Alors que rien ne freine plus la progression de l’épidémie dans l’ouest de l’Afrique et que les Etats-Unis annoncent une aide sanitaire militarisée, l'Europe semble absente, et Paris comme paralysé.
De sans précédent, la situation est devenue incontrôlable. Les derniers chiffres officiels concernant la progression à court terme de l’épidémie africaine d’Ebola sont spectaculaires. Les projections statistiques élaborées à partir de modélisations mathématiques effraient les responsables sanitaires. «Les courbes se rapprochent sans cesse de la verticale. Nous ne savons plus très bien où nous allons», nous confiait il y quelques jours un spécialiste français de la lutte contre les fièvres hémorragiques.
La situation qui prévaut aujourd’hui en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia réunit tous les éléments d’une crise exponentielle, d’une «tempête parfaite». On trouve ainsi, sur le même espace géographique, un agent pathogène d’une particulière virulence (une létalité de plus de 50%) diffusant désormais à une vitesse croissante au sein de populations ne pouvant pas, en pratique, prévenir durablement le risque de contamination. L’OMS prévoit, après enquête sur le terrain, «des milliers de nouveaux cas» avant la fin de ce mois pour le seul Libéria.
C’est un fait. Les opérations d’isolement, de mise en quarantaine ou de recherche sous la contrainte de personnes infectées et contagieuses démontrent leur inefficacité. D’autre part, un nombre croissant de malades ne peut être pris en charge dans les centres de soins, où une proportion élevée de soignants contractent la maladie. Tout ici a été dit, dans les colonnes du New England Journal of Medicine, dans un témoignage-reportage signé d’Anja Wolz, une infirmière coordinatrice d’urgence de Médecins sans frontières pour la Sierra Leone.
Dynamique épidémique
«Il faudrait que nous ayons un coup d'avance sur cette épidémie, mais pour l'instant nous en avons cinq de retard», écrivait-elle dans la prestigieuse revue médicale américaine le 27 août. Deux semaines plus tard, le virus a marqué de nouveaux points et le handicap se creuse. Tous les éléments épidémiologiques, médicaux et politiques convergent pour dire les faillites de la gestion de cette crise majeure à l’échelon des pays touchés comme au plan international. La prise en compte de la réalité et des menaces épidémiques par la machinerie onusienne, la nomination d’un «coordonnateur Ebola» (le Dr David Nabarro), les bulletins récurrents d’alerte de l’OMS ou les promesses chiffrées de la Banque mondiale n’ont rien changé à la dynamique épidémique.
La menace d’une extension géographique de l’épidémie comme le risque, à terme, d’une déstabilisation politique et économique de cette région de l’Afrique vient d’être prise en compte par les Etats-Unis, pays dont plusieurs soignants missionnaires ont été infectés avant d’être rapatriés et guéris.
Barack Obama a ainsi annoncé, dans une interview diffusée le 7 septembre, que les Etats-Unis allaient envoyer des moyens militaires, dont des unités de mise en quarantaine, pour aider les pays d’Afrique à lutter contre le virus. Le président américain partage l’analyse des responsable de ses Centers for Disease Control and Prevention: la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia n’ont ni les infrastructures sanitaires ni la méthode policière pour maîtriser la situation. Les malades ne sont pas mis en quarantaine comme ils devraient l’être. Les soignants ne sont pas formés comme ils devraient l’être et ils ne sont pas assez nombreux.
Cette forme de militarisation de la lutte contre Ebola, la mise en place du QG de campagne au plus près du conflit répond, pour partie, aux demandes formulées, dans un entretien accordé à Slate.fr, par Mego Terzian, président de MSF-France. «Nous allons devoir envoyer des éléments militaires américains pour, par exemple, installer des unités de mise en quarantaine et des équipements, afin d’assurer la sécurité des équipes médicales qui arrivent du monde entier, a annoncé Barack Obama. Mais même en faisant cela, plusieurs mois vont passer avant que le problème ne soit sous contrôle en Afrique […]. Et si rien n’est fait maintenant et si le virus se répand en Afrique et dans d’autres régions du monde, le virus pourrait muter. Il se transmettrait plus facilement et représenterait un réel danger aux Etats-Unis.»
La voix de la France ne porte plus
Certains verront là une forme d’impérialisme associé à une sorte de charité bien ordonnée. Mais encore? Cette action unilatérale des Etats-Unis met un peu plus crûment en lumière l’immobilisme de l’Union européenne et, plus encore, de la France. Bien présente lors de l’émergence de l’épidémie en Guinée (le virus Ebola y a été pour la première fois isolé grâce à la collaboration de chercheurs guinéens et français associés à des volontaires de MSF), la France a progressivement disparu du paysage international. Elle est ici en rupture avec la tradition anti-infectieuse, «tropicaliste» et vaccinale des Instituts Pasteur et Mérieux. Et cette rupture est d’autant plus criante que la France est capable d’intervenir militairement sur le sol africain sans mobiliser dans le même temps ses matériels militaires de protection biologique.
La voix de la France ne porte plus au sein de l’OMS: on ne compte aucun représentant français dans les instances éthiques qui ont donné un feu vert à l’expérimentation de nouvelles thérapeutiques en Afrique. Aucune start-up parmi toutes celles, américaines et canadiennes qui, depuis dix ans ou plus, travaillaient à mettre au point des armes anti-Ebola avec des financements dévolus à la lutte contre le terrorisme biologique. Et aucun véritable réflexe corporatiste de solidarité avec les pays infectés de la part des institutions publiques en charge de la recherche médicale.
La seule préoccupation gouvernementale semble avoir été celle de tout mettre en en œuvre pour prévenir l’arrivée sur le sol français de personnes infectées. Préoccupation légitime, mais qui ne saurait résumer une politique sanitaire à vocation internationale. A fortiori quand les mesures décrétées (l’arrêt des vols Air France vers la Sierra Leone) sont dénoncées par l’ensemble des institutions onusiennes et internationales.
Pour l’heure, l’Union européenne annonce, pour installer des laboratoires mobiles dans les pays touchés et pour y améliorer les systèmes d’eau et d’assainissement, le déblocage de 140 millions d’euros. Une larme, ou presque.
Jean-Yves Nau
(Photo : A Monrovia (Liberia), le 1er septembre 2014. REUTERS/Reuters TV.)
Source : Slate (France)
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