Publiées le 15 janvier par Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, les images, qui montrent des signes évidents d’incendie criminel, ont mis fin au débat de plus en plus vif sur la couverture médiatique des zones de conflit lointaines. Elles ont remis sous les feux des projecteurs les terribles évènements qui se sont produits à Baga et qui auraient fait des centaines de victimes, jusqu’à 2 000 personnes.
« C’est le pouvoir des images », a déclaré à IRIN Clement Nwankwo, avocat nigérian spécialisé dans les droits de l’homme. « La raison pour laquelle les gens se sont demandés si 2 000 personnes avaient vraiment été tuées est que ce niveau de brutalité est inimaginable. Mais les images ont confirmé cette allégation ; le nombre de morts pourrait être de cet ordre. »
L’imagerie satellitaire est de plus en plus utilisée par les associations de défense des droits de l’homme, afin d’apporter une preuve matérielle de faits qui seraient autrement difficiles à vérifier. Elle fournit une dimension supplémentaire de preuves aux enquêteurs, pouvant être à la fois immédiate et à long terme – la collecte d’une série d’images séquentielles sert par exemple à retracer l’évolution de la dégradation de l’environnement.
L’imagerie peut également révéler plus que prévu. HRW examine actuellement de possibles atteintes aux droits de l’homme, inconnues jusqu’ici, au Nigeria.
Les limites
Les satellites ne peuvent être ni intimidés ni menacés. De plus, leurs images constituent un enregistrement numérique qui permet une analyse rétrospective. Mais ces dernières ne sont qu’un outil dans la panoplie du militant et elles ont leurs limites. La méfiance demeure aux yeux de la loi quant à la recevabilité des données devant les tribunaux. En effet, les images de synthèse peuvent être retouchées, nécessitent une interprétation subjective donnée par des experts et n’établissent pas forcément la causalité.
La présentation de l’ancien secrétaire d’État américain Colin Powell devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, sur les armes de destruction massive en Irak, est l’un des plus célèbres exemples de désinformation – notamment l’hypothèse sous-entendue selon laquelle cette vue de l’espace l’emportait sur celle des inspecteurs des armements, envoyés par les Nations Unies pour visiter les installations.
Josh Lyons est analyste en télédétection à HRW. Il a travaillé sur les images de Baga et affirme que la collaboration avec des enquêteurs sur le terrain – afin de confronter les témoignages et la connaissance des lieux avec la nature des données satellitaires – est primordiale pour l’exactitude et la crédibilité de ses évaluations.
Il y a un certain nombre de satellites commerciaux de plus en plus sophistiqués disponibles à un coût relativement bas, ce qui démocratise leur utilisation. Dans le cas de Baga, M. Lyons a recherché en ligne les images de la ville disponibles à des dates précises. Il a versé à la société européenne Airbus seulement 350 dollars (grâce à la remise accordée à l’ONG HRW) et a reçu l’ensemble des images sur son ordinateur en l’espace de deux heures. S’il avait commandé une couverture sur mesure, demandant au satellite de photographier une zone spécifique, cela lui aurait coûté de 400 à 1 380 dollars, en fonction de la rapidité voulue.
« L’obstacle ne concerne pas obligatoirement le prix, mais le logiciel et l’expertise nécessaires pour interpréter les images », a déclaré à IRIN M. Lyons. Pour contourner cette difficulté, les associations à but non lucratif comme l’Association américaine pour l’avancement des sciences (American Association for the Advancement of Science) fournissent un soutien analytique aux associations de défense de droits de l’homme. Amnesty International a fait appel à la société spécialisée dans l’imagerie spatiale DigitalGlobe pour interpréter les images de Baga.
Les logiciels, avec leurs algorithmes complexes et leurs modèles de détection de variation, servent généralement à traiter et gérer un grand nombre d’images satellitaires. Ils peuvent utiliser différentes bandes spectrales, y compris le proche infrarouge – qui peut servir à détecter des changements dans l’état de la végétation, ainsi que des preuves de dommages causés par le feu, comme dans le cas de Baga. Les nouveaux systèmes par satellite utilisent l’infrarouge à ondes courtes pour traverser les nuages et la fumée dense, ce qui permet de détecter les objets qui seraient invisibles avec l’imagerie traditionnelle ; ils ont des résolutions pouvant aller jusqu’à 31 centimètres par pixel.
