Mekhfoula Mint Brahim, biologiste et activiste : La Juste de l’Adrar

Bouche bée : je le suis rarement devant la personnalité d'un individu. Mais le parcours, le courage d'une Mekfoula Brahim sont à méditer pour tous les mauritaniens. C'est une réelle battante qui veut d'une Mauritanie unie, enfin embrassant son identité plurielle, sans complexe.

 

Mais là où 99% des intellectuels du pays marchent sur des œufs, elle pointe du doigt, clairement et vigoureusement le complexe identitaire maure, qui mine le pays. Rencontre sans langue de bois, avec une Juste mauritanienne.

 

Elle arrive au rendez-vous vêtue d'une melahfa d'un blanc immaculé. Le sourire marqué sur son visage ne la quittera pas, de bout en bout de la conversation, même dans l'évocation des menaces de mort dont elle a été l'objet à de multiples reprises, par rapport à ses prises de position, comme pour marquer la dérision de ces menaces face au discours d'unité, de réelle interpénétration des cultures qu'elle porte. «J'ai reçu plus de 200 menaces que j'ai photographiées» précise-t-elle. «Un homme important du pays m'a proposé une sécurité il y a peu de temps. Mais j'ai décliné son offre, car les barrières incitent toujours les extrémistes à sauter le pas» dit-elle simplement.

Ces menaces ont commencé il y a quelques temps déjà, quand elle a commencé à tenir un blog, très vite bien lu par ailleurs, en arabe, dans lequel elle dénonçait, entre autres, la pensée unique des religieux extrêmistes, qui gangrène le pays. «Dès qu'on essaye de montrer d'autres voies, d'autres pensées, on se fait indexer, particulièrement dans la société maure. On attend de toi, surtout de la femme, que tu te comportes comme les gens veulent que tu te comportes, que tu sois comme eux pensent que tu es !» précise Mekfoula.

«Le changement passe par l'éveil de la femme»

Une pensée unique qui voudrait selon elle niveller vers le bas, la place de la femme dans la société mauritanienne, de plus en plus marquée par un essor du wahhabisme saoudien, qu'elle fustige. «En réalité ce sont les marabouts qui dirigent le pays, et la plupart sont rétrogrades. Ils ne savent rien du monde. Or on ne peut pas lire, interpréter le Saint Coran, en ne contextualisant pas par rapport au monde dans lequel on vit. Ça ne mène qu'à des dogmes débiles, donc à l'extrêmisme !» martèle l'activiste, qui reste persuadée que la seule façon de combattre cet extrémisme est le discours, l'argumentation, «les forcer au dialogue pour les pousser dans les paradoxes de leurs aboiements».

Un discours corrosif, qui a mené à une fatwa contre elle, pour dénoncer sa supposée inféodation à l'état israélien. Une accusation qui la fait rire, presqu'à en renverser sa glace. «Dans ce pays où les niveaux intellectuel et religieux sont beaucoup plus bas qu'on se plaît à le dire, dès que quelqu'un ou un mouvement, ou une idée gêne, hop, on sort le diable israélien de la boîte! C'est pratique n'est-ce pas pour fuir les problèmes, et appuyer sur le réflexe populaire, quasi-pavlovien du rejet d'Israel» s'amuse la biologiste.

Mais cette tentative de coercition de la femme qui apparaît depuis ces dernières années n'est pas anodine à ses yeux. «Les oulémas de la pensée unique savent que tout changement social durable passe par une conscientisation des femmes; c'est pour cela que le trait le plus saillant du wahhabisme est l'image rétrograde de la femme, que ce mouvement dit religieux renvoie. Clouez le bec de la femme, et vous contiendrez l'ouverture morale, sociale et intellectuelle d'un pays» argue la native de l'Adrar, issue de la tribu des Awlad Ghaylan.

Une critique du wahhabisme

Un prosélytisme du wahhabisme qu'elle dénonce vigoureusement à travers l'association qu'elle a créée, «Pour une Mauritanie unie et démocratique». «Les saoudiens savent à quel point la femme mauresque est influente dans sa société. Dans mes interventions j'insiste sur le changement du comportement féminin que les oulémas veulent impulser» continue la présidente d'association.

