Confortablement réélu, le 21 juin, avec près de 82 % des voix, Mohamed Ould Abdelaziz, 55 ans, continue de montrer le même visage aux Mauritaniens. Celui d'un homme dont on ne parvient pas à percer les secrets. Le président accorde difficilement sa confiance et se laisse rarement aller à des confidences, même avec ses proches collaborateurs. Ses amis se comptent sur les doigts d'une main.
Tout juste le sait-on proche de Mohamed Ould Ghazouani, le chef d'état-major et numéro deux du régime, considéré comme son alter ego. Consciencieusement, depuis son arrivée au pouvoir par le coup d'État du 6 août 2008, le général a imposé sa méthode. Et s'y tient. "Il s'inscrit dans la continuité, tout en donnant une impression de changement", analyse Moussa Ould Hamed, directeur de publication de l'hebdomadaire Biladi.
Exemple : en août dernier, "Aziz" a surpris en se séparant de l'un de ses proches, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, son Premier ministre "de toujours". Il a nommé à sa place Yahya Ould Hademine, ministre des Transports dans le gouvernement sortant et jusqu'alors peu connu de la plupart des Mauritaniens. Le nouveau gouvernement s'est, lui, révélé quasiment identique au précédent.
D'ailleurs, s'il prend le temps de discuter avec ses ministres, le président décide toujours seul. Par ailleurs, "il pense que l'administration est mauvaise, que le pays a été mal construit, explique Moussa Ould Hamed. Il évite donc de passer par des circuits qu'il juge inutiles et va droit au but". Aziz a en effet fait table rase du système de Maaouiya Ould Taya [renversé en 2005], mais sans en installer un autre. Résultat, l'administration est devenue une coquille vide. Et, concrètement, lorsque l'on veut régler un problème, on se rend directement à la présidence…
La méthode Aziz: présent sur tous les fronts
C'est une autre caractéristique de la méthode Aziz : tout est centralisé. Une omnipotence louée par ses proches pour son efficacité et décriée par ses détracteurs, qui reprochent au chef de l'État son exercice solitaire du pouvoir. Peu lui importe. Il aime être présent sur tous les fronts. Il ne manque jamais une occasion de prendre la parole en public et, surtout, contrairement à ses prédécesseurs, il ne délègue rien.
Hospitalisé à Paris pendant six semaines, en octobre et novembre 2012, après avoir été "accidentellement" blessé par balle, il a assuré avoir dirigé la Mauritanie depuis son lit d'hôpital. "J'ai continué à gérer le pays et à m'enquérir quotidiennement de la situation. Je n'avais pas à déléguer : j'étais conscient et en vie", confiait-il à Jeune Afrique en décembre 2012.
En coulisses, on dit que c'est le général Mohamed Ould Ghazouani qui aurait en réalité pris les choses en mains depuis Nouakchott. Mais il s'est effacé dès que le président est rentré. De l'avis général, Mohamed Ould Abdelaziz est un homme d'action, toujours prêt. "C'est un pragmatique", témoigne un observateur. Visite d'une école, inauguration d'une route, d'un hôpital, pose d'une première pierre… Il aime se rendre lui-même sur le terrain ; depuis qu'il est au pouvoir, les chantiers sont nombreux à Nouakchott, ainsi qu'à l'intérieur du pays. Ce qui n'empêche pas le président de tenir toujours aussi fermement les cordons de la bourse : chaque dépense est minutieusement contrôlée.
Une lutte sans merci contre la corruption
Avant son coup d'État, en août 2008, il fustigeait les dirigeants, qu'il accusait de dilapider l'argent public : la fameuse "gabegie", à laquelle il voue une lutte sans merci – ce qu'il rappelle dans chacun de ses discours depuis six ans. En septembre dernier, le nouveau gouvernement a annoncé la création d'un Comité national de lutte contre la corruption et la gabegie (CNLCG), dont les quinze membres seront chargés de veiller au suivi de la "stratégie nationale de lutte contre la corruption".
