L’Afrique vous salue bien

Sept ans après le discours de Dakar, prononcé par Nicolas Sarkozy, le continent prend sa revanche. Les milieux financiers ne jurent plus que par l'Afrique. Et cette croissance insolente change les rapports de force avec le Nord.

 

C'était d'abord une posture intellectuelle, un ras-le-bol africain face à l'éternelle condescendance occidentale. En  2007, l'investisseur franco-béninois Lionel Zinsou offrait dans Le Monde une réponse cinglante, "  L'Afrique vous salue bien  ", au discours de Dakar dans lequel Nicolas Sarkozy regrettait que l'homme africain ne soit pas entré dans l'Histoire.

Peu avant, l'auteur kényan Binyavanga Wainaina publiait une satire drôlissime dans la revue Granta, " How to write about Africa ", où il étrillait tous les poncifs occidentaux sur le " continent noir ". Sept ans se sont écoulés. Sept ans de croissance qui conduisent aujourd'hui les milieux financiers à ne plus jurer que par l'Afrique. Sept ans durant lesquels ce ras-le-bol africain s'est transformé en business plan chiffré et méthodique grâce auquel l'Afrique, consciente de ses propres forces, songe parfois à envoyer promener le Nord.

Un homme joue un rôle majeur dans cet aggiornamento  : Carlos Lopes. Economiste originaire de Guinée-Bissau, il dirige la Commission économique pour l'Afrique, un organe longtemps assoupi des Nations unies qu'il est en train de transformer en think tank du continent. Ses obsessions sont la transformation structurelle et l'industrialisation.

Pour cela, il faut de l'argent. " Et l'Afrique en a  ! ", dit-il en sortant sa calculette. D'abord, les 600  milliards de dollars de réserves des banques centrales africaines. Une injonction du Fonds monétaire international (FMI) oblige à n'utiliser cet argent qu'avec des instruments financiers classés triple A. " Mais aucun outil d'investissement triple A ne s'occupe de l'Afrique, relève M. Lopes. Cela signifie que ces réserves sont utilisées pour le bénéfice d'autres régions du monde ! " Ensuite, les avoirs des fonds de pension sont de 80 milliards de dollars, tout comme ceux des banques commerciales. " Ils pourraient être utilisés de façon plus productive ", estime l'économiste.

Enfin, sept pays africains disposent de fonds souverains, pour un montant de 15  milliards de dollars, le plus souvent investis hors d'Afrique. " Cet argent est entièrement à la portée des gouvernements africains, assène M. Lopes. On ne dépend de personne, sauf du FMI pour lever les conditionnalités sur les réserves des banques centrales. Et si l'on construit une position commune africaine, on obtiendra de la flexibilité de la part du FMI qui, cette année, a plus prêté à l'Ukraine qu'aux 54 pays africains.  "

Plus compliqué : la renégociation des contrats, notamment miniers. En utilisant un logiciel de l'Union douanière européenne, les équipes de Carlos Lopes ont calculé que la différence entre les prix du marché pour les matières premières et les prix imposés aux Africains s'élevait chaque année à 60  milliards de dollars. " On va remettre en cause des contrats, même anciens, c'est une tendance lourde ", conclut-il.

Ce discours d'autonomisation, voire de défiance de l'Afrique face au Nord, est en train de prendre. On l'entend désormais, mot pour mot, dans la bouche de plusieurs présidents et ministres africains. Il va de pair avec la fierté nouvelle d'un continent qui s'est longtemps senti humilié par ses anciens colons. Il préfigure non pas la rupture avec les agences occidentales de développement, mais une reconfiguration des rapports, et de nouvelles exigences sur l'efficacité et la pertinence de leur action. Lesquelles sont évidemment prêtes à relever le défi.

Post-scriptum L'heure est à l'inquiétude face aux ravages de l'épidémie d'Ebola. On comprend là, au passage, que le Nord est encore utile  : les pays occidentaux se sont bien davantage mobilisés pour aider les trois pays concernés que leurs voisins directs ou que les grandes économies africaines. Dans les nombreux colloques consacrés à l'économie africaine, on minimise volontiers les dégâts de l'épidémie : " Les PIB cumulés des trois pays touchés ne correspondent qu'à trois semaines de l'économie nigériane ", entend-on. Le Monde a envoyé plusieurs reporters sur le front de la lutte contre le virus et mobilisé ses spécialistes scientifiques et médicaux. Mais aujourd'hui, dans ce supplément, il se penche sur le décollage économique du continent.

 

Serge Michel

 

Source : Le Monde (Supplément Collogue "Le Monde" AFD)

 

(Photo : Photo: otimbi.com)

 

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