Un nomade en Chine : La langue de Senghor et de Voltaire… n’appartient à personne !

« C’est magnifique, comment tu parles très bien notre langue ! », m’a dit une belle amie française dont j’ai fait la connaissance je ne sais pas il y a combien de temps, ni dans quel pays au monde.

 

Je me souviens cependant très bien que, dans son enthousiasme débordant, cette amie, que j’appellerai « y », a voulu savoir comment j’en étais arrivé à l’enchanter de la sorte, comment est-ce-que j’ai pu maîtriser « sa »  langue.

« Où est ce que tu as appris le français ? Dans ton pays, la Martinique…. Pardon : J’ai oublié le nom », dit-elle, dans un éclat de rire, avant de se rappeler du mot qu’elle cherchait à se remémorer et de reprendre sa question dans la foulée.

« L’as- tu appris en Mauritanie ?», me demanda-t-elle, manifestement très satisfaite de mon éducation linguistique, bien qu’ayant du mal à faire la distinction entre un Département d’Outre Mer français dans les Caraïbes et un pays du Maghreb et de l’Afrique Subsaharienne. Compliquée la géographie pour certains, même quand il s’agit d’une zone de leur propre pays ou du pays d’un interlocuteur qu’ils connaissent assez bien ! Mais bon….

Aussitôt, cette confusion rectifiée, elle a continué de me dire sa satisfaction, le regard lumineux, avec sa voix douce et un beau sourire aux lèvres : « Le fait que tu parles aussi bien ma langue me fait tellement plaisir ».

Sur ce, je n’ai rien trouvé à répondre. Et ce n’était pas parce que ses propos ne me touchaient pas. Bien sûr qu’à l’instar de tous les hommes, je suis sensible aux compliments d’une belle dame ! J’y réponds habituellement avec délicatesse ;  ou, du moins, je tâche de le faire.

Mais là, je suis resté bouche cousue, coincé. Je cherchais vainement la parole, comme si ma pensée ne voulait pas de mes mots, préférant taire ma réflexion.

Pourtant, j’ai des choses à dire sur ce sujet. J’avais envie de lui expliquer que je ne parlais pas ‘’sa’’ langue, mais plutôt la mienne, celle de Senghor et de Mouloud Feraoun,… celle de beaucoup d’autres anonymes comme Mohamed, comme Diallo, ou comme Paul… comme Mariem, comme Jaqueline, ou comme Ramata…

Il se trouve que cette langue est par hasard la sienne également : une langue en partage dans le monde, une langue qui n’a ni drapeau, ni hymne, ni territoire, ni couleur, ni religion, ni langue… qui lui sont propres.

« Le français est une langue mondiale, comme tant d’autres ! Il n’appartient à personne ! »,  lui aurais-je répliqué vigoureusement, coupant ainsi court à son discours.

Mais une certaine gêne m’en a empêché, bien que n’ayant pas bien pris son enthousiasme et ses propos. Ils m’ont semblé déplacés à l’égard de tous ceux qui ne sont pas de la même nationalité qu’elle. Et cela m’a profondément agacé, sans pouvoir le lui dire sur le coup.

Elle était de très bonne foi, sincère et honnête, en me disant sa joie et sa fierté ! Elle le faisait toute gaie et de bonne humeur. ‘’Si ça ne mérite pas ma gratitude, au moins, je dois m’abstenir de la décourager », me dis-je, dans un effort de retenue auquel je m’efforçais, non sans quelque peine.  C’est aussi ça, la francophonie : « rester galant », m’enseignaient mes instituteurs, Abdoullay Chouaïbou et Mohamed Lemine.

Car, contrairement à elle, je voyais les choses bien autrement : je me sentais comme si j’étais   »stigmatisé », quelque peu offensé… Comme si cette jolie et honnête amie, me disait inconsciemment des méchancetés,  comme si elle me soufflait cette chose terrible à l’oreille :

«  Tu vis dans un espace linguistique qui n’est pas le tien. Tu t’y adaptes parfaitement bien. Sois donc le bienvenu, mais tout en sachant que tu y es étranger, quoi que tu fasses ».

