MANDATS PRESIDENTIELS ILLIMITES EN AFRIQUE : Des boulevards pour la dictature

Le récent soulèvement populaire intervenu au Burkina inquiète   de nombreux régimes totalitaires, qui font usage de mandats présidentiels illimités pour se maintenir ad vitam aeternam.

 

Pourquoi donc les dirigeants africains sont-ils parmi les rares en ce monde, à vouloir s’éterniser au pouvoir ? Sans conteste, si l’Afrique ploie aujourd’hui sous le poids des mandats présidentiels illimités, la faute en incombe aux élites corrompues. Les raisons sont multiples.

 

Dans plusieurs pays, elles sont à l’origine de systèmes iniques.   Des prétextes sont avancés : le président travaille fort, il est à l’écoute du peuple, et il est à la base de telles et telles réalisations. Il est salutaire de le reconduire à son poste, non seulement pour qu’il parachève les chantiers en cours, mais aussi afin qu’il en entreprenne de nouveaux. Le comble, c’est lorsqu’on présente le chef de l’Etat comme un homme très dynamique, qui a même rajeuni, alors qu’on le sait pertinemment au bord de la sénilité. Dès lors, les idées convergent. Etant le seul à pouvoir sauver le pays du chaos, et la seule intelligence en service, pourquoi donc hésiter à le reconduire à la tête de l’Etat ? Comme s’il n’existait que lui dans le pays, comme s’il était éternel !

Il est indispensable d’assurer l’éducation politique du citoyen, pour espérer voir la démocratie avancer

Que les textes aient été modifiés bien avant, ou qu’on ait l’intention de le faire pour pérenniser le maintien au pouvoir d’un individu convaincu d’être au-dessus du peuple, il n’est pas vain de souligner que la récente révolution survenue au Burkina Faso a désormais mis la barre très haut pour les apprentis sorciers de la démocratie en république bananière. Nul ne voudra plus voir sur ce continent, un dirigeant s’accrocher indéfiniment au pouvoir. Celui-ci appartient au peuple qui le reprendra le moment venu,  de la manière qui lui conviendra.

L’expérience montre que dans nombre de pays africains, l’idée de s’éterniser au pouvoir, outre le monarque qui s’ignore, vient généralement des courtisans parmi lesquels de nombreux intellectuels.   Ils sont d’autant plus aptes à convaincre qu’ils sont parfois membres de réseaux mafieux, prêts à venir en appui à tout moment. Mais, il y a lieu de faire la distinction entre le peuple et ceux qui aiment à parler en son nom. C’est bien connu : en Afrique, la grande majorité de nos populations a un faible niveau d’instruction. Or, du fait de l’opportunisme qui les habite, les élites dirigeantes répugnent à leur assurer l’éducation politique qui convient, dans les langues du milieu. Rédigés le plus souvent dans la langue de l’ancienne puissance coloniale, la plupart des messages relatifs à la vie de l’Etat et à la démocratie, ne sont donc pas accessibles à un nombre considérable de citoyens. Ainsi en est-il des Constitutions et divers documents didactiques sur la bonne gouvernance. Presque rien n’est vraiment traduit dans les langues que maîtrisent les populations. Or, il est indispensable d’assurer l’éducation politique du citoyen, pour espérer voir la démocratie avancer sur ce continent. Mais, maintenu dans son ignorance, le peuple dispose d’une faible capacité d’analyse. A cela s’ajoute la faim qu’on s’acharne à vouloir camoufler par des dons en vivres ou en espèces sonnantes et trébuchantes. L’ignorance dans laquelle on maintient volontairement le peuple, est exploitée à des fins inavouées par une élite corrompue qui préfère de loin parler en son nom. Voilà pourquoi elle est toujours  prompte à organiser des référendums, ou à aller en consultations électorales. La classe dirigeante saura toujours exploiter les pesanteurs socioculturelles à son profit exclusif.

Les lendemains du changement sont toujours amers pour les partisans du prince

Dans la catégorie des partisans où foisonnent de pseudo-cadres ou intellectuels, se recrutent les thuriféraires des régimes dictatoriaux. Très habiles dans l’art de manipuler le verbe et d’interpréter comme bon leur semble les textes de loi, ils savent aussi broder des écrits à usage maléfique. Par mille et une astuces, ils parviennent toujours à faire fabriquer le monstre sur le dos du peuple, et avec le consentement non éclairé de ce dernier. On ne condamnera jamais assez le code électoral et les listes électorales élaborés sur des bases non consensuelles, par ces individus sans foi ni loi.

Une fois assuré de tout, le monarque qui s’ignore, ne prend plus la peine de vérifier les faits, ses partisans lui ayant souligné plusieurs fois que tout est sous contrôle ! C’est pourquoi le réveil est toujours brutal, comme on l’a vu du reste avec Blaise Compaoré ! Ceux des dirigeants africains qui se croient toujours à l’abri, doivent se convaincre qu’un jour ou l’autre, le peuple frappera à leur porte. Il leur appartient de se donner des leçons de sagesse, et d’éviter de se laisser entraîner dans des dérives difficiles à contrôler.

Déplorable que les élites politiques en viennent à faire montre d’autant de cupidité et d’indifférence à l’égard des peuples qu’elles sont pourtant censées représenter et défendre. Certes, il y a les privilèges rattachés au poste. Les agissements de nos élites politiques sont contraires à l’éthique. Elles hypothèquent gravement l’avancée de la démocratie autant que l’avenir du continent. Triste en effet, que de mandat en mandat, de régime en régime, des individus de l’entourage des chefs d’Etats africains s’acharnent à les faire reconduire, même lorsque l’évidence crève les yeux. L’Afrique a besoin de sang neuf, et donc d’un leadership constamment renouvelé, pour relever les défis qui sont les siens. L’alternance est impérative ! Les lendemains du changement sont toujours amers pour les partisans du prince, adepte du pouvoir absolu.

Aussi faut-il s’abstenir de dire que les choses avancent, alors que le pouvoir qu’on prend plaisir à encenser s’obstine à faire reculer la démocratie, et à se détourner de la demande sociale.   C’est pourquoi, dans sa révolte, un peuple longtemps sevré, s’attaquera avec d’autant plus de férocité à ses bourreaux, que ces derniers ne l’auront pas ménagé tout au long du cheminement.  

Les mandats présidentiels illimités constituent en tout état de cause, de véritables boulevards pour la dictature.  A gouverner sans partage, et à écouter sans discernement leurs partisans à la bouche mielleuse, nos princes régnants finiront tous de la même manière : chassés tels des pestiférés par le peuple en colère. Tout simplement pour les avoir trop longtemps supportés.

 

« Le Pays »

 

Source : Le Pays (Burkina Faso) Le 6 novembre 2014

 

—–

A lire sur le site RFI : Burkina Faso : la CEDAO met en place un groupe de contact

A lire sur le site France24 : Zida relative le délai imposé par l’UA et prône » le consensus »

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page