La sinistre histoire des stérilisations contraintes en Inde (et ailleurs)

Il s'agit de la méthode la plus populaire dans les pays en développement et le moyen de contrôler les naissance le plus utilisé dans le monde, selon un rapport de l’ONU de 2011.

 

En Inde, les «campagnes de stérilisation» sponsorisées par l’Etat, qui paie des femmes pour qu’elles se fassent stériliser, s’inscrivent dans une tentative de contrôle démographique du pays qui devrait devenir le plus peuplé du monde d’ici 2028. Le 11 novembre, dans l’Etat du Chhattisgarh, l’un des plus pauvres du pays, 11 femmes sont mortes à la suite d'une de ces campagnes. Elles avaient été payées 600 roupies, soit une dizaine de dollars.

Selon le New York Times, le samedi précédent, 83 femmes avaient été opérées par un seul et même chirurgien en l’espace de six heures, ce qui implique que chaque opération ait été effectuée en moins de cinq minutes en moyenne (selon un expert interrogé par le New York Times, les normes de sécurité ne permettent pas de pratiquer plus de deux ou trois stérilisations par heure car il faut entre 20 et 30 minutes pour stériliser et préparer les instruments chirurgicaux nécessaires). Après ces opérations, 68 de ces femmes ont été traitées pour choc septique, dû selon les responsables de santé de Chhattisgarh au fait que le chirurgien n’avait pas stérilisé ses instruments.

De la méthode Ogino à la vasectomie puis à la stérilisation

Ce n’est pas la première fois que de tels problèmes se produisent en Inde, où selon le dernier sondage sur la santé familiale effectué en 2006, plus d'un tiers des femmes mariées ont recours à la stérilisation pour contrôler leur fécondité. Les rapports du Guttmacher Institute indiquent de façon détaillée que l’histoire du planning familial y est aussi longue qu’alambiquée.

En 1952, l’Inde fut le premier pays à tenter de contrôler sa croissance démographique par le biais d’un programme officiel de planning familial qui prônait la méthode Ogino. Cette politique ne se révéla pas très efficace et dans les années 1960, le gouvernement se mit à proposer la stérilisation tant masculine que féminine. En 1966, des quotas de stérilisation officiels furent mis en place et un an plus tard, le gouvernement établit un système de rétribution des citoyens qui se soumettaient à cette intervention, comme le raconte un article du Political and Development Review. A la fin des années 1970, Sanjay Gandhi, fils de la Première ministre Indira Gandhi, lança un programme de planning familial marqué par des coercitions et des abus largement répandus. Seuls les hommes qui avaient déjà au moins deux enfants étaient censés être stérilisés, or beaucoup y furent contraints alors qu’ils ne répondaient pas à ces critères. En l’espace de deux ans, 8,3 millions de stérilisations furent effectuées, ce qui conduisit à une violente réaction anti-vasectomie au début des années 1980. Cette réaction, qui coïncidait avec l’arrivée de nouvelles techniques de stérilisation féminine et avec la mise en place d’un certain nombre de programmes visant «la santé des femmes», déplaça vers elles les mesures de contrôle démographique.

 

A lire : L'Inde, le pays où les filles ont disparu

 

L’Inde a abandonné ses quotas nationaux en 1996 et les a remplacés par ce qu’on appelle la Target-Free Approach. Cette «approche non-ciblée» suppose que le gouvernement central cesse d’imposer aux personnels de santé de stériliser un nombre donné de personnes chaque année et permette à la place l’élaboration au niveau local des politiques de planning familial.

Les organisations de défense des droits humains dénoncent un changement de politique qui n’a fait en réalité que déplacer les quotas de stérilisations du gouvernement central vers les Etats et les autorités locales. Une recherche effectuée par Human Rights Watch révèle que les employés du secteur de la santé sont régulièrement menacés de diminution de salaire ou de renvoi s’ils ne remplissent pas leurs objectifs, ce qui les conduit à fournir aux femmes des renseignements inadaptés afin de les convaincre de subir l’opération (certaines femmes ne sont par exemple pas prévenues que leur stérilisation sera irréversible). Dans certains Etats, le gouvernement a recours à des mesures incitatives comme des tombolas pour promouvoir la stérilisation. Et Bloomberg signalait en juin 2013 que, dans de nombreux Etats, les interventions sont effectuées en masse en début d’année afin d’atteindre les quotas locaux avant la fin de l’année fiscale, le 31 mars, une période parfois surnommée «saison de stérilisation».

Cela va probablement sans dire hélas, mais les mesures de stérilisation indiennes sont imposées de façon disproportionnée aux pauvres relativement impuissants des régions rurales.

En 2012, 53 femmes ont été stérilisées en l’espace de deux heures dans l’Etat du Bihar, dans les locaux d’un collège sans accès à l’eau courante ou à du matériel de stérilisation. Le Bihar compte le plus bas revenu par habitant du pays; lors du recensement de 2011, on y constatait également le taux d’analphabétisme le plus élevé. En 2013, l’Etat a déclaré envisager l’ouverture de 13.000 camps de stérilisation –des hôpitaux de campagne temporaires où les interventions sont pratiquées en masse. Et début 2013 au Bengale-Occidental, le cinquième Etat le plus pauvre des 29 qu’en compte l’Inde, plus de 100 femmes ont été abandonnées, inconscientes, dans un champ après une opération de stérilisation collective qui avait mal tourné dans un hôpital incapable d’en accueillir un si grand nombre.

Interrogés lors d’une séance au Parlement, les responsables de santé ont indiqué qu’entre 2009 et 2012, le gouvernement avait accordé une compensation financière à des familles à la suite de 568 décès liés à des stérilisations.

Si aux yeux des habitants des pays développés, où pilule et préservatifs sont les méthodes de contraception les plus couramment utilisées, la stérilisation peut apparaître comme une solution extrême de planning familial, c’est pourtant la méthode la plus populaire dans les pays en développement et le moyen de contrôler les naissance le plus utilisé dans le monde selon un rapport de l’ONU de 2011.

Malheureusement, les abus sont aussi largement répandus.

En Ouzbékistan par exemple, des dizaines de milliers de femmes, appartenant principalement à des minorités pauvres, sont stérilisées chaque année afin de remplir les quotas imposés aux médecins. Dans certains cas, ceux-ci stérilisent des femmes pendant qu’elles sont sous anesthésie pour des actes chirurgicaux qui n’ont rien à voir.

Au Pérou, dans les années 1990 plus de 300.000 femmes, en majorité des Indiennes pauvres et analphabètes, ont été stérilisées dans le cadre d’un contrôle du taux de natalité.

Mais pour ne pas que vous pensiez que ce problème ne concerne que des «pays lointains», sachez que la coercition reproductive a une longue et sombre histoire aux Etats-Unis également, où l’année dernière encore, la Caroline du Nord est devenue le premier Etat à approuver le paiement de réparations à des victimes de stérilisation contrainte au XXe siècle. Et il a fallu attendre cet automne pour que la Californie interdise la stérilisation contrainte dans les prisons après la découverte que des dizaines de femmes avaient été stérilisées sans leur consentement dans des prisons californiennes jusqu’en 2011.

 

Filipa Ioannou

 

(Photo : Des femmes dans un camp de stérilisation de l'Etat de Chhattisgarh.)

 

Source : Slate (France)

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page