Figures Historiques : L’« émir de la paix » : Aḥmed uld M’Ḥammed (1872-1891) – 2éme partie

L’émir témoignait une grande considération pour les personnages religieux et surtout pour Cheikh Mohamed Fadhel ould Abeïdi qu’il ne cessa de soutenir contre ses rivaux. En retour, ce saint homme mit sans réserve à son service l’influence religieuse considérable qu’il exerçait sur les Oulad Ghaïlane » (1929 : 545).

6. C’est bien certes le portrait d’un « saint homme », c’est à dire, dans les valeurs de référence saharienne, d’un zawi3 que nous trace là Mamadou Ba d’Aḥmed uld M’Ḥammed : austérité, simplicité et dignité du comportement personnel, éducation religieuse et respect des pratiques de l’islam, souci de la justice et sens aigu du bien collectif. Les antécédents de Mamadou Ba et les circonstances de ses écrits l’ont-elles amené à forcer le trait dans le sens de l’hagiographie ? Sans doute pour une part, mais d’autres témoignages recueillis par Mamadou Ba ou moi-même sur l’émir vont dans le même sens.

7. L’étiquette d’« émir de la paix » attribuée à Aḥmed uld M’Ḥammed n’est pas pure invention de Mamadou Ba, pas plus que la réputation de justice et de paix civile qui entoure son règne et dont rend compte le poème suivant attribué à uld Mubârak et contemporain de son règne :

« A partir de la paix imposée par Aḥmed uld M’Ḥammed, personne ne peut plus voler à quiconque, si ce n’est les nouvelles. Il y a beaucoup à dire sur cela, contables et non contables, notamment en ce qui concerne les Awlâd Damân, Idayqûb, Idab-l-aḥsân et Awlâd al-Mukhṭâr. Tous ceux qui étaient faibles sont devenus du fait de cette paix les plus forts, tous ceux qui étaient forts ont acquis du fait de cette paix un cœur d’outarde y compris les plus braves guerriers. Le corbeau de la peur ou le corbeau contre la peur4 est passé au dessus de la tête des faibles. Les pauvres peuvent maintenant se montrer avares vis-à-vis de n’importe qui. A toi voyageur de dire à qui tu veux que cette paix s’est répandue dans le Tijîrit, Ishiq, Lakdâym, al-Grara, Nara et tout l’entourage de Tiwîlit, Ben ‘Amayra, ‘Aywân Laḥmar. Celui qui a imposé la paix dans tous ces endroits du Nord l’a imposé aussi à Agdâjit, al-Khatt, et à partir d’al-Khatt jusqu’à Atâr. Sont construits côte à côte et face à face la tente et la tikît.5 Les nouvelles peuvent maintenant circuler librement. Tu peux avoir la nouvelle annoncée dans cette poésie avec les passants d’Agmûjit, de Néma et à travers Agassar. Si tu viens à Atâr et que tu rencontres des étrangers à Atâr, à Shingîti, et la nouvelle de l’établissement de la paix est aussi partie avec les caravanes de Tishît, tous les gens qui entendent cette nouvelle savent franchement que je n’ai pas dit le quart de ce qui doit être dit concernant la paix d’Aḥmed uld M’Ḥammed6

8. Une série d’anecdotes, qui toutes concernent des tribus zawâya, vont dans le sens de cette hagiographie dont Mamadou Ba ne s’est pas fait le seul chantre. Je me contenterai d’en citer quelques exemples. En empruntant d’abord à Mamadou Ba :

« On raconte que désireux de manifester à M’Hammed ould M’Hamed leur reconnaissance pour la prospérité que l’état de paix avait valu à leur cheptel, les Ideïqoub lui envoyèrent de riches cadeaux portés par une délégation dont tous les membres étaient uniformément montés sur des chameaux de quatre ans. A la vue des notables, l’émir marqua ainsi sa surprise : « sans doute vos montures sont belles, mais qu’elles sont jeunes !». « Seigneur lui fut-il répondu, nous n’avons jamais réussi à en élever d’aussi grandes que depuis votre avènement » (1929 : 551).

Toujours du même auteur, le fait suivant met en évidence, non seulement l’appui intéressé des zawâya, mais aussi le consentement des ḥassân eux-mêmes à cette politique de l’émir :
« A la même époque attirés eux-aussi par cette prospérité, les Mechdouf qui vivaient jusqu’alors de pillages et de brigandages, tantôt accolés aux Oulad Delim, tantôt dans le sillage des Oulad Bou Sba, demandèrent à être admis en Adrâr. L’intention d’Ahmed ould M’Hamed était de leur faire verser une forte contribution de guerre à répartir entre les marabouts ayant souffert de leurs pillages. Mais une délégation des Zouaïa conduit par le chef du ksar d’Atar, Ahmed ould Sidi Baba, vint lui déclarer que la fortune toute entière des Mechdouf ne suffirait pas à réparer tous leurs méfaits, que d’ailleurs les victimes de ces méfaits s’estimaient suffisamment dédommagées des pertes subies si les Mechdouf cessaient leurs incursions et rentraient dans la bonne voie.

Les Mechdouf prirent l’habitude de nomadiser avec les Abid Ahel Othman qui constituaient la garde de l’émir. La réunion de leurs deux groupements s’appela ‘hella zarga’ ou campement pie, les Abid étant noirs et les Mechdouf blancs. Parmi les guerriers qui se pressaient autour d’Ahmed ould M’Hammed, les Mechdouf El Koori ould Lekrama et El Hemada ould M’Haimed faisaient bonne figure (1929 : 549). »

9. Le renom d’Aḥmed uld M’Ḥammed dépassait les limites de l’Adrâr, ainsi qu’en témoigne une dernière anecdote, qui concerne les Tajâkanat du Trârza.

10. Ceux-ci avaient été chassés du sud par la famine et vinrent se réfugier dans l’Adrâr avec de nombreux moutons blancs7. Ils voulaient pâturer dans le Tîris, et ils envoyèrent à l’émir un certain nombre de cadeaux pour obtenir sa protection. L’émir refusa ces cadeaux et envoya à chaque tente une shanna (outre) de dattes et un mouton en guise de bienvenue. Les Tajâkanat composèrent un poème où ils disaient entre autres : « l’émir ne ressemble pas à notre âne bleu », visant sous ce terme l’émir du Trârza. Ce poème lui ayant été répété, celui-ci les dépouilla de tous leurs biens pour trancher avec la générosité de son rival8.

11L’image que voulait donner de lui Aḥmed uld M’Ḥammed s’imposait en fait aux ḥassân eux-mêmes, si l’on se réfère à ce récit qui explique l’origine du conflit entre l’émir du Trârza et celui de l’Adrâr, à la fin des années 1880 :

 

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Figures Historiques : L’« émir de la paix » : Aḥmed uld M’Ḥammed (1872-1891) – 1ére partie

 

Source : Adrar-info.net (Le 1 novembre 2014)

 

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