Que pouvons-nous voir ?
Le plus difficile est de traduire les données affichées par l’ordinateur. Le feu, par exemple, laisse des traces particulières : les toits brûlent entièrement et les murs porteurs restent intacts ; les frappes aériennes produisent de grands cratères d’impact ; il est possible de déterminer la taille d’un projectile d’artillerie et donc, l’arme utilisée ; la terre qui a été remuée a une couleur différente, ce qui peut indiquer l’endroit où quelque chose est enfoui.
Mais, ce qui ressemble à des caractéristiques de dégâts classiques peut être trompeur dans certaines circonstances et il faut minutieusement écarter les autres possibilités. La confusion entre les évènements en raison d’un manque de données séquentielles dans une série temporelle est un autre problème. « Il est également très fréquent que l’esprit s’habitue à un type de dégât particulier et que l’on passe à côté de certains détails », a déclaré M. Lyons, qui a travaillé avec les Nations Unies sur la télédétection au Myanmar et au Sri Lanka.
GPS, Google Earth et Satellite Sentinel Project (SSP), financé par George Clooney, ont marqué des étapes importantes dans l’évolution révolutionnaire du suivi de la situation des droits de l’homme. Aujourd’hui, de nouvelles générations de microsatellites tels que Planet Labs et Skybox, qui permettront l’observation permanente de la planète en temps réel, sont considérées comme le moyen, non seulement d’enregistrer, mais aussi de décourager les atteintes aux droits de l’homme.
Le SSP va au-delà du suivi « classique » la situation des droits de l’homme ; l’objectif du projet est d’étudier, selon ses propres termes, « comment les auteurs des atrocités de masse financent leurs activités et où ils cachent les biens volés ».
Greg Hittelman, directeur de la communication du projet Enough, partenaire du SSP, estime que la télédétection fait partie d’une gamme de technologies pouvant être utilisées pour « contribuer à prévenir les atrocités et les violations des droits de l’homme, accroître la prise de conscience à l’échelle mondiale, obliger les responsables à rendre des comptes et rendre justice aux victimes ».
Mais M. Lyons est moins optimiste. « Je ne pense pas qu’elle ait ce pouvoir magique. Lorsque l’EI [État islamique] met en ligne une vidéo de sa dernière décapitation ou que le gouvernement syrien utilise des barils d’explosifs – sur des selfies de crimes de guerre – le message est clair. Ils ne croient pas qu’ils auront des comptes à rendre ».
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Guide d’espionnage pour ceux qui sont du bon côté |
– Vérifiez : au cas où d’autres aient déjà commandé les images de la zone concernée. Déterminez la date et la séquence temporelle qui vous intéresse, ainsi que la résolution nécessaire. |
– Commandez : La société américaine DigitalGlobe a plusieurs satellites et ses images sont les plus détaillées, mais la société européenne Airbus est moins coûteuse et son système de commande en ligne est plus facile d’utilisation. |
– Rassemblez : autant de preuves de terrain que possible ; des photos, des témoignages et des repères GPS. Travaillez en équipe pour recouper les informations et examiner les observations initiales. |
– Analysez : ce travail peut être sous-traité. La précision est essentielle. Méfiez-vous des erreurs extrêmement faciles à commettre ; la combustion de résidus de récolte peut, dans certains cas, ressembler à des cratères d’impact. |
– Vérifiez : refaites votre analyse encore et encore, afin d’éviter une vision cloisonnée. Lorsque la preuve est irréfutable, lancez votre plan d’action. |
Source: How to Use Satellites to Document Human Rights Violations (Guide d’utilisation des satellites pour enregistrer les violations des droits de l’homme)
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Source : IRIN
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