Nouvelles d’ailleurs : De l’école…

C'est jour de rentrée scolaire. Nos chères petites têtes brunes ont repris le chemin de l'école, heureux bénéficiaires de vacances à rallonges, vacances scolaires apparemment taillables et mesurables selon des critères qui nous sont propres. OK, cette année, beaucoup d'écoles ont été inondées… Elles ne sont pas majorité, mais elles ont au moins eu, ces écoles les « pieds dans l'eau », l'avantage de permettre, aux autres, celles des « pieds au sec », d'avoir un rab. Ça s'appelle de la solidarité et les élèves ne s'en plaindront pas.

Même si ce report, au nom de quelques classes inondées, semble absurde… La logique aurait voulu que la rentrée se fasse aux dates prévues et que, pour les écoles inondées, il y ait un report, même si l'on peut se dire qu'il aurait été envisageable de dispatcher les élèves des écoles « mouillées » dans d'autres établissements, en attendant que l'eau soit évacuée.

Il a été dit, aussi, que le report fut dû à la Tabaski. Mais, à moins que je ne me trompe, la Fête se déroule toujours à peu près aux mêmes dates, à quelques poils de c… de chameau près… Mais, visiblement, personne n'y a pensé… De là à se dire que ce report cause fiesta et les congés qui vont avec ne sont que vaste répétition générale de ce qui attend nos chers élèves, pour leur vie future d'adultes, à savoir que, quand il y a une fête chez nous, on chôme, et avant et pendant et après la fête… Pour une fête d'un jour, quatre jours, au minimum, de congés… C'est que le Nous Z'Autres a besoin de temps, pour se remettre de tant de joyeusetés et de bombances… Du temps avant, pour se préparer psychologiquement à la teuf ; du temps après, pour se remettre, et du temps mis à se préparer psychologiquement et du temps mis à oublier qu'on s'est préparé psychologiquement… Bref, joyeux pays de « glandeurs »….

C'est donc la rentrée scolaire. Comme chaque année, environ cinq cent mille et quelques poussières d'élèves plus loin ont pris le chemin des tableaux noirs, à contrecœur de bien entendu, poussés par des parents tout heureux, eux, de retrouver un peu de paix. C'est toute une humanité enfantine, habillée de neuf, qui a repris le chemin des bancs, gazouillant dans toutes les langues de notre pays, excitée à l'idée de revoir les potes et les yeux ensommeillés des enfants qui doivent se propulser vers les temples du « savoir », à 8 heures du matin, alors qu'ils ne se sont endormis qu’entre 23 heures et minuit, otages d'un mode de vie bien à nous où il n'est absolument pas question d'imposer, à nos enfants, une hygiène de vie cohérente, en sus de l'obligation d'ingérer tout un corpus…

La majorité de nos élèves manquent de sommeil, vu que, pour les parents, il est impensable de manger avant 21 h 30 / 22 h… Je ne parlerai donc pas des rythmes de l'enfant, des cycles de sommeil à respecter…Ça, c'est terre inconnue pour nous. Ni que ce soit le moindre des soucis, apparemment, des parents de ce que les enseignants se retrouvent devant des enfants fatigués, incapables, dès le milieu de la matinée, de soutenir la moindre attention…

Quand on sait (et croyez-en l'ancienne prof que je fus) que l'attention d'un enfant du primaire ne dépasse pas dix minutes d’affilée sur le même sujet, qu'on n'enseigne pas les matières à n'importe quelle heure, qu'en principe, on adapte les cours aux rythmes des enfants, je ne vous parle pas de l'ineptie de la chose. Alors, en ce beau jour de rentrée scolaire, j'ai une pensée émue pour beaucoup de choses et beaucoup de monde. Une pensée pour ces enseignants qui seront absentéistes toute l'année, avalés par un trou noir qui n'avalerait que les enseignants. Une pensée pour tous ces enseignants « détachés » qui hantent nos ministères et qui seraient plus utiles devant des élèves. Une pensée aux cinq réformes de notre système éducatif, réformes idéologiques qui n'ont fait que massacrer un peu plus notre école.

Une pensée pour ces classes surchargées, plus proches de la garderie que de classes dites « normales », où un enseignant débordé ou apathique tente d'inculquer, à nos enfants, les rudiments de… de quoi déjà ? Une pensée à nos minuscules écoles rurales qui agonisent, loin de l'attention portée aux grandes villes, où est dévolue, à un instit sans moyens, la lourde tâche de jongler entre plusieurs niveaux et les impératifs de parents qui ont, parfois, besoin de leurs gosses pour aller garder les troupeaux. Une pensée à notre fabrique de cancres, chaque année plus cancres que les autres années, propulsés vers un bac hypothétique. Une pensée émue à nos enfants de nos décideurs, eux qui ont la chance de pouvoir aller dans les écoles privées. Une pensée émue à tous les autres, condamnés à la catastrophe, à l'ignorance.

Une pensée émue aux enseignants disparus, ceux qui ne se présenteront jamais à leur poste. Une pensée émue à celui qui nous lira les messages à la radio, SOS pathétiques : « tel ou tel enseignant est prié de rejoindre son poste »… Il devrait y avoir un service des « enseignants trouvés » où nous pourrions ramener nos « glandeurs », dès lors que nous les retrouverions à la boutique du coin, au volant du taxi ou encore perdus dans les félicités conjugales. Une pensée émue à notre Arlésienne à nous, les Etats Généraux de l'Education, maintes fois annoncés, toujours reportés aux calendes mauritaniennes. Une pensée à ceux qui n'apprendront rien, ne sauront rien, sortiront de l'école avec le minimum syndical, mauvais arabisants, mauvais francisants, mauvais tout court. Une pensée aux générations sacrifiées.

L'école étant obligatoire, chez nous, de 6 ans à 16 ans, cette période qui devrait être celle de l'apprentissage de savoirs permettant de préparer une vie future d'adulte, ressemble au Moyen Âge : une période sombre… Oui, c'est ainsi : dans la vie de nos enfants, il y a un trou noir de dix ans. Et je ne parle même pas de pédagogie, de rythmes scolaires, d'études scientifiques sérieuses…ça, c'est inconnu au bataillon. Faut pas pousser, quand même ! Nous n'en sommes même pas au stade de réfléchir et d'adapter ces réflexions. Nous, Nous Z'Autres magnifiques et fiers de l'être, en sommes au stade du rien… Nous sommes très forts : nous avons réussi à casser la dynamique des années 60, à saccager notre école, à marcher à reculons, à dynamiter l'avenir des générations futures. Tout ça en cinquante ans. C'est pas donné à tous les pays, ça. Bref. C'est la rentrée scolaire ! Oublions le mot « scolaire » et disons, plutôt : c'est la rentrée tout court. Courage les Z'enfants : vous ferez des cancres magnifiques, une fois adultes. Malheureusement…. Salut,

 

 

Mariem mint DERWICH

 

Source  :  Le Calame  (Le 16 otobre 2014 2014)

 

 

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