La mendicité des enfants, un défi pour le développement de l’Afrique

Il sont nombreux ces jeunes garçons âgés de 5 à 15 ans errant dans les rues et autres lieux publics, s'exposant à tous les dangers  et passant leur temps à mendier. Appelés « Talibés » au Sénégal, « Garibou » au Burkina Faso, Mali ou Côte d’Ivoire, ils sont présents dans plusieurs pays africains. Ce phénomène de mendicité des enfants prend de plus en plus d’ampleur.

 

Selon le PARRER, près 7 600 enfants trainaient dans les rues de Dakar en février 2010. L’organisation américaine de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch, HRW) estime que près 100 000 enfants mendiants circulaient dans les rues du Sénégal en 2009-2010. Ces enfants, vivant loin de leurs parents, sont dans un état de manque absolu, tant sur le plan nutritionnel, vestimentaire qu'hygiénique. En dépit de tout ceci, le phénomène s’amplifie et l’on rencontre de plus en plus d'enfants mendiants dans les villes africaines : situation qui soulève des interrogations quant à ce qui permet à ce phénomène de perdurer en Afrique et son impact sur le développement du continent.

Les causes de la mendicité des enfants 

Il est considéré très généralement que la réligion, notamment l'Islam, entretient et encourage la mendicité en insistant sur les bienfaits de l'aumône. S’il y’a de nombreux mérites à pratiquer l'aumône, il faut préciser cependant que l'Islam interdit de mendier sauf en cas de situation critique, ce qui n'est pas le cas de nombreux mendiants et plus particulièrement les enfants. De fait, l'aumône est un acte de générosité exercé volontairement pour soutenir un nécessiteux alors que la mendicité est le fait de faire appel à cette générosité. Si les deux s'assimilent aussi aisément et créent la confusion c'est bien parce que les uns (les mendiants) ont des besoins et les autres (bienfaiteurs) ressentent le besoin de donner mais la distinction se situe dans le fait que l'aumône ne s'adresse pas qu'aux mendiants. C'est cette confusion qui entretient la mendicité en Afrique ; les uns voulant vivre de l'aumône des autres. C'est le cas de ces enfants qui représentent "l'apat idéal" pour bénéficier de la générosité des autres.

Certains géniteurs croyant donner une éducation religieuse à leurs enfants, les envoient chez des maîtres coraniques, sans y ajouter les moyens pour les prendre en charge. D’autres parents, ne pouvant assurer la charge de leurs descendances les confient à des maîtres coraniques, comme pour les mettre au service de la religion, qui pourra les prendre en charge. Cependant, ces maîtres coraniques n’ont que très peu de moyens, d’autant plus que l’école coranique n’est ni une entité publique, qui pourraient recevoir des subventions de l’administration publique et ne s’assimile pas à une entité d’enseignement privé qui exigerait en contrepartie une contribution financière des parents – qui d’ailleurs n’y inscrivent leurs enfants que parce que manquant de moyens. Ainsi, certains de ces maîtres coraniques envoient dans les rues, les apprenants pour quémander leurs pains quotidiens. Si le principe en soi n’est pas condamnable et peut être considéré comme juste, il a été complètement perverti au point de créer ce système.

Autrefois, ces jeunes apprenants servaient, sous le même principe, dans les champs de leur maître, qui assurait leur prise en charge complète à partir des revenus tirés des récoltes. La mendicité n’était que temporaire, faisant appel à la générosité de la société et constituait une façon d’instruire sur l’humilité. Les enfants se consacraient pleinement à leurs études. Aujourd’hui, le contexte a radicalement changé : ces jeunes enfants consacrent la plupart de leur temps à la rue, moins à leurs études et le fruit de leur risque enrichit leurs enseignants et sert moins à leur prise en charge.

La mendicité des enfants, un problème de société, qui remet en cause le développement de l’Afrique

