A Jérusalem, le rêve explosif des activistes du troisième temple

Il y a quelques jours, l’activiste religieux juif Yehuda Glick ironisait auprès d’un journaliste américain sur le fait que ses actions pouvaient entraîner le déclenchement de la Troisième Guerre mondiale. Mercredi soir, il a été grièvement blessé par balles en plein centre de Jérusalem, un attentat ciblé très rare dans ce conflit pourtant parsemé de cadavres.

 

L’armée israélienne a annoncé dans la nuit qu’elle avait abattu l’agresseur présumé qui avait pu prendre la fuite à moto, mais a été retrouvé dans la partie palestinienne de la ville divisée : Muatnaz Hijazi, 32 ans, ancien prisonnier politique palestinien, membre, semble-t-il, de l’organisation Jihad islamique.

Vivement le Messie !

Né aux Etats-Unis, Yehuda Glick n’est pas un dirigeant politique israélien de premier plan, mais il est bien plus dangereux que ça : il préconise rien de moins que le remplacement de la mosquée al-Aqsa de Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam, par le troisième temple juif qui préfigurerait à ses yeux la venue sur terre du Messie…

Ces « fous de Dieu » juifs ne sont pas des rêveurs isolés : ce sont des activistes actifs et motivés, qui font tout pour réaliser cette utopie. Ce faisant, ils touchent au plus sacré du côté musulman, suscitant les mêmes passions aveugles, les mêmes pulsions violentes.

Ils ne cachent pas leur but. Leurs plateformes internet sont nombreuses, et explicites. Regardez ces deux images, tirées d’une vidéo du site Harhakodesh consacré au troisième temple, elles résument le projet.

Avant

Avant : l’esplanade des mosquées, avec le Dôme du rocher, à Jérusalem (capture d’écran d’Harhakodesh)

Après

Après : le troisième temple juif est reconstruit pile à l’emplacement de l’esplanade des mosquées (capture d’écran d’Harhakodesh)

Jérusalem est revenue depuis quelques jours au cœur de l’affrontement israélo-palestinien, avec des flambées de violence répétées faisant déjà plusieurs morts des deux côtés, et l’annonce par le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou de la construction de 1 000 logements juifs supplémentaires du côté palestinien.

Sur un petit kilomètre carré

Mais l’enjeu religieux dépasse tout cela. Il tient en un petit kilomètre carré, derrière les remparts de la vieille ville de Jérusalem, où se trouvent les lieux saints des trois religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme, et l’islam.

A quelques pas l’un de l’autre, et en particulier le juif et le musulman :

  • les juifs prient sur le Kotel, ou mur des lamentations, seul vestige du second temple détruit par l’armée romaine en l’an 70 (le premier, le temple de Salomon, aurait été détruit en l’an 587 avant JC, et n’est connu qu’au travers du texte de la Bible). L’accès de ce mur n’est possible que depuis la victoire militaire israélienne de 1967 et la conquête de Jérusalem-Est, qui a réveille un élan messianique qui n’a fait que croître ;
  • les musulmans prient juste au-dessus, sur l’« esplanade des mosquées » (que les juifs appellent le Mont du temple), où ont été édifiés au VIIe siècle la mosquée al-Aqsa (« la lointaine », par référence aux lieux saints musulmans de La Mecque et Médine, dans l’actuelle Arabie saoudite), et le Dôme du Rocher. Sous le dôme couvert d’or (un don du roi de Jordanie), figure un rocher d’où est censé s’être envolé Mahomet sur son cheval blanc Bouraq, comme en « atteste » l’empreinte du sabot du cheval sur la roche au centre de la mosquée…

Les juifs interdits de prière sur l’esplanade

Dans cette ville, qui a gardé de l’empire ottoman – qui régna ici plusieurs siècles (les remparts de Jérusalem ont été construits par Soliman le magnifique, qui, mécontent des travaux, fit exécuter les deux architectes dont les tombes figurent près de la porte de Jaffa…) – la tradition d’autogestion des communautés, les pratiques religieuses sont très encadrées.

Dès la conquête de 1967, le ministre de la Défense israélien, Moshe Dayan, avait décidé de laisser au Waqf, l’autorité musulmane traditionnelle, la gestion des sites religieux de l’islam.

