ENCORE UN PIED DE NEZ À LA SOUVERAINETÉ DES AFRICAINS

Jamais dans l’histoire un homme d’Etat en exercice (le président kenyan Uhuru Kenyatta) n’a comparu à la Cour pénale internationale (CPI). Le président soudanais Omar El-Béchir, poursuivi pour crimes de guerre et crime contre l'humanité durant la guerre civile au Darfour et génocide et qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt international depuis le 4 mars 2009, n’a jamais daigné déférer à la convocation de ladite Cour. L’Union africaine (UA) s’est d’ailleurs résolument engagée à ne jamais respecter cette décision de la CPI.

 

Mais concernant la convocation du président kenyan, l’organisation panafricaine a fait preuve d’une omerta incompréhensible.

 

Accusé d’avoir joué, après l’élection présidentielle kenyane de 2007, un rôle dans les violences politico-ethniques qui ont fait plus de 1.300 morts et causé plus de 600.000 déplacés, Uhuru Kenyatta a cru devoir quitter temporairement sa fonction présidentielle pour comparaître devant la CPI. Le président kényan vient s’ajouter à la longue liste des dignitaires africains ciblés par la CPI qui, en réalité, n’est qu’une CPA (Cour pénale africaine).

«Cour pénale africaine»

Ce qui choque dans cette comparution, c’est la passivité ahurissante de l’Union africaine qui n’a point moufté pour exprimer son indignation, voire son opposition, contre une telle mesure qui outrage la souveraineté d’un président démocratiquement élu. Même si le président Kenyatta est l’auteur des faits qui lui sont reprochés, il jouit d’une immunité populaire que lui confère la souveraineté du peuple kenyan, lequel lui a confié démocratiquement les rênes du pouvoir.

L’autorité de la CPI ne peut pas transcender la souveraineté des millions de Kenyans. C’est pourquoi Uhuru Kenyatta, au nom de cette légitimité populaire, ne devait même pas faire le déplacement à la Haye pour satisfaire une Cour à la solde des puissances occidentales qui, en matière de crimes, de génocide, de torture sont les premiers de la classe.

Si l’UA avait exprimé vivement son désaccord contre les méthodes racistes de la CPI, l’instance juridique de la Haye dirigée par Fatou Bensouda, au service des puissances occidentales, ne se serait pas acharnée uniquement contre les dirigeants africains.

La convocation du président kényan, fils de Jomo Kenyatta, figure de proue de la révolte des Mau Mau, heurte et choque tout Africain épris de justice. La CPI est congénitalement une juridiction inique qui n’applique pas le principe d’égalité entre tous les dirigeants du monde qui sont accusés de faits pouvant les attraire devant ladite Cour. Seuls les Africains peuplent les geôles de la Haye. Ainsi la justice internationale fonctionne sur le principe de l’injustice parce que discriminatoire. Le cas de Charles Taylor en est une illustration éloquente.

Charles Taylor, ex-président libérien de 1997 à 2003, a été condamné le 26 septembre 2013 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis notamment en Sierra Leone par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) délocalisé près de La Haye. Par-là, Charles Taylor est devenu ainsi le premier ex-chef d’Etat à être condamné pour crimes contre l’humanité et crime de guerres depuis le procès de Nuremberg de 1946.

Auparavant, en janvier 2009, son fils Charles McArthur Emmanuel Taylor, plus connu sous le nom de Chuckie Taylor, avait été reconnu coupable de complot en vue d’assassinat et de tortures entre avril 1999 et juillet 2003 pendant la guerre civile au Libéria. Il fut condamné à 1164 mois de prison soit 97 ans.

Le paradoxe Blaise Compaoré

Paradoxalement Blaise Compaoré, président burkinabé, impliqué dans tous les crimes de Charles Taylor, n’a jamais été inquiété. Pourtant, au cours de son  procès, le procureur Nicholas Koumjian a affirmé que «les armes et munitions venaient soit du Burkina Faso ou de la Libye». Il a également souligné que des experts de l’ONU ont mentionné le fait que «c’est le Général Gilbert Diendéré du Burkina Faso qui avait signé le document autorisant le débarquement des armes au Burkina Faso en février 1999». Ces armes et équipements militaires venues d’Ukraine transitaient par le Burkina Faso.

En sus un rapport d’International Crisis Group intitulé «Burkina Faso, avec ou sans Campaoré, le temps des incertitudes», publié le 22 juillet 2013, il y est souligné l’engagement de Blaise Campaoré dans l’effroyable guerre du Libéria et de la Sierra Léone aux côtés de Charles Taylor et d’autres chefs de guerre sanguinaires, ainsi que son soutien affiché aux rebelles ivoiriens.

C’est ainsi que le rapport rappelle : «Depuis 1990, le Burkina Faso a été directement impliqué dans sept crises ouest-africaines : au Libéria, en Sierra Leone, au Niger, au Togo, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Mali.» Ainsi on ne comprend pas pourquoi le président burkinabé qui a commis plus de crimes que son homologue kenyan ne soit pas convoqué par la CPI.

On comprend mieux, selon les révélations parues en janvier 2012 dans Boston Globe, quotidien américain appartenant à la New York Times Company, pourquoi Charles Taylor a été le seul chef d’Etat à avoir été inculpé et condamné par le TSSL après la fin de la guerre civile sierra-léonaise.

L’ex-dirigeant libérien qui a travaillé pour la CIA et le Pentagone était à partir du début des années 80 probablement utile aux Américains pour recueillir des renseignements sur Mouammar Kadhafi. Mais il s’est attiré les foudres des Américains quand il s’est montré trop indépendant pour avoir eu des atomes crochus avec le défunt leader libyen dans le trafic des diamants sierra-léonais. Et c’est cette justice internationale incarnée par le TSSL et parrainée par les Américains et ses caudataires européens qui ont condamné Charles Taylor sur des bases iniques.

Pourtant les leaders burkinabè et libyen étaient dans la ligne de mire du procureur pour leur implication indirecte dans la guerre de Sierra Leone. Mais les pays qui finançaient le tribunal- notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas- avaient estimé que d’autres poursuites seraient trop onéreuses. Mais l’objectif était atteint. Charles Taylor, l’ancien collaborateur de la CIA et du Pentagone, était puni.

Impunité pour les puissances occidentales

Autrement dit, les tribunaux internationaux ne sont en réalité que des caisses de résonance acquises pour les intérêts des puissances occidentales. Car on a du mal à comprendre que les crimes d’Israël contre des civils palestiniens, les tortures et meurtres de civils en Irak et en Afghanistan par les Américains ou ceux des Russes dans le Caucase et la Tchétchénie, n’aient jamais été instruits par la CPI.

On peut certes arguer que ces pays ont signé la Convention de Rome mais n’ont pas ratifié le statut. Pourtant le Soudan dont le président est sous le coup d’un mandat d’arrêt a signé mais n’a pas ratifié non plus.

Nous ne sommes pas contre la volonté de juger tous les dictateurs qui ont commis des génocides ou des crimes contre l’humanité par des tribunaux africains, ad hoc ou par la CPI (Cour pénale internationale). Mais que cela ne soit pas sélectif ou orienté vers certains chefs d’Etat africains rétifs à l’ordre blanc et qui refusent le diktat néocolonial des puissances étrangères. Cette justice internationale, de par ses agissements discriminatoires, n’a de compétence qu’en Afrique et contre les dirigeants africains seulement.

 

SALIOU GUÈYE DE SENEPLUS

sgueye@seneplus.com

 

Source : Seneplus (Sénégal) Le 14 octobre 2014

 

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