En s'attaquant aux pratiques dispendieuses et aux fraudeurs, en prenant parti pour les plus faibles et en respectant scrupuleusement ses engagements, Aziz, "le président des pauvres", est vite devenu très populaire. En 2011, il a cependant dû faire face à un mouvement de colère des jeunes, dans le sillage du Printemps arabe, puis des militants antiesclavagistes et des Négro-Mauritaniens, lesquels continuent de contester les conditions du recensement, lancé en mai 2011 pour doter le pays d'un fichier d'état civil fiable fondé sur la biométrie.
Avec l'opposition également, le fossé s'est creusé depuis son premier quinquennat. Le Forum national pour la démocratie et l'unité (FNDU, ex-Coordination de l'opposition démocratique, qui compte dans ses rangs les partis de grandes figures de l'opposition telles qu'Ahmed Ould Daddah, Mohamed Ould Maouloud ou Jemil Ould Mansour, a refusé de prendre part aux législatives et aux municipales de novembre (hormis le parti d'obédience islamiste Tawassoul), puis a boycotté la présidentielle de juin. Même la Convention pour l'alternance pacifique (CAP) de Messaoud Ould Boulkheir, plus modérée, a fait le choix de ne pas participer au scrutin présidentiel.
Aziz leur tendra-t-il la main, afin de tenter de renouer une énième fois le dialogue ? "Il peut aussi bien traiter avec l'opposition comme ne rien faire, remarque Moussa Ould Hamed. C'est une qualité chez lui… Il est capable de tout." Imprévisible, en effet, il agit au jour le jour. Parfois selon son humeur, plutôt sanguine. Du côté de ses détracteurs, on continue donc de lui reprocher son manque de vision prospective. Qu'importe. Son nouveau mandat court jusqu'en 2019, et Mohamed Ould Abdelaziz ne semble pas disposé à dévier de la ligne qu'il s'est fixée. La sienne.
Justine SPIEGEL, envoyée spéciale à Nouakchott
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Diplomatie sans chichis
Tout président en exercice de l'Union africaine qu'il soit, Mohamed Ould Abdelaziz continue de dire et de faire ce qu'il veut. "Aziz" est un électron libre. Pas de ronds de jambe diplomatiques – ce n'est pas le genre de l'ancien général -, encore moins de démonstrations d'amitié avec l'un ou l'autre de ses homologues. Alors que ses prédécesseurs s'étaient toujours efforcés de jouer les équilibristes entre les deux pays, il n'a jamais pris clairement position dans l'inimitié qui oppose l'Algérie et le Maroc. Aujourd'hui, il semble plus proche d'Alger… Mais c'est surtout parce que ses relations avec le Maroc, où il n'a toujours pas mis les pieds depuis 2009, se sont dégradées.
Il reçoit régulièrement les Sahraouis. Pis, en décembre 2012, il a convié au palais présidentiel le chef de la diplomatie du Polisario et ignoré le numéro deux du gouvernement marocain, Abdellah Baha, en visite à Nouakchott au même moment. S'il n'y a officiellement "aucun problème avec le Maroc", la Mauritanie n'a toujours pas nommé d'ambassadeur à Rabat. Les relations d'Ould Abdelaziz sont également compliquées avec ses voisins sénégalais et malien, Macky Sall et Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), dont il a boycotté l'investiture, en septembre 2013.
Ses tièdes rapports avec eux semblent s'être un peu réchauffés, puisque l'un et l'autre, ainsi que le Gambien Yahya Jammeh, le Bissau-Guinéen José Mario Vaz et le Tchadien Idriss Déby Itno (celui avec lequel le courant semble le mieux passer) ont assisté, le 2 août, à son investiture. Le président mauritanien aurait sans doute aimé que quelques dirigeants du Nord, notamment le président français, fassent aussi le déplacement au lieu de se faire représenter. Mais ses relations avec ses partenaires occidentaux, qui avaient fini par avaliser sa victoire à la présidentielle du 18 juillet 2009, n'en restent pas moins au beau fixe. Aziz demeure un allié incontournable dans la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) aux yeux de Paris, dont un détachement d'assistance militaire opérationnel (Damo) poursuit ses actions de formation auprès de l'armée mauritanienne sur la base d'Atar, dans le centre-ouest du pays.
(Photo : n juin 2014, dans les rues de Nouakchott quelques jours avant la présidentielle. © Joe Penney/reuters)
Source : Jeune Afrique
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