«Il y en a beaucoup plus qui pensent de façon ouverte la société plurielle mauritanienne, mais ils ne le disent pas à haute voix. Mais on doit le crier, car cette culture saoudienne que ces oulémas veulent importer en Mauritanie n'est pas la nôtre, ni dans la tradition, ni dans la pratique de la religion» affirme Mekfoula.

«Je ne suis pas une arabe, mais une mauresque, avec une culture et une histoire propres. Nos grands-mères, nos mères, se coiffaient par exemple d'une façon élégante qu'on interdit aujourd'hui ; il y a une aliénation terrible de la société maure» se désole Mekfoula. Une perte de repères, de valeurs, et d'identité, intervenue selon une de ses amies, durant la période de Maouiya Ould Sid'Ahmed Taya, où l'argent a été au sommet de toutes les valeurs, avec à la base, un financement massif du wahhabisme qui gangrène l'islam spirituel et profondèment humaniste de la Mauritanie. «Il y a une orientalisation du Maghreb; même la Tunisie, un des derniers bastions à ce phénomène perd du terrain» déplore un ami.

Une rébellion quasi-innée contre les injustices, contre les extrémismes, qui trouve un écho dans son entourage tribal et familial. «Je descends d'une famille qu'on dirait «noble» traditionnellement – je ne crois qu'en la noblesse des cœurs et des actes individuels, qui peut échoir à tous – et qui est réputée pour être rebelle, dans tous les sens du terme. Beaucoup de mariages mixtes sont vécus par notre tribu. L'Adrar est probablement la wilaya avec le métissage le plus dense de toute la Mauritanie» dit-elle avec fierté.

Un métissage combattue dans les prêches par une «base ignare religieuse» qui se dit ouvertement contre le métissage. «Ces oulémas exhortent à garder purs les gènes pseudo-arabes» dénonce Mekfoula. «L'un d'entre eux a récemment dit que cette terre était aux arabes, car ils y ont apporté l'arabité de ce pays. A ces énergumènes je leur réponds de prendre leur arabité factice avec eux, et de dégager de la Mauritanie !» lance-t-elle véhémente. «Il faut de plus en plus que les nouvelles générations prennent les deux armes, de l'écriture et de la parole» cite-t-elle Molière. «Avec les réseaux sociaux qui portent encore plus les idées, même avec les portes closes des demeures, les autorités politiques et religieuses en ont peur» continue-t-elle.

Une Juste dans l'engagement

«Je sais que Birame dit des mots que la société maure ne veut pas entendre, mais qui recèlent une grande part de vérité. Et si on ne veut pas entendre cette voix, on ne règlera aucun problème de ce pays» soutient celle qui a mis sur les réseaux sociaux (où elle a plus de 6000 abonnés à sa page) une photo de profil à l'effigie de Birame Ould Abeid, en soutien.

«Birame Ould Abeid a été arrêté pour un supposé extrêmisme, dont on ne nous a jamais fait la démonstration. Mais bizarrement, on laisse un Daoud ould Ahmed Aicha, un samsar, un fou menacer de mort à la télévision, et dire des mensonges historiques sur le peuplement de ce pays. Mais ce n'est pas étonnant : ce sont les méthodes éprouvées sous Taya, et où on met en avant des individus utilisés par les renseignements» suppute Mekfoula Mint Brahim. «Et il partage malheureusement une croyance répandue au sein de la société maure, et notamment utilisée dans la réthorique falsificatrice des chauvins» termine-t-elle.

Aminetou Mint El Moctar a été menacée de mort, de la même manière que Mekfoula, qui l'a accompagnée au commissariat pour porter plainte. «L'individu qui l'a menacée de mort à travers une fatwa n'a pas été inquiétée. Par contre, on matraque, gaze, et enferme des pacifistes qui ont marché depuis Kaédi pour remettre une simple lettre, ou pour avoir monté une caravane, et dénoncé la question de l'injustice liée au foncier» dit Mekfoula.

