Dualité entre le français et les langues africaines : L’espace francophone à l’heure du renouveau linguistique

S’il est vrai que le français est très parlé dans certains pays africains, il ne demeure pas faux que la langue de Molière perd du terrain. Beaucoup d’ouvertures se créent vers les langues africaines. Et ce renouveau linguistique doit susciter une réflexion profonde au sein de l’espace francophone.

 

Dans de nombreux pays africains, les populations parlent le français. Considéré comme une seconde langue, il est officiel dans les pays anciennement colonies françaises. C’est le cas par exemple du Sénégal, du Bénin, du Togo, du Mali, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire…Et très souvent, une frange d’intellectuels de ces pays francophones perçoit les langues africaines comme une menace contre le rayonnement du français. Les défenseurs des langues africaines, eux, voient dans la volonté de «supériorité du français» un obstacle à l’éclosion de nos dialectes. Et pourtant, plusieurs linguistes affirment que le français et les langues africaines ont des destins étroitement liés. Le poète Thierry Sinda affirme : «En 2014, je ne pense  pas que les langues africaines et le français soient en réelle rivalité,  puisqu’elles remplissent des fonctions différentes voire complémentaires. Dans la plupart des constitutions des pays de l’Afrique subsaharienne francophone : le français est langue officielle et les principales langues locales sont des langues nationales».

Toutefois, en posant ce débat et quand on cherche à savoir si le Sénégal peut accéder à l’émergence grâce à la langue française, M. Pape Massène Sène délégué général adjoint pour l’organisation du XVe Sommet de la Francophonie affirme : «Le Sénégal peut bel et bien se développer avec la langue française». Pour preuve poursuit-il : «quelle est la langue maternelle des gens qui habitent les Etats unis qu’on appelle les Amérindiens ? On nous a dit que Christophe Colomb venait d’un autre pays  (Italie). Il est venu en Amérique et a trouvé des Indiens. Quelle est la langue qu’on parle aujourd’hui aux Etats-Unis ? Ce n’est pas la langue des Indiens. Ensuite, les Etats-Unis ont été colonisés par les Anglais. Donc la langue anglaise dont les gens font usage vient de l’Angleterre. C’est grâce à cette langue que les Etats-Unis se sont développés et sont devenus la première puissance mondiale. Qu’on arrête donc de dire n’importe quoi !»

En clair, pour Pape Massène Sène, comme pour beaucoup d’autres intellectuels, à l’instar du professeur Pierre Dumont, président du Comité scientifique des états généraux de l’enseignement du français d’Afrique, «Il faut se remettre au travail pour que cette dualité (français-langues nationales) soit un facteur de progrès et non de sous-développement». Le constat en Afrique francophone, est que les locuteurs passent alternativement du français aux langues nationales. A l’école et parfois au travail, le français s’impose sans difficultés. Mais une fois le travail et l’école terminés, les langues nationales reprennent droit de cité. Ainsi, les deux véhicules de communication se partagent l’échiquier linguistique national. Mais non sans rivalités. Chacun des deux instruments essaie en effet de conquérir une portion du territoire de l’autre. D’ailleurs, Thierry Sinda affirme à ce propos : «On note que depuis les années 70, les langues africaines grignotent de plus en plus dans les prérogatives du français. Dans cent ans, on pourrait arriver à la situation suivante : une langue nationale comme langue administrative et le français en tant que langue partenaire international». Mais pour le poète écrivain Amadou Elimane Kane : «le français est une langue étrangère».

Le français, «une langue étrangère»
 

Se refusant ce débat sur le français qui ne ferait pas bon ménage avec les langues africaines, il estime que «les langues africaines ont toutes leurs importances. Parce qu’un peuple quel qu’il soit a besoin de sa langue pour pouvoir exprimer son patrimoine. D’où l’importance des langues africaines». «Je pense qu’il faut porter les langues africaines et permettre à ces langues d’être enseignées dans le système éducatif. J’ai voyagé de par le monde et partout, les gens s’expriment d’abord dans leurs langues et ensuite il y a ce qu’on appelle les langues étrangères. Et pour moi, le français est tout simplement une langue étrangère» renchérit Amadou Elimane. Cet avis, Pape Massène Sène semble en partie le partager. En marge du dernier Colloque international sur la Francophonie tenu à Dakar, il indique qu’il faut qu’on ait conscience que c’est dans nos langues nationales que nous pouvons transférer le maximum de savoir et mettre les gens sur le même pied d’égalité (sic) en terme de chances d’accès au savoir. Toutefois, poursuit-il, «Aujourd’hui on ne doit plus attendre que le Sénégal ait une langue unique pour pouvoir se développer. Quelle est la langue que vous allez utilisez ? Pourquoi vous allez utilisez le Wolof plus que le Sérère plus que le Diola ? C’est tout cela qu’il faut mettre dans le même panier. Ne créons pas aussi des discriminations pour les langues. Utilisons les atouts que nous avons».

«Quelqu’un qui est peul, sérère ou bambara, il est évident que si vous lui apprenez la langue bambara, le sérère ou le  peul, vous lui donnez plus de chances d’accéder au savoir. Mais ne le faisons pas en disant qu’il faut supprimer le français. Quand vous l’aurez fait lorsque vous serez à l’extérieur, vous parlerez au monde comment ? Les deux langues les plus parlées dans les cinq continents sont le français et l’anglais. La langue la plus parlée quantitativement est le chinois parce qu’ils sont nombreux. Sauf que sortis de là bas, ils sont obligés de parler l’Anglais ou le français pour communiquer avec le monde» précise Pape Massène Sène. L’auteur du roman «Les Soleils de nos libertés» lui, est formel : «nos systèmes éducatifs doivent intégrer les langues nationales pour que tout un chacun puissent apprendre ces langues de manière académique et pouvoir en faite les écrire et les porter». Mais ce regard reflète-t-elle véritablement le panafricanisme porté par Amadou Elimane Kane, sachant qu’il serait difficile d’unir l’Afrique avec une langue, si chacun devrait apprendre et porter les langues de son pays ? Le poète répond par une simple boutade : «l’abondance n’a jamais nui». «Aujourd’hui avec ce qu’on appelle diversité, je pense qu’on a tous besoin de ces langues. Mais à un moment donné il y aura une langue qui va s’imposer. Je suis pular mais j’observe que le wolof est la langue la plus parlée au Sénégal. C’est une réalité… Pour moi tout ceci relève en réalité de faux débats» mentionne M. Kane.
 

 Gilles Arsene TCHEDJI

arsene@lequotidien.sn

 

Source : Le Quotidien (Sénégal)

 

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