Le problème des enfants mendiants est au delà d’un simple problème de société, un défi colossal pour le développement socio-économique des pays. Dans le passé, l’insertion sur le marché du travail n’exigeant pas un niveau de scolarité élevé, ces enfants ayant atteint l’âge de travailler pouvaient facilement avoir accès à un emploi, certes pas ceux nécessitant une compétence technique avérée mais ils devenaient des entrepreneurs, notamment dans le commerce. En fait, le passage auprès d’un enseignant islamique leur permet d’acquérir des compétences managériales dès le bas âge étant amené à travailler et d’autres vertus qui leur seront bien utiles pour créer une entreprise, gérer un commerce ou exceller dans les travaux qui leur sont confiés. La perversité du système qui a fait de ces enfants des mendiants que des apprenants, fait qu’ils sont en marge du marché du travail très compétitif et requiert un minimum de qualification professionnelle.  Si même les diplômés ont du mal à s’insérer sur le marché du travail, la situation semble plus difficile pour les non diplômés. Ils sont ainsi orientés systématiquement vers le secteur informel ou dans des secteurs qui ne procurent à l’État qu'un revenu substantiel, avec des emplois précaires et une couverture sociale inexistante. Nombreux deviennent des commerçants ambulant, des ouvriers, des chauffeurs de taxi ou apprentis des transports traditionnels en commun des villes. Les meilleurs d’entre eux deviennent des marabouts, des maîtres d’arabe ou encore des enseignants. Certains exercent dans l'agriculture. D'autres, qui ont à la faveur de l'âge et un peu de ressources financières, apprennent un métier dans l'informel : soit la mécanique, la peinture, la menuiserie, etc. La plupart de ces activités, non seulement ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté, mais contribue à maitenir une bonne partie de l'économie africaine dans l'informel.

La grande partie de ces jeunes mendiants se retrouve sans emploi ou incapable d'entreprendre quelque activité. Certains d'entre eux se convertissent à la délinquance, se targuant d'être des "Robin des bois" urbains et usant de n’importe quels moyens pour avoir du revenu fussent-ils licites ou pas, compremettant ainsi la sécurité dans les zones urbaines.

Il est tout à fait clair que le manque d’éducation d’une tranche importante de la population consitutée de ces jeunes enfants, a des conséquences socio-économiques négatives importantes dans la société. Ces populations non éduquées, en plus de constituer une base électorale vide, ignorant les principales lois du pays, reçoivent mal ou comprennent mal les sensibilisations. En effet, face à des épidémies ou certains problèmes sociaux, les États auront beaucoup plus du mal à les sensibiliser. Dans un contexte où l’Afrique a réellement besoin de toutes ses capacités, notamment en ressources humaines qualifiées, un nombre important d’une population non éduquée serait un coup dur pour le développement.

Des tentatives de solutions encore infructueuses

La situation des enfants mendiants a amené certaines entités à les prendre en compte parmi les enfants en situation particulièrement difficile et à chercher des stratégies en vue d’améliorer leurs conditions de vie et d’apprentissage.
Ainsi, à Dakar, le programme d’aide aux enfants mendiants, dénommé « Talibé Sunshine », compte lancer une campagne de sensibilisation en direction de l’opinion nationale, afin d'attirer l'attention sur la condition insoutenable des enfants de la rue. A Saint Louis, l'Association Jardin d'espoir sensibilise les talibés sur l'hygiène de base.

Au Mali, pour assurer la réinsertion des enfants de rue, l’association Soudoubahaba, piloté par le Haut Conseil islamique du Mali, a commencé la construction d’un complexe scolaire à Bamako dans le but de fournir un cadre propice pour acceillir les enfants se trouvant dans cette situation. Au Burkina Faso, l'Association Gournaam-Survie se donne pour leitmotiv d'apprendre aux talibés « à lier le bois au bois » et à gagner dignement leur vie. Cette Association a pour objectifs de renforcer les acquis antérieurs des jeunes talibés en les alphabétisant et en leur apprenant les règles morales de la vie. En plus des organismes et associations, certains gouvernements ont voulu régler le problème par la force, en prenant des dispositions légales contre la mendicité. Ces efforts demeurent infructueux. Ils se heurtent à une forte résistance des populations. Par exemple, en 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta de rendre illégale la mendicité en ville mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application.

Force est de remarquer que malgré toutes les tentatives pour éradiquer le phénomène, le nombre des enfants mendiants ne diminue point et leurs conditions ne s’améliorent guère. Le problème majeur demeure le fait que les populations ne saisissent par l’enjeu du phénomène et les dommages qu’il cause à la société. Pour régler la question, les gouvernements devraient envisager des campagnes de sensibilisation ciblés à l’endroit des populations portant le potentiel d’impliquer leurs enfants dans cette pratique. Il faudrait pour ce faire entreprendre des enquêtes permettant de cibler les populations concernées. Pour être efficace, les équipes de sensibilisation doivent intégrer des responsables religieux et des autorités locales et/ou coutumier comme le chef du village ou le chef du quartier. Ce dialogue avant l'introduction de quelque législation, permettrait aux populations de s’approprier la loi et d’assurer son application et de lever cet obstacle supplémentaire au développement socio-économique de l’Afrique. L'idée ne serait pas de mettre fin à ce système d'apprentissage traditionnelle, mais de l'encadrer et d'éviter qu'il constitue un point noir dans l'équation du développement des enfants et plus particulièrement celui des enfants.

 

Ali Yedan

 

Source : Terangaweb

 

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