L’Afrique francophone est-elle moins propice aux affaires que l’Afrique anglophone ?

Dans le classement Doing Business 2015, révélé hier, l’Afrique, comme à son habitude, ne brille pas. Mais plus encore, les pays d’Afrique subsaharienne francophone font figure de derniers de la classe, derrière leurs camarades anglophones. Ainsi, si les pays d’Afrique subsaharienne anglophone sont représentés dans le classement, hors Afrique du Sud, dès la 46ème place grâce au Rwanda, l’Afrique francophone fait une apparition bien moins glorieuse à la 144ème place seulement, avec le Gabon.

 

Le classement des autres pays francophones s’inscrit dans cette lignée, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin, le Cameroun, le Sénégal, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée, la Mauritanie, le Congo, la République Démocratique du Congo, le Tchad et la République Centrafricaine étant classés entre les 146ème et 187ème places. L’Afrique anglophone s’en sort mieux avec déjà une bonne dizaine de pays classés avant le Gabon, premier au classement des pays francophones.

Inévitablement, on s’interroge sur les raisons d’un tel écart : qu’est-ce qui explique que le climat des affaires des pays d’Afrique anglophone soit généralement considéré comme plus sain par les acteurs du projet Doing Business ?

Vous avez dit Doing business ?

L’indice de facilité de faire des affaires ou Ease of Doing Business en Anglais a été mis en place en 2002 par le groupe de la Banque Mondiale. Il a pour objet de mesurer la réglementation des affaires et son application effective dans les pays qui font l’objet d’études, afin de déterminer si l’environnement réglementaire de ces pays est propice aux affaires des petites et moyennes entreprises. Pour établir ce classement, le groupe s’appuie sur des avis d’autorités publiques, d’universitaires, de praticiens et d’observateurs. Le classement 2015 a été établi sur 189 pays et s’est appuyé sur dix critères: la création d’entreprise, l’octroi de permis de construire, le raccordement à l’électricité, le transfert de propriété, l’obtention de prêts, la protection des investisseurs minoritaires, le paiement des taxes et impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution de contrats et le règlement de l’insolvabilité.

Ce classement a un réel impact : il remplit non seulement un rôle d’information auprès des investisseurs, mais instaure également une concurrence stimulante entre les États objets du classement ; il a ainsi inspiré aux gouvernements de ces pays d’importantes réformes ambitionnant d’améliorer le climat des affaires dans leurs États.

Dans ce contexte, on peut aisément expliquer que l’Afrique en général ne figure pas en pole position : elle n’est pas connue comme un berceau du capitalisme. Mais comment expliquer une telle disparité entre les pays d’Afrique subsaharienne anglophone et ceux d’Afrique subsaharienne francophone ?

Une question de stabilité politique ?

Hormis l’Afrique du Sud, tous les pays d’Afrique francophone et anglophone ont été colonisés par le Royaume-Uni, la France ou la Belgique. Tous ont accédé à l’indépendance dans les années 1960, et ni les uns, ni les autres n’ont fait preuve d’une stabilité politique exemplaire ; des dictatures flamboyantes se sont illustrées dans une catégorie comme dans l’autre, et le Rwanda, qui se situe à l’honorable place 46, a connu une crise politique sans précédent dans les années 1990. Il n’y a donc pas de différence notoire en termes de solidité des institutions politiques des pays d’Afrique francophone ou anglophone.

Une question de corruption ?

Ce n’est pas nouveau : l’Afrique est minée par la corruption, et le moindre service requérant l’intervention d’une émanation de l’Etat, que ce soit du gouvernement lui-même ou un simple agent d’administration publique est complexifié par la volonté de ces intervenants d’en tirer un bénéfice (monétaire) personnel. Les acteurs des affaires en Afrique sont confrontés à ces problèmes dans tous les pays et l’on ne pourra raisonnablement affirmer qu’il y ait plus de corruption en Afrique francophone qu’anglophone.

Une question de tradition juridique ?

A l’indépendance, les Etats d’Afrique se sont inspirés de leurs anciens colonisateurs pour établir leur système politique et juridique : ainsi, les pays francophones sont plus influencés par la tradition du droit écrit français ou belge tandis que les pays anglophones sont influencés par celle du Common Law, qui est réputée plus souple et moins formaliste. Ajoutons à cela que des corps de règles archaïques et peu adaptés au fonctionnement des affaires sont parfois toujours en vigueur dans les pays francophones.

La situation s’est tout de même nettement améliorée depuis la création en 1997 de l’Organisation pour l’Harmonisation du droit des Affaires en Afrique (OHADA), qui réunit 17 Etats (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo) et qui édicte des Actes uniformes directement applicables dans ses Etats membres instituant ainsi un droit harmonisé dans différents domaines, tels que le droit commercial général, le droit des sociétés, le droit des sûretés ou encore les procédures de recouvrement et voies d’exécution. Ce droit est également fortement inspiré du droit français, mais, bien qu’il apporte d’indéniables améliorations, il comporte un formalisme qui peut se révéler contraignant.

Par exemple, en droit des sociétés : jusqu’à la réforme intervenue en janvier 2014, il était impossible pour une entreprise de tenir une assemblée générale ou un conseil d’administration à distance dans les pays d’Afrique francophone : toutes les réunions devaient être physiques ce qui est extrêmement contraignant pour les entreprises tournées vers l’international et dont les acteurs sont localisés dans différents pays, et qui ne favorise pas la prise de décision rapide. Dans la plupart des pays anglophones, il est depuis longtemps possible de tenir des réunions à distance en utilisant les moyens de télécommunication existants tels que la conférence téléphonique ou la visioconférence.

Le cadre réglementaire plus souple des pays anglophones explique donc certainement leur meilleur positionnement dans le classement Doing Business.

Une question de dynamisme législatif ?

Le Rwanda, premier de la classe, a récemment entrepris des réformes dans huit des domaines couverts par l’indicateur Doing Business : les pays d’Afrique anglophone feraient preuve d’un plus grand dynamisme législatif ; mais le fait est qu’en Afrique francophone le droit des affaires est un droit harmonisé dans de nombreux domaines dans le cadre de l’OHADA, et que des réformes d’envergure sont plus complexes à mettre en place lorsque plusieurs Etats membres doivent parvenir à un accord ; on ne peut néanmoins que saluer l’existence d’un droit régional qui ne peut que contribuer à la sécurisation du climat des affaires. D’ailleurs, dans le classement 2014, l’Afrique francophone n’apparaissait qu’à partir de la 154ème place, et plus généralement, on observe une domination moins forte des pays anglophones ; il y a donc du progrès, et la récente réforme OHADA y est certainement pour quelque chose. 

 

Rouguyatou Touré

 

Source : Terangaweb

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page