«Après cela, son compte Facebook a été signalé comme extrémiste, raciste et incitant à la haine. Facebook l'a fermé durant trois semaines tout de même, avant qu'elle ne fasse des pieds et des mains pour prouver à Facebook que ce sont des faux procès qu'on lui faisait, de la part de personnes elles réellement extrémistes» souligne son ami.

Mariée trois fois, Mekfoula est fière d'annoncer son «quatrième mariage en route». «Ceci montre que des résistances existent encore, et que ce type de discours fait de moins en moins peur, et que de plus en plus de maures assument ce qu'ils sont» glousse la biologiste.

«Elle a subi tant de campagnes de diffamation. Elle a un courage rare, vraiment rare. Elle est digne d'être soutenue et prise en exemple» témoigne S. une proche amie. «Elle a une vraie rage en elle, qu'elle a converti en une force positive pour son combat. C'est une vraie Juste» affirme S., admirative.

Les raisons d'espérer sont grandes aussi selon Mekfoula. «J'ai de plus en plus de soutiens, qui commencent à dépasser les menaces que je reçois. Cela est encourageant, d'autant que j'ai récemment converti un salafiste et un wahhabite à ma perspective, durant un débat» dit-elle, toujours en riant.

«Cette hypocrisie intellectuelle et religieuse, palpable quotidiennement en Mauritanie, est dangereuse pour le pays entier. Je ne recherche rien du tout dans ce combat, juste à voir ce pays évoluer dans un sens positif, qui mêlerait tous ses fils, au-delà des discours creux des politiques, et des religieux. Je tiens à ma communauté, mais je tiens aussi à dire aux miens, qu'une injustice se dénonce, quelle qu'elle soit! Notre religion, notre conscience, la vérité nous l'imposent. On ne bâtit rien de bon sur le déni, le mensonge, le secret, les non-dits» martèle-t-elle avec virulence, perdant presque pour la première fois son sourire durant tout le temps de la conversation, comme pour marquer le poids de ces mots.

Un engagement transversal

Ses posts, et son engagement vont également au-delà du schisme religieux et social. Elle a récemment dénoncé la chappe de plomb qui recouvre l'information dans le domaine de la santé, face à l'orée de potentielles crises sanitaires d'une ampleur rare, comme Ebola ou la Dengue, plus concrète, et qui a causé «trois morts à Nouakchott; avec 700 hospitalisés dans les centres de santé de la capitale». «Les infirmiers qui travaillent dans ces centres, ont ordre de ne rien divulguer sur ce qui se passe». «On aurait déjà dû voir des citernes silloner la ville pour déparasiter les nids de moustiques, mais on n'a encore rien vu. C'est comme pour Ebola, avec une sensibilisation qui aurait dû démarrer depuis mars et on n'a toujours rien vu! La médiocrité freine ce pays. C'est la même attitude que l'on retrouve dans tous les secteurs de vie du pays. Les incompétents en charge des affaires, ne sachant comment faire, laisse le destin faire» dit-elle.

Elle a écrit sur les 60.000 armes à feu détenues par des particuliers, lui faisant craindre, parallèlement à l'expansion du wahhabisme en Mauritanie, une «somalisation de la Mauritanie». «Si on n'y prend garde» s'empresse-t-elle d'ajouter.

Mère célibataire s'occupant de son fils le matin et le soir, entre-temps elle vaque à ses occupations professionnelles dans le milieu de la santé, au centre national d'oncologie. «Je suis biologiste; j' ai obtenu ma maîtrise en 1993 à Alger» affirme la quarantenaire. «J'ai 47 ans au fait; au cas où vous hésiteriez à me demander mon âge», s'amuse-t-elle, en voyant mon hésitation à lui poser une «dernière question» : Mekfoula Mint Brahim, c'est aussi cette aura d'humour, qui tourne sans cesse en dérision, pour mieux rendre praticables les voies semées d'embûches. Et n'est-ce pas ce que nous demande l'Islam, d'être des «Facilitateurs» en temps de crise. Ce que cette Dame fait pleinement, dignement, et sincèrement.

 

Mamoudou Lamine Kane

 

Source : Mozaïkrim

 

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