Vers un « Patriot Act » français? Le cas américain et ses dérives

TERRORISME – Une séquence en chasse une autre. Après la marche historique qui a rassemblé des millions de Français, descendus dans les rues en hommage aux 17 victimes des attentats de ces derniers jours, la classe politique se concentre désormais sur la lutte contre le terrorisme. Et une question émerge déjà: faut-il adopter, un "Patriot Act", loi d'exception adoptée par les Etats-Unis au lendemain du 11-Septembre?

Interrogé à ce sujet lundi 12 janvier, Manuel Valls semblait réticent. "Attention à toutes les procédures d'exception, même s'il faut à une attaque exceptionnelle par sa violence et sa barbarie une réponse d'une très grande fermeté et donc une réponse qui soit exceptionnelle. Pour cela elle doit reposer sur le débat, la concorde nationale, dans le cadre du Parlement", a déclaré le premier ministre qui avait toutefois annoncé dès vendredi la nécessité "de nouvelles mesures pour répondre au terrorisme".

A droite, plusieurs personnalités ont souhaité que la France renforce l'arsenal législatif existant en adoptant un texte dans la lignée américaine. "Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française. Il faut une réponse ferme et globale", a lancé l'UMP Valérie Pécresse sur Twitter. "Les Etats-Unis ont su réagir après le 11 Septembre. On a dénoncé le Patriot Act mais, depuis, ils n'ont pas eu d'attentat à part Boston", a souligné auprès du Parisien Thierry Mariani, membre de la Droite populaire.

Le député-maire Claude Goasguen a formulé le même vœu au micro de France Info tout en précisant qu'il faudrait éviter les "excès américains". Il faut dire que le "Patriot Act" est un texte très controversé et jugé liberticide par ses détracteurs. Surveillance abusive, torture, procédure d'exception pérennisée, retour sur les dérives d'un texte dont veulent s'inspirer certains politiques français.

Une "vaste interprétation" du programme de surveillance

Voté en urgence un mois et demi seulement après les attaques du World Trade Center, le "Patriot Act" étend les pouvoirs des agences américaines à savoir, le FBI, la CIA et la NSA, notamment en termes de surveillance. Elle donne la possibilité de faire des perquisitions et de saisir des biens sans en informer les propriétaires auparavant. Le FBI peut également avoir accès à de nombreuses données personnelles (dossier médical, livres consultés en bibliothèques, relevés bancaires etc) sans devoir justifier qu'elles ont un lien avec une enquête terroriste. Les autorités ont par ailleurs la possibilité de surveiller des communications sans autorisation judiciaire.

Autant de points qui ont fait bondir les défenseurs des libertés individuelles, craignant des dérives des autorités. Ces inquiétudes semblent aujourd'hui justifiées à la lumière de l'affaire Snowden et de ses révélations sur le programme très étendu de surveillance de la NSA. Cette affaire a "montré que le gouvernement avait une interprétation très vaste du Patriot Act qui lui permettait de collecter des informations sur des millions d'Américains sans lien avec le terrorisme", souligne ainsi Le Point.

Une partie de la classe politique française s'était elle-même indignée de ces méthodes. Toutefois, les personnalités politiques se sont plus émues du fait que la France ait été surveillée par les Etats-Unis que de la violation des libertés. Christiane Taubira a parlé d'un "acte d'hostilité inqualifiable". Fleur Pellerin, alors ministre de l'Economie a déclaré être choquée par ce "dispositif de surveillance généralisée" des populations. Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis estimait que "l'Europe se déconsidérerait si elle passait l'éponge".

A droite aussi, les voix se sont élevées. François Fillon, qualifiant l'affaire de "très grave", a rappelé qu'"un allié n'espionne pas un allié, un ami n'espionne pas ses amis". En revanche, pour Henri Guaino, il ne s'agissait pas de "l'affaire du siècle" vu qu'"il y a tellement peu à espionner à Bruxelles". Quant à Marine Le Pen, elle a réclamé l'arrêt des négociations autour du traité de libre-échange transatlantique en guise de représailles.

Ce qui se cache derrière les "méthodes dures d’interrogatoire"

Au-delà de cette problématique de la surveillance, le "Patriot Act" a aussi été pointé du doigt pour une de ses mesures qui a envoyé de nombreuses personnes dans le camp de Guantanamo. Le texte signé par George W. Bush a en effet créé le statut de "combattant illégal" permettant aux "États-Unis de détenir sans limite, et sans inculpation, à Guantanamo, toute personne soupçonnée de projet terroriste", rappelle le blog du Monde "Bug Brother". De cette prison très particulière, Nicolas Sarkozy dira, alors qu'il est président de la République, qu'elle n'est "pas conforme aux valeurs des Etats-Unis, en tout cas à l'idée que je m'en fais".

En 2006, la loi est par ailleurs complétée par le "Military commissions Act" qui autorise les "méthodes dures d’interrogatoire contre les suspects de terrorisme, les centres de détention clandestins à l'étranger et le jugement des détenus de Guantanamo par des tribunaux militaires", détaille le Nouvel Obs.

Des "méthodes dures d’interrogatoire" qui se sont plutôt apparentées à de la torture dans certains cas, comme l'a souligné un récent rapport du Sénat américain. Ces pratiques, en plus d'être inhumaines, ont été qualifiées d'inefficaces par le rapport. En France seule Marine Le Pen s'est hasardée à justifier la torture dans certains cas avant de dénoncer une interprétation malveillante de ses propos.

Une procédure d'exception qui dure

Enfin le "Patriot Act" est censé être une procédure d'exception (votée pour une durée initiale de quatre ans) or il est toujours en vigueur à l'heure actuelle. Déjà renouvelée deux fois en 2006, la loi est à nouveau prolongée in extremis en 2011, renvoyant la nouvelle échéance à juin 2015. A cette date, le Congrès pourra décider de reconduire ou non le texte. Le fait qu'une loi "temporaire" soit perpétuée de la sorte fait d'ailleurs débat au sein même de l'administration américaine. Les discussions en juin prochain devraient être tendues car de nombreux programmes de surveillance de la NSA pourraient être arrêtés en cas de non renouvellement du "Patriot Act".

Ces dérives dissuaderont-elles les politiques français à suivre la voie du "Patriot Act"? "Devant la surenchère de propositions venant de la droite, certains à gauche bétonnent les digues, pour qu’il soit impossible de profiter d’un crime, aussi odieux soit-il, pour restreindre la liberté dont Charlie Hebdo se réclame", explique Libération qui cite en exemple un député: "On sera très vigilants pour qu’ils ne nous refassent pas le coup des ringards passéistes contre la gauche moderne".

 

Sara Taleb

 

Source : Le Huffington Post

 

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