Parier sur une épidémie n’est pas sorcier. Il faut s’y prendre suffisamment tôt, quand la maladie ne fait pas encore la une des journaux. Avec un peu de chance, personne, à part vous, ne pensera à acheter le nom de domaine associé, pour une somme modique (une dizaine d’euros).
Plus tard, lorsque l’épidémie aura éclaté, les internautes chercheront frénétiquement sur Google (dans leur langue) comment s’en prémunir. Il sera toujours temps, alors, de revendre le nom de domaine au plus offrant.
C’est comme ça que l’on apprenait, mardi, que le nom de domaine Ebola.com a été mis à prix pour 150 000 dollars (117 000 euros). Son propriétaire actuel, l’Américain Jon Schultz, est une sorte de collectionneur de noms de domaine de maladies. Il possède BirdFlu.com (sur la grippe aviaire) ou encore Chikungunya.com. Il explique sa démarche à CNBC :
« Ebola.com serait un nom de domaine formidable pour un laboratoire pharmaceutique qui travaille pour un vaccin ou un traitement, une entreprise qui vend des fournitures d’urgence ou destinées à faire face à une pandémie, ou une compagnie médicale désireuse de faire du conseil et de l’information. »
CNBC précise que les grosses compagnies pharmaceutiques ont l’habitude de réserver les noms de domaine de maladies fréquentes ou connues.
« Par exemple, Cancer.com et Obesity.com sont la propriété de Johnson & Johnson ; Diabetes.com, d’une filiale de GlaxoSmithKline, et Arthritis.com de Pfizer. »
Et Ebola.fr ?
On s’est demandé ce qu’il en était d’Ebola.fr, la déclinaison française d’Ebola.com. Le domaine appartient à NetTraffic.fr, une société toulousaine créée en 2005 et liquidée fin 2013, qui a longtemps été « la première entreprise française titulaire de .fr ».
Au-delà d’Ebola, qui possède les autres noms de domaine, en français, de maladies à la fois connues et effrayantes ?
- certains sont à vendre : GrippeAviaire.com ou Tuberculose.fr, détenu par la société Web Intelligence ;
- les propriétaires de certaines adresses ont fait des démarches pour rester anonymes : Sras.com, H5N1.fr, Sida.com, Pneumonie.com et .fr, Hepatite.com ;
- d’autres URL sont détenues par des particuliers ou des entreprises web : Cholera.fr (également par NetTraffic.fr), Grippe.fr qui appartient à une entreprise stéphanoise.
Méningite : le .com à Sanofi, le .fr à Novartis
Comme aux Etats-Unis, des groupes pharmaceutiques ont réservé certains noms de domaine, sans forcément les utiliser. Avec les noms français des maladies pour Sanofi-Aventis. Le laboratoire possède au moins les sites suivants (certains nous ont sans doute échappés) :
- Tuberculose.com,
- Meningite.com,
- La-Gripe.com (pariant sur l’orthographe hasardeuse des francophones),
- Polio.com,
- Hepatite-b.com,
- Fievrejaune.com,
- Tetanos.com,
- Paludisme.com redirige même vers une page consacrée à la malaria sur le site anglophone de Sanofi.
Visiblement, Sanofi ne s’intéresse qu’aux .com. Parfois, pour la même maladie, le .fr est détenu par d’autres. Meningite.com appartient donc à Sanofi, mais Meningite.fr à un autre laboratoire pharmaceutique, le Suisse Novartis, qui a développé des vaccins contre la méningite B. Meningite.fr redirige vers la partie francophone de son site Meningitis.com.
Chez Sanofi, une employée française est spécialement chargée de gérer les noms de domaine. Nous n’avons malheureusement pas pu la joindre au moment de publier cet article.
Dommage, nous aurions aimé comprendre la stratégie du groupe, qui non seulement achète les noms de domaine correspondant à ses marques déposées (les vaccins, les médicaments) pour des raisons évidentes de propriété intellectuelle, mais aussi ces maladies qui, entre guillemets, « appartiennent à tout le monde ».
GrippeAviaire.fr est vosgien
Plus étonnant dans ce grand marché numérique des maladies, des « petits » acteurs du secteur médical ont aussi tiré leur seringue du jeu.
Le site wordpress GrippeAviaire.fr appartient à Robé médical, un équipementier basé à Remiremont dans les Vosges où il vend en gros des pansements, des fauteuils roulants, des stéthoscopes, des tests de grossesse… Son responsable Antoine Chonion « ne se souvient plus vraiment de la date » à laquelle il avait réservé ce nom de domaine, mais se rappelle pourquoi :
« Lors de l’épisode de grippe aviaire, nous avions l’intention de mettre en place un site d’information et de recommandations sur cette maladie avec des professionnels de santé. Ce projet n’a pas été réalisé par manque de temps. »
Quant à Variole.com (quelle bonne idée !), il est la propriété de Michel Pobeda, qui s’auto-qualifie de « trop précurseur »… A la fin des années 90, soit au tout début de l’Internet grand public, il dirige L’Encyclopédie médicale quand il enregistre « plus de 4 000 noms de domaines », principalement dans le secteur de la santé.
Pour chaque site, il construit une page d’informations qui renvoie vers des articles publiés ailleurs sur le Net. Il possède alors Vache-folle.com, HIV-Sida.com, Legionnellose.com, et… Virus-Ebola.com ! Il propose même aux internautes de donner des idées de maladies « qu’ils aimeraient voir traiter ».
Mais l’idée ne prend pas et L’Encyclopédie médicale périclite. La plupart des noms enregistrés vont expirer cette année. « Le portefeuille meurt de sa belle mort », explique aujourd’hui Michel Pobeda, qui file la métaphore du placement financier alors qu’il n’en a pas vraiment tiré bénéfice.
Sur Internet comme en Bourse, il y a les spéculateurs, les investisseurs prudents, les conquérants et les petits porteurs.
Avec Rémi Noyon et Mathieu Deslandes
(Photo : « Euh… Quoi de neuf docteur ? » ([n|ck]/Flickr/CC))
Source : Rue89
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