Figures Historiques : L’« émir de la paix » : Aḥmed uld M’Ḥammed (1872-1891) – Conclusion

Conclusions : des compromis difficiles

45. La figure écartelée de l’émir, car il n’est pas plus de raison de mettre en doute la sincérité de sa foi et de sa volonté d’appliquer les règles de la religion, que son attachement à la tradition ḥassân, à la noblesse de ses origines et aux traits de comportement qui en découlent, illustre en fait les contradictions entre ces valeurs zawâya et ḥassân.

Ces contradictions ont leur fondement historique : même si l’importance du fait a sans doute été exagérée (Abdel Wedoud ould Cheikh 1991a), les traditions rapportent volontiers à la guerre Sharr Bubba, dans la seconde partie du xviie siècle, l’opposition entre la vision politique musulmane des Zawâya, le règne sur terre de la religion, et la construction des émirats, qui met en évidence les hiérarchies tribales, qui suivra cette guerre. Les données de l’histoire sont cependant insuffisantes pour les comprendre.

46. En effet, dans l’Adrâr en particulier, les tribus zawâya n’ont pas participé à Sharr Bubba et se sont même opposées, par l’intermédiaire des plus grands savants, au message messianique de ses promoteurs. Des conflits factionnels, et même des guerres tribales opposent entre elles les tribus des qsûr orientaux, et même d’Atâr, durant toute la première partie du xviiie siècle (Bonte 1997b). Ce n’est d’ailleurs qu’assez tardivement que Shingîṭi et Wadân verront s’exercer les influences du pouvoir émiral par l’intermédiaire des fractions ḥassân qui s’installent dans leur proximité. Les tribus zawâya qsûriennes échapperont généralement aux systèmes de protection qui s’instaurent dans le cadre des hiérarchies tribales de la société émirale.

47. En Adrâr du moins, l’histoire des relations entre Ḥassân et Zawâya traduit donc plutôt un clair évitement qui n’est pas incompatible avec une forte compétition. Celle-ci s’exerce surtout pour le contrôle des hommes, les Zawâya, de par leurs pouvoirs économiques, intellectuels et spirituels, étant susceptibles de subvertir la hiérarchie ḥassân : accueil des guerriers « repentants », tiyyab (Bonte 1988), rachat des droits sur les Znâga, etc. (Bonte 1990).

48. Les fondements de ces oppositions entre la vision politique des ḥassân et celle des Zawâya apparaissent dès lors plus structurel. Pour résumer une démarche que j’ai développée dans ma thèse, il me semble que cette opposition devait être construite dans l’histoire de manière irréductible pour qu’un certain nombre de tribus, échappant ainsi à la bipolarité que produit la mise en place du système émiral (Ḥassân/ znâga), légitiment politiquement les espaces sociaux, économiques et culturels de leur autonomie dans la société émirale. C’est au Trârza, au milieu du xviiie siècle que se construit le modèle culturel et comportemental de la société zawâya, inscrit dans le Shyam az-zawâya de Muḥammed al-Yadâlî. Le rôle de la jamâ’a, de l’assemblée qui « lie et qui délie » comme émanation temporelle de cette autonomie politique des tribus zawâya est aussi souvent mis en avant (Abdel Wedoud ould Cheikh, 1991b), sans représenter un critère absolu : il existait aussi de puissantes chefferies dans ces tribus, de nature confrérique soufie ou non. Bref les distinctions concrètes entre les tribus zawâya et ḥassân me semblent moins le produit d’histoires qui auraient fortement divergées que de modèles de représentation destinés à éviter tout compromis entre les valeurs qu’ils véhiculaient.

49. Ces représentations sont fortement inscrites dans la culture zawiyya, s’appuyant sur certains traits de la culture ḥassân : les taxes injustes levées sur les Musulmans et autres pillages, point central qui concerne à vrai dire très concrètement les Zawâya, l’exclusion des femmes de l’héritage de ces taxes.., et surtout le non respect des règles de la religion, et de celles de la shai’a en particulier. Ces représentations portent moins sur un comportement réel – certains ḥassân avaient reçu une éducation religieuse complète et on trouve, dans les Hawd par exemple, des savants ḥassân réputés -, même si celui-ci est souvent attesté – en témoignent les assassinats, pillages et luttes civiles qui émaillent l’histoire émirale – que sur un comportement assigné.

50. L’attribution à certains émirs, dont Aḥmed uld M’Ḥammed est le meilleur exemple en Adrâr, de valeurs zawâya vise aussi cet effet d’assignation. Mamadou Ba s’en fait d’ailleurs l’interprète, volontaire ou involontaire, en mettant en avant les figures respectives de l’« émir de la paix » et de l’« émir de la guerre ». Il est d’autres traits encore de cette subversion zawi du système émiral. L’idée par exemple, largement partagée au sein de l’émirat lui-même, que les émirs détiennent une baraka, un pouvoir d’essence surnaturel qui se traduit par la « paix », des conditions climatiques favorables, bref l’ordre et l’abondance dans le pays. Cette baraka est généralement attribuée aux relations spirituelles qui se sont établies entre un grand personnage religieux et un émir, et favorisée l’accession de celui-ci au pouvoir.

 

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Figures Historiques : L’« émir de la paix » : Aḥmed uld M’Ḥammed (1872-1891) – 1ére partie

Figures Historiques  : L’« émir de la paix »  : Ahmad Ould  M’Hammed (1872-1891) -2 ème partieFigures

Historiques : L’« émir de la paix » : Aḥmed uld M’Ḥammed (1872-1891) – 3éme partie

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Figures Historiques  : L’ « émir de la paix »  : Ahmed uld M’Hammed (1872-1891) – 5 partie

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Figures Historiques : L’ « émir de la paix »  : Ahmed uld M’Hammed (1872-1891) – 7ème partie 

 

Source : Adrar-info.net (Le 10 novembre 2014)

 

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