groupes armés se multiplient dans le Nord du Mali. Certains éléments de l'ex-Mujao, par exemple, se retrouvent aussi bien dans Al-Mourabitoune que du côté d'un nouveau groupe antiséparatiste, bras armé de Bamako (le Gatia), laissant craindre un embrasement qui serait un magnifique terrain de jeu pour les groupes djihadistes.

Un accord devrait mettre de l'ordre dans la scissiparité en cours, mais aussi tracer une ligne plus nette contre le djihadisme. Les signataires s'engagent à " combattre le terrorisme " et seront associés à une seconde phase de négociations, au Mali, qui doit créer les conditions d'un nouvel élan pour le Nord, avec une distribution de responsabilités politiques et des bénéfices économiques (notamment miniers). Tout ceci s'oppose aux projets de la galaxie djihadiste, dont l'un des groupes, Ansar Eddine, a distribué récemment des tracts, prévenant les habitants du Nord de se tenir loin de l'ONU ou des forces française de Barkhane, qu'ils affirment pouvoir attaquer à tout moment.

Dimanche à l'aube, à Kidal, cette menace a été mise une nouvelle fois à exécution : une trentaine de roquettes et obus ont visé le camp de l'ONU, à la lisière de la ville. Un casque bleu tchadien a été tué, ainsi que deux enfants dans un camp des environs. Des blessés graves ont été hospitalisés. Le gouvernement malien a affirmé qu'il ne se laisserait " pas intimider par ceux qui n'ont d'autre dessein que de faire éloigner les perspectives de la paix ".

Jean-Philippe Rémy

 

Source : Le Monde

 

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