Le cinéma ambulant va-t-il sauver le cinéma africain?

Il faudra d'abord (re)créer un public. Et ensuite bâtir une politique à long terme.

 

L'Afrique à l’ère de la colonisation: des  cinémas en plein air, des images projetées sur un écran, gratuitement, dans des villes qui étaient encore loin d’être  d’importantes métropoles, à l’intention de populations qui savaient encore à peine ce qu’est un film… L’Afrique contemporaine, où les indépendances sont acquises depuis longtemps et dont certains pays constituent des pôles majeurs de la production cinématographique: des cinémas ambulants, itinérants, des soirées-ciné épisodiques, en plein air aussi, gratuites, à destination des quartiers populaires et des villages les plus reculés souvent dépourvus de tout.

Deux époques différentes, mais une situation similaire: le cinéma n’est pas ce qui se consomme le plus sur le continent, ce n’est pas le produit le plus accessible. Et pourtant, il existe une demande forte, un véritable public. Un public qui s’est tout naturellement constitué lorsque sont produits les tout premiers films de ce qu’on désigne aujourd’hui sous le terme de «cinéma africain»: La Noire de… et Le Mandat de Sembène Ousmane, Muna Moto de Jean-Pierre Dikongue ou encore Touki-Bouki de Djibril Diop Mambéty.

Mais ce public né à la fin des années 1950 a disparu depuis le tout début des années 1990. Il est très peu présent pour des films pourtant de haute facture comme Grigris du Tchadien Mahamat Saleh-Haroun, Les habits neufs du gouverneur du Congolais Mwezé Ngangura et Les saignantes du Camerounais Jean-Pierre Bekolo.

Mais pourquoi, pourquoi ce public a-t-il disparu? Pour Stéphanie Dongmo, promotrice culturelle camerounaise, la raison tient d’un manque de vision politique:

«Nos responsables politiques n’ont jamais considéré que la culture était un facteur essentiel de développement. Le cinéma  a toujours considéré comme quelque chose d’accessoire. Des salles se sont ouvertes, elles ont vécu un temps, puis ont fermé faute de réelle politique de soutien à la production et à la diffusion des œuvres cinématographiques.»

En effet, la fermeture en cascade des salles de cinéma dans de nombreux pays en Afrique dans les années 1990 a privé le public africain des œuvres réalisées par des Africains (et pas seulement d’ailleurs). Aujourd’hui, si l’on exclut l’Algérie, la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Kenya ou le Nigeria, trouver une salle de cinéma dans les métropoles africaines relève du parcours du combattant.

Au Cameroun, par exemple, pays de plus de 20 millions d’habitants, il n’existe plus aucune salle de cinéma. Pas une seule. En réaction à cela, Stéphanie Dongmo monte un projet qu’elle appelle Cinéma numérique ambulant (CNA). L’idée est de rapprocher le cinéma de ceux qui en sont privés, notamment dans les campagnes ou dans des quartiers populaires des zones urbaines.

«Les équipes du CNA se rendent dans des villages enclavés, excentrés, à l’écart des principales voies de communication, le plus souvent privés d’électricité et où l’information, les arts et la culture arrivent difficilement. Nous proposons au public des œuvres dont nous avons acquis les droits», explique Stéphanie Dongmo venue présenter le travail de son association, dans le cadre du SIGEF 2014, le tout premier salon de l’innovation organisé par la Fondation Horyou, à Genève, en Suisse, du 22 au 24 octobre.

«Nous voulons mettre à profit la légèreté et la qualité du numérique afin d’apporter le cinéma africain à son public naturel», précise encore Stéphanie Dongmo.

En réalité le Cinéma numérique ambulant est un projet qui se développe depuis 2001 dans une dizaine de pays de l’Afrique subsaharienne (Tchad, Sénégal, Mali, Niger…). Ce réseau permet aux antennes nationales, comme le CNA-Cameroun, d’avoir une méthode de travail efficace et une crédibilité. Il s’agit-là de deux atouts essentiels pour arriver à convaincre les pouvoirs publics de mettre en place un cadre législatif de pour faciliter le développement de la production cinématographique.

«Le Cinéma numérique ambulant ne peut pas être la solution. Il ne peut que permettre de créer un nouveau un public pour le cinéma. C’est à partir de là que tout devra se jouer. Il faudra ensuite une vraie politique, une vraie vision, un cap et les moyens qui vont avec ou en tout cas la volonté de les trouver», martèle Stéphanie Dongmo dans une sorte de plaidoyer.

 

Raoul Mbog

 

 

Source : SlateAfrique

 

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