Or moi, je ne me sens nullement comme tel. Et je trouvais étrange ce grand décalage de vision entre nous deux, que je cherchais à m’expliquer.

Pourquoi cet énorme fossé entre nos perceptions quant au rapport à une langue que nous avons pourtant en commun ?

Pour comprendre, j’ai couru, comme à mon habitude, voir mes prof pour les consulter.

Et ces navigateurs de recherche, en modèle d’assiduité, sont toujours au rendez-vous. Grâce à eux, j’ai obtenu des éléments d’information intéressants qui vont m’aider à me faire une certaine idée ; mais ne me conduisant pas jusqu’au fond des choses ! En tout cas pas encore.

En photo jointe, l’un deux m’a montré une belle aide pédagogique. Grand pédagogue qu’il est, wikipédia m’a incité à lire entre les lignes de ce récieux papier, qu’il fallait absolument détenir pour intégrer la très prestigieuse institution qui fait office de gendarme de la langue française.

Eh oui, en France, il faut des gendarmes partout !

« Notre langue », comme disait mon amie « y », qui croit la posséder, n’échappe pas à cette mesure administrative qui s’inscrit dans ce registre de ‘’garde frontière’’ bien connu dans l’Hexagone.

Si ses applications sont facilement visibles dans les domaines géographique et politique, ici le concept s’applique de façon plus diffuse à l’espace linguistique qui est tout aussi vital et convoité.

Il y a en effet de quoi être vigilant au sujet de la sécurité de ce pan du ‘’patrimoine national ‘’. La langue de Voltaire n’est-elle pas »menacée » par ces  »hordes » d’étrangers qui se comptent par centaines de millions, et qui continuent de s’en emparer, sans que l’on puisse faire quelque chose pour les en empêcher?

Les chiffres parlent d’eux même ! On compte aujourd’hui 270 millions de francophones dans le monde dont seulement un peu plus de 65 millions qui résident en France, nationaux et étrangers réunis. Ils seront plus de 700 millions en 2025 ; voire plus que cela, selon d’autres projections.

Mêmes les systèmes de défense autour de la ‘’garnison’’ où siège le bataillon des Immortels ne sont pas totalement infranchissables. Une Algérienne et un Haïtien s’y sont infiltrés tout dernièrement, pour ne citer que les  »intrus » encore en vie. C’est vrai qu’ils ils ne présentent pas vraiment de gros risques d’invasion face aux 38 autres Fauteuils tous français, ‘’colorés’’ seulement par deux binationaux européens : un franco- belge, et un franco-britannique.

Il n’est donc pas possible d’avoir une étanchéité linguistique à 100٪, y compris dans l’Académie Française, malgré les remparts et le conservatisme séculaires dans lesquels s’enferme cette institution, vieille de 379 ans.

Dans ce contexte où les barrières linguistiques sont impossibles à établir face aux « assaillants » étrangers, les gens de  »mauvais esprit » comme moi, ne peuvent pas s’empêcher de se demander :

aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation, les comportements ‘’possessifs’’ qu’ont certains vis à vis du français, et l’Académie Française en est le symbole, et/ou le garant, sont-ils vraiment en phase avec l’évolution du monde, et avec le concept de francophonie lui-même, devenu une réalité culturelle transfrontalière universellement reconnue?

La question est trop importante pour que je me contente des premiers éléments d’appréciation très partiels, que je suis arrivé à recueillir ou à construire jusqu’à présent. C’est pourquoi, je continue de fouiller pour avoir des réponses beaucoup plus audibles.

Dans cette perspective je reformule la question à l’intention du plus grand nombre de contributeurs possibles.

Je m’adresse en premier lieu à ceux qui sont directement concernés :

« Et vous autres, francophones, le problème vous interpelle-t-il ? Et comment ?» .

 

Beijing, janvier 2015

El Boukhary Mohamed Mouemel

 

Source : Adrar-info.net

 

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