Moshe Dayan dans la vieille ville de Jérusalem après la victoire israélienne de juin 1967 (HO/AP/SIPA)

Les juifs ne peuvent ainsi pas aller prier sur l’esplanade des mosquées, et c’est là que Yehuda Glick entre en scène. Ce juif américain plus grand que nature conduisait quasi quotidiennement des groupes de « touristes » sur l’esplanade des mosquées, et qui bravaient l’interdit en « murmurant » des prières juives dans le saint des saints de l’islam…

Mais Glick était surtout actif dans la mouvance du troisième temple, qui, comme le soulignait l’auteur américain Robert Friedman dans un livre paru en 1992 (« Zealots for Zion », éd. Random House), ces « zélotes » considèrent « que le contrôle musulman du Mont du temple est à la fois un signe de la faiblesse d’Israël, et un obstacle sur le chemin de la rédemption ».

L’irrésistible ascension du messianisme juif

Charles Enderlin, dans son livre « Au nom du temple, Israël et irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013) » (éd. Seuil, 2013), dénombre pas moins « d’une vingtaine d’organisations messianiques liées au temple » depuis 1970.

« L’Odysée du troisième temple », publié par l’Institut dirigé par Yehuda Glick (Pierre Haski/Rue89)

J’ai en ma possession un livre intitulé « L’Odyssée du troisième temple », publié par l’Institut du temple dont Yehuda Glick est le directeur général, et qui affirme d’emblée :

« Depuis la destruction et les flammes qui ont ravagé le second temple, le monde attend l’établissement du troisième temple, avec lui la réalisation des paroles du prophète Isaïe (annonçant la construction de la “maison de Dieu au sommet de la montagne”) ».

Et l’Institut du temple de poursuivre que l’édification de ce troisième temple « amènera le processus à sa conclusion avec l’apparition du Messie. La grande attente est que ce temple ne sera jamais détruit ».

Charles Enderlin raconte dans son livre que « les industries chimiques de la mer Morte, qui soutiennent [l’Institut du temple, ndlr], ont gracieusement, et secrètement, construit l’autel censé servir un jour aux sacrifices d’animaux sur le temple »…

Le site de l’Institut du temple (capture d’écran de TempleInstitute.org)

Sur son site, qui contient des dizaines d’entrées religieuses, politiques ou très pratiques consacrées au troisième temple, l’Institut de Yehuda Glick écrit, dans les conseils aux visiteurs juifs de l’esplanade des mosquées :

« Notez que face à l’agression délibérée des musulmans qui contrôlent le Mont, y compris la destruction calculée des preuves de la présence juive et les restes du temple, ainsi que les tentatives successives des gouvernements israéliens de faire des “compromis” sur le “statut” du Mont (c’est-à-dire d’en donner le contrôle à l’Autorité palestinienne), la présence quotidienne de juifs et de Gentils vertueux sur le Mont du temple a pris une signfication cruciale.

Notre présence pacifique est un témoin de la signification suprême du Mont du temple pour le peuple juif et pour la vie spirituelle de toute l’humanité. Non moins importante, notre présence quotidienne est un rappel au gouvernement israélien et à tous les peuples amoureux de la liberté dans le monde, que nos droits fondamentaux et inaliénables à la liberté de pratiquer notre religion nous sont niés. »

Menaces sur la ville trop sainte

Depuis une semaine, les scènes d’intifada se multiplient à Jérusalem et dans ses environs, ici le 25 octobre 2014 à Silwan (Majdi Mohammed/AP/SIPA)

Parallèlement aux combats politiques, à la lutte pour la terre, aux questions délicates des frontières et des réfugiés, il y a aussi une véritable guerre qui oppose les « fous de Dieux » des deux côtés : la lutte pour l’accès au ciel, à partir d’une colline parée de toutes les mythologies.

Mercredi soir, cette guerre parallèle a fait un mort et un blessé grave, et menace d’embraser la ville trop sainte.

Un think tank américain a estimé un jour que la Troisième Guerre mondiale pourrait éclater si la mosquée al-Aqsa de Jérusalem était détruite (un projet d’attentat d’extrémistes juifs venait d’être déjoué). C’est en référence à ce sombre pronostic que Yehuda Glick ironisait dans sa conversation avec un journaliste américain – quelques jours avant d’être la cible d’un tueur.

 

Pierre Haski | Cofondateur Rue89
 
 
Source : Rue